Rappel du premier message :

Le plancher craquant presque sans bruit sous ses pas, Héra entra dans l’appartement de son ami. Aussi étonnant celui puisse-t-il paraître c’était la première fois qu’il l’y invitait. Malgré les rancœurs persistantes qu’elle éprouvait à son égard elle n’avait pas su refuser. Ses mots frappaient justes, et même si ça n’avait pas été le cas, le fait qu’il s’agisse de Drago aurait suffit. Elle lui en voulait, parfois même au point de vouloir le voir disparaître, mais il y avait toujours cette partie d’elle qui voulait retenir tout près d’elle chaque bribe de son être. Et elle s’en détestait.

Le lieu était à l’image de son propriétaire. Classieux, expansif, mais ne révélant rien de lui. À croire qu’il cherchait à gommer, même dans le placement d’une table, la moindre de ses pensés qu’on pourrait analyser. Cachait-il aussi ses miroir de crainte qu’on y perçoive son reflet ? De toute évidence pas puisque Héra en remarqua un. Elle se vit, habillée sobrement, maquillée sans plus d’extravagance, mais avec soin tout de même. Retrouver Drago, c’était comme revoir un ancien camarade qu’on se devait d’impressionner. C’était pourtant lui qui avait tout à prouver.

« - Tiens.

Elle lui tendit la bouteille qu’elle avait amenée, et une bonne. Son père était fin connaisseur et l’avait habituée à ne jamais s’abaisser au bas de gamme. Depuis la fin de sa scolarité elle avait dû revoir tout son confort à la baisse mais elle respectait cette seule condition, presque comme un hommage à cet homme qu’elle avait tant aimé.

- Il aura fallu que tu m’oublies pendant des mois pour enfin m’inviter chez toi. »

Son ton taquin ne trompa personne, ni même l’intensité de son regard. Elle le détourna vite pour ne pas qu’il lui pèse trop, pour ne pas assombrir le moment. Inévitablement, elle le détestait de l’avoir abandonnée et tenait à lui faire savoir. Tout aussi inévitablement, il lui avait tant manqué qu’elle ne voulait plus gaspiller un seul instant à ses côtés.

Drago avait eu le temps d'appeler Tinnie à la rescousse. Depuis Dobby, c'était le seul elfe qu'il avait eu sous son aile, et pour être très honnête dans sa jeunesse il n'estimait pas beaucoup les elfes de maison - éducation oblige -, et il ne les glorifiait pas plus aujourd'hui, mais peut-être qu'il leur manifestait un peu plus de considération. Et puis Tinnie était d'une efficacité redoutable pour combler ses lacunes de la vie quotidienne, il ne pouvait qu'en être reconnaissant. En réalité, son avis s'était nettement adouci à ce sujet depuis qu'il vivait seul. Tinnie était presque devenue un membre de la famille pour lui qui était passé d'un manoir surpeuplé à une vie solitaire, avec moins de prestige dans le monde magique depuis que son père était en cavale. La chute de l'aristocratie Malefoyenne avait du bon pour ses moeurs, au fond ! Mais ça il ne l'aurait jamais avoué... De la même manière qu'il n'avait jamais manifesté à Tinnie la moindre marque d'affection, sans pour autant dénigrer le fait d'avoir besoin d'elle comme d'une mère de rechange.

- Oh non ! Monsieur Malefoy a tout sali ! Ah non non non ! C'est encore Tinnie qui va tout nettoyer ! Et pourquoi monsieur Malefoy est tout sale aujourd'hui ? Qu'a-t-il donc fait ? Peut-il le dire à Tinnie ?

Drago soupira. Elle l'ennuyait déjà.

- Je me soupoudre de farine pour passer le temps, avoua-t-il d'une voix monocorde.

- Oh, ça, ça semble très divertissant monsieur Malefoy ! Mais Tinnie pense que peut-être monsieur Malefoy devrait se divertir autrement qu'en salissant son beau visage ! gloussa-t-elle comme une midinette.

- Certes.

Il leva les yeux au ciel. Qu'est-ce qu'elle était naïve quand elle s'y mettait !

- Tinnie était triste que monsieur Malefoy ne la prévienne pas de son départ vous savez...

Il soupira encore. Devrait-il même se justifier auprès de son elfe maintenant ?

- Ce n'est pas parce que Tinnie travaille à temps partiel que Tinnie ne peut pas dire au revoir à son maître ! Tinnie aurait préparé de succulents repas à monsieur Malefoy si monsieur Malefoy l'avait prévenue de son retour !

- Hm. C'est gentil, ajouta-t-il sur le même ton désintéressé.

- ...Monsieur Malefoy semble un peu pâle. Mange-t-il correctement ?

Il soupira plus ostensiblement que précédemment et Tinnie, un peu trop bavarde à son goût, comprit qu'il était temps de se mettre au travail. D'un claquement de doigts, elle fit apparaître un énorme plateau contenant le brunch du siècle, allant des pancakes au bacon en passant par le jus d'oranges fraichement pressé.

- Tinnie a toujours ce qu'il faut dans sa cuisine et Tinnie rapporte tout à monsieur Malefoy quand il le désire !

Drago salivait littéralement. Il lui pardonnait presque son caractère insupportable et lui accorda un "T'es la meilleure.", se contenant difficilement pour ne pas se ruer sur les gâteries avant le retour d'Héra. A la place, il tenta de rajuster sa posture comme il le pouvait, s'époussetant le dos puis le torse, mais c'était peine perdue. Son elfe, aux aguets, avait entreprit de l'aider avec une de ces brosses qui captent les peluches sur les vêtements, mais Drago en était incommodé.

- Ca va, ça va, laisse grommela-t-il.

Ce fut ce moment-là qu'Héra choisit pour refaire surface.

- Oh ? s'exclama l'elfe en voyant la jeune femme avant d'assombrir très nettement son regard.

- Mais qu’est-ce que c’est que cette tenue ? Je t’ai connu moins négligé, lui lança la brune qui était fraîche comme la rosée du matin.

C'est sûr qu'à côté, il n'en menait pas large !

- Merci de le rap...

- Et Tinnie peut savoir qui c'est ? dit-elle en croisant les bras.

Tinnie avait crut bon de s'interposer pour barrer la route de la brune qui se rapprochait de son maître.

Drago haussa les sourcils, un peu stupéfait.

- C'est Héra, laisse-là passer.

L'elfe fit une moue boudeuse et inquisitrice en pensant que son maître était un peu trop insouciant par les temps qui courent. Drago le comprit tout de suite et sentit la nécessite de clarifier la situation.

- Il n'y a rien à craindre, c'est, il hésita, une amie.

Il déglutit en lâchant ce dernier mot. Il ne convenait pas. Il aurait voulu dire autre chose mais, face à l'obligation tacite de devoir l'employer, il se sentit inconfortable. Comme s'il fallait souligner l'incongruité de la situation et faire le point. Il détestait l'idée. Alors il rajouta: "...privilégiée" en regardant la brune avec un petit sourire en coin lourd de sens.

L’elfe n’avait pas l’air plus ravie – puisqu’elle était visiblement plus féminine que masculine - de constater de sa présence. Elle interrogea d’ailleurs Drago sur son identité, empêchant la journaliste d’approcher, et celui-ci sembla mis face à une énigme. Comment comptait-il la présenter ? Elle n'aurait pas aimé que leurs places soient échangées. Par souci de simplicité elle se serait contenté de donner son nom.

" - C'est Héra, laisse-là passer. Il n'y a rien à craindre, c'est une amie. Privilégiée.

L’obstacle qui se trouvait sur son chemin s’écarta, mais elle ne bougea pas pour autant. Si elle le dissimula ces derniers termes la glacèrent. Elle ne voulait pas être une "amie privilégiée". Immergée dans son agacement elle ne voulait même pas être une amie. Cette expression, pour elle, représentait cette personne qu’on appréciait, qui faisait parti de son entourage et avec laquelle on profitait de temps à autre de quelques suppléments sans que ceux-ci ne représentent rien. C’était réduire leur nuit à un plan purement charnel et cette idée la blessa. Elle n’en montra rien mais elle eut l’impression qu’on lui portait un coup violent à la poitrine. Son regard dériva sur le repas qui les attendait, mais elle n’avait même plus faim.

- Enchantée de te rencontrer, répondit-elle pour détourner la conversation alors qu’elle n’en avait strictement rien à faire.

Ses mèches la frigorifiaient comme si elles étaient recouvertes de glace alors qu’il ne faisait même pas froid. Elle avait l’impression que tout avait changé et que chaque détail s’accordait pour la rendre plus mal encore. Prenant sur elle elle étira un énième sourire, aussi faux qu’il paraissait vrai, et se muni d’un ton aussi taquin qu’elle le put :

- Tu comptes t’en attribuer tous les mérites ou faire preuve d’honnêteté ? L’interrogea-t-elle en désignant le brunch posé là. "

Sa diversion était ridicule mais elle refusait de laisser deviner à quel point elle était atteinte. Plus même, elle refusait de l’admettre.

- Enchantée de te rencontrer.

Héra faisait preuve de politesse malgré les piques douteuses de son elfe et Drago n'en fut pas étonné. Après tout c'était une Greengrass, les convenances étaient primordiales.

- Tu comptes t’en attribuer tous les mérites ou faire preuve d’honnêteté ? reprit la brune en désignant les mets sur le plateau rêvé.

Drago pouffa en lui servant un verre du jus d'oranges qu'il posa naturellement face à elle avant de lui mettre une part de pudding dans son assiette.

- Tiens goûte ça, dit-il en s'exécutant, puis il baissa le ton d'un cran. Tinnie peut être exaspérante mais tu apprendras à l'aimer pour sa cuisine.

Comme si elle aurait l'occasion d'y regoûter souvent. Il ne se demandait même pas pourquoi il opérait toutes ces petites attentions envers elle qu'en général il se réservait à lui-même. C'était très naturel, peut-être un peu trop. D'ailleurs, lorsqu'il la regarda il manqua de s'étouffer.

- C'est quoi ça Héra, dit-il en venant essuyer le bord de sa lèvre avec son pouce.

Il n'avait même pas réalisé l'avoir appelée par son prénom. Ca lui échappait de temps en temps, signe qu'il était très à l'aise étrangement.

Il fut toutefois incommodé par les gémissements de Tinnie qui brassait de l'air dans un coin.

- Merci Tinnie tu peux nous laisser maintenant.

Et l'elfe s'exécuta à contrecoeur, les laissant reprendre le cours de leur repas.

Pour toute réponse, Drago lui servit paternellement de jus d’orange et une part de pudding. Soudainement, elle avait bien moins faim, son estomac s’étant noué. Elle prit sur elle pour qu’il ne remarque rien mais c’était peut-être se demander beaucoup d’effort. Pour ravaler ses paroles elle porta le verre à ses lèvres.

" - Tiens goûte ça. Tinnie peut être exaspérante mais tu apprendras à l'aimer pour sa cuisine.

Parce qu’il comptait l’inviter à manger matin, midi et soir ? Histoire de profiter de tous les aspects privilégiés de leur amitié ? Héra ne savait même pas pourquoi ces termes la rendait si amère. Refusant d’y penser plus longtemps elle se força à prendre une première bouchée. Elle devait être distraite parce qu’elle parvint à se salir.

- C'est quoi ça Héra, remarqua le blond en l’essuyant.

Gênée de nouveau elle détourna le regard. Malgré tout son agacement elle ne réussissait pas à maintenir la distance qu’elle essayait d’instaurer entre eux. Elle se forçait à être énervée plus qu’elle ne l’était vraiment, comme lorsqu’elle lui en voulait d’être parti. La colère devenait le meilleur moyen pour elle d’éloigner toute autre émotion.

- Merci Tinnie tu peux nous laisser maintenant.

Et elle s’exécuta. Paradoxalement, la sorcière aurait préféré qu’elle reste. L’ambiance entre eux était radicalement différente de celle de leur réveil et elle aurait voulu remonter dans le temps pour ne jamais sortir de cette chambre. Elle avait eu raison de craindre de s'en échapper.

- Je suis très déçue que tu ais abandonné les crêpes. C’était faire beaucoup d’effort pour rien.

Elle le jaugea négligemment.  

- Enfin, ça valait au moins la peine pour te voir dans cet état. "

Tentative comme une autre de faire bonne figure, elle pouvait le taquiner encore.

Il y avait quelque chose de bizarre. Déjà, elle avait eu le regard fuyant quand il lui avait essuyé le bec. Il n'avait pas considéré une seconde pouvoir la mettre mal à l'aise par ce geste étant donné qu'il avait fait pire que ça auparavant et qu'elle ne s'en était pas offusqué. Non, il découvrirait une Greengrass moins timide et plus téméraire, mais la grande prêtresse des non-dits semblait refaire surface. Il la sentait... différente. La douceur insouciante du ton de sa voix avait nettement disparu, et il en fut gêné, ou plutôt agacé.

- Je suis très déçue que tu ais abandonné les crêpes. C’était faire beaucoup d’effort pour rien. Enfin, ça valait au moins la peine pour te voir dans cet état.

Il pouffa en beurrant une tartine puis la reposa dans son assiette pour la regarder sans dire un mot pendant trois bonnes secondes, histoire de scruter son visage de toute son attention.

- Qu'est-ce que t'as, demanda-t-il sans toutefois le formuler de manière interrogative.

C'était plus du genre "viens on arrête tout, on arrête nos conneries, parle-moi", mais c'était peut-être maladroit. Alors il haussa les épaules et rajouta plus de beurre sur sa tartine.

- Je peux pas deviner si tu me dis rien Greengrass, lâcha-t-il sur un ton faussement indifférent.

Il ne lui répondit pas, pouffant comme pour lui dire qu’il l’avait entendue. Sa main beurrait une tartine, allant et venant, le couteau étalant la matière. Elle préféra se concentrer sur ce geste que sur son visage. Moins expressif, il lui semblait par conséquent moins dangereux.

Muette, immobile, elle ne réagit pas. Soudain elle aurait aimé se trouver ailleurs. N’importe où du moment qu’elle y soit seule, ou alors au contraire tellement entourée qu’elle ne pourrait pas penser à la situation et tout ce qu’elle impliquait. Pourtant un lien invisible la rattachait à cet appartement, cette cuisine, ou peut-être à un des éléments qui s’y trouvait.

" - Qu'est-ce que t'as.

La question de Drago la surprit, et elle leva vivement les yeux vers lui. De toute évidence elle ne trompait personne avec son entrain factice. Aussi étonnant cela puisse-t-il paraître, elle était soulagée qu’il ait su voir à travers la façade. Tout autant elle était angoissée, mais au moins elle n’aurait pas à mentir. Jouer ce rôle la fatiguait et elle ne s’en sentait plus la force. Pas alors que, face à lui, elle devait fournir tant d’efforts.

- Je peux pas deviner si tu me dis rien Greengrass.

Il lui fallut un temps pour réfléchir. Le silence s’éternisant ne dissipait pas la gêne mais elle se sentait obligée d’évaluer la portée de ses termes avant de répondre. Une barrière invisible la muselait, empêchant les mots qu’elle voulait prononcer de passer la frontière de ses lèvres. Elle finit par user d’une parade pour slalomer entre les barreaux :

- Pourquoi "privilégiée" ? Je ne peux pas être juste une amie ? "

Elle ne développa pas plus, et ce n'était probablement pas juste, mais elle avait déjà l'impression d'en avoir dit beaucoup. Parler de ce qu'elle ressentait - même de manière détournée comme là - était toujours compliqué. Paradoxalement, elle se sentait plus légère alors qu'elle avait au contraire craint de nourrir ses tourments.

Était-ce ce que recherchait Drago, ou n'avait-il voulu qu'assouvir sa curiosité ? Il aurait pu faire comme si de rien n'était, ne pas s'embarrasser de cette conversation. En espérant ne pas se tromper et laissant place au doute, elle vit une certaine prévenance dans ses questions. Ce constat la réchauffa un peu même si elle n'oubliait pas qu'il pouvait être erroné.

- Pourquoi "privilégiée" ? Je ne peux pas être juste une amie ?

Drago interrompit sa mastication sans toutefois lever les yeux vers elle. Ca aurait été inutile de rajouter un malaise avec un regard interloqué. A la place, il se remit à mâcher en se demandant si, ce qui la gênait, c'était le terme "privilégiée", ou "amie".

- Je ne sais pas, répondit-il nonchalamment. Sur le moment ça ne me semblait pas tout à fait juste. Je passe rarement la nuit avec mes amies.

Et c'était vrai. Dur de considérer Héra "juste comme une amie" alors qu'il l'avait vue dévêtue et qu'ils avaient tout deux partagé un moment d'intimité particulièrement privilégié, justement. Il n'avait pas su quoi dire, alors il avait rajouté cet adjectif dont le double-sens lui avait échappé.

- Pas toi ? rajouta-t-il en relevant les yeux vers elle.

Il ne s'était pas demandé ce que cette nuit signifiait outre-mesure mais il l'assumait. Sans se projeter ou tout à fait en saisir la signification, il admettait intimement l'avoir voulue, et ça avait été incroyable, au-delà de ses espérances. Alors au fond, il redoutait un peu sa réponse. Ni une, ni deux, elle était prête à le friendzoner, et dans ce cas il devrait se montrer fier. Faire celui sur qui ça glisse, celui que ça n'atteint pas.

Cette discussion qu’elle redoutait tant lui paraissait tout de suite moins effrayante. Elle n’aurait pas pu assurer sans mentir qu’elle était totalement à l’aise, mais elle se sentait tout de même mieux que quelques minutes plus tôt. Comme quoi fuir n’annihilait pas forcément la peur, l’accentuant au contraire, et elle le découvrait à l’instant. Drago avait de toute évidence encore à lui apprendre.

" - Je ne sais pas. Sur le moment ça ne me semblait pas tout à fait juste.

Ces derniers mots lui donnèrent un soupçon d’espoir (à quel propos ? Elle n’aurait su répondre), mais ils lui firent du bien.

- Je passe rarement la nuit avec mes amies. Pas toi ?

- Jamais.

C’était d’une franchise étonnante quand on la connaissait, mais elle avait assez zigzagué. Qu’elle se soit ébréchée ou non leur bulle n’avait peut-être pas disparue pour autant. Elle en sentait toujours les contours qui la bordaient, rassurants, et elle se soutenait contre eux.

- Peu importe que je les trouve privilégiés ou non, d’ailleurs, se permit-elle même d’ajouter. "

De la même manière que le faisait l'alchimiste, elle évitait son regard, observant le plateau sans oser y toucher. Ce n'était pas tant qu'elle ait peur de l'affronter, même s'il y avait un peu de ça, mais elle devait aussi avouer qu'elle ressentait de le manque de cette proximité soudaine. En l'observant elle craignait d'essayer d'y remédier, préférant contempler le pudding qu'elle avait déjà pu goûter. Il était moins intéressant que Drago et elle eut du mal à ne pas en dévier.

- Jamais, avait-elle répondu du tac au tac.

Drago s'en doutait un peu. Il savait qu'Héra n'était pas des plus délurées, et pourtant son aveu lui procurait un étrange sentiment d'apaisement, bien que fugace.

- Peu importe que je les trouve privilégiés ou non.

Il n'était plus du tout concentré sur sa tartine à présent. Il la regardait sans trop d'expression, tentant de comprendre l'énigme derrière cette phrase mais il abandonna très vite. Le propos principal était toujours d'actualité. Héra était chafouine, et il tentait de savoir pourquoi. Elle avait l'air embêtée qu'il l'ait qualifiée d'"amie privilégiée" plutôt qu'"amie tout court", mais quand il lui demandait si elle passait la nuit avec ses "amis tout court" elle répondait non sans une once d'hésitation. Alors il était bien un ami privilégié dans ce cas, et ils se rejoignaient, non ? Alors où était le problème ? Ca lui donnait presque mal à la tête. Il fronça son nez, signe d'une micro-frustration de ne pouvoir déceler les réels tracas de la brune. Il aimait rester maître de la situation et avec elle qui se mettait à trop réfléchir, le contrôle devenait pénible. Il soupira d'exaspération.

- Tu veux dire que je ne suis même pas privilégié, moi ? demanda-t-il avec un petit sourire en coin, la taquinant d'un regard accusateur. Ok Greengrass t'as gagné, je vais bouder aussi.

" - Tu veux dire que je ne suis même pas privilégié, moi ? Ok Greengrass t'as gagné, je vais bouder aussi.

Il parvint à la dérider un peu, et elle leva les yeux vers lui, un vague sourire lui échappant. Lorsqu’elle fut forcée de se rappeler dans quelle tenue il se trouvait, celui-ci s’élargit encore. La situation était vraiment irréaliste. Était-ce vraiment Drago Malefoy qui l’avait accueillie chez lui ? Avec lequel elle s’était disputée la veille, qu’elle avait embrassé, auprès de qui elle avait dormi ? Et tout le reste encore ...

- Tu prends le problème à l’envers.

Elle maîtrisait de moins en moins ce qu’elle disait, n’évaluant plus, et ses mots lui échappaient sans passer leur filtre habituel. Sans le vouloir elle lui en révélait trop, s’en révélait trop aussi par la même occasion, et s’appliquait à passer de sujet en sujet pour ne pas avoir l’occasion d’analyser ses propres dires.

- Et je ne boude pas. Alors toi non plus. "

Même s’il avait plus l’allure de ces jeux infantiles qu’elle. Elle ne fit aucune remarque, mais son air taquin parlait pour elle. C’était impressionnant comme ses humeurs permutaient d’une seconde à l’autre. Elle était incapable de se focaliser sur l’une d’elles, et elle détestait ce pouvoir que le blond avait sur elle.

Ah ! Il avait cru voir un sourire. Mission accomplie ! Heureusement qu'il n'analysait pas trop le contentement dans cette victoire parce que sinon, il se demanderait probablement depuis quand il fait de la charité alors que lui traverse une période difficile. Pourtant il n'y pensait pas en cet instant. Elle souriait, il était tranquille pour deux secondes de plus. Le soulagement.

- Tu prends le problème à l’envers.

Il ferma les yeux l'air de dire "bah bien-sûr". Il ne comprenait vraiment rien à rien, mais elle semblait taquine et il s'en contenta.

- Et je ne boude pas. Alors toi non plus.

Il ne put s'empêcher d'écarquiller les yeux en élargissant un sourire autant outré que moqueur. Que Drago Malefoy use et abuse d'expressions faciales comme celle-ci était un fait bien rare ! Mais là, la brune le prenait vraiment pour le dernier des crétins, alors il pouffa au second degré, l'accablant d'un regard un peu paternel.

- Ah bon tu boudes pas là ! dit-il en s'éloignant vers la table basse pour récupérer sa baguette et s'asperger d'eau un petit coup au dessus de l'évier.

Après tout, il n'était plus à ça près, et il en avait assez de sentir la farine collée sur lui. Au moins son visage était totalement débarbouillé, bien que ruisselant. Il ôta son col roulé humide pour ne rester qu'en tee-shirt et revint vers elle tout autant goguenard.

- Alors tu m'expliques ce que c'est quand tu boudes ?

Il redevenait sérieux.

- Je prends le problème à l'envers, tu dis. Très bien. Explique-moi alors.

Il n'attendait que ça. Franchement ce n'était pas dans ses habitudes d'essayer de comprendre qui que ce soit, alors elle pouvait au moins apprécier l'effort !

De toute évidence elle n’avait pas réussi à le convaincre. Elle ne mentait même pas, niait peut-être un peu, mais son agacement se dissipait. Seule une légère angoisse persistait dans le creux de son estomac et elle faisait tout pour l’oublier. Ses élans coléreux étaient retombés aussi vite qu’ils s’étaient éveillés.

" - Ah bon tu boudes pas là ! 

Et dans un même temps, il alla rincer son visage enfariné et retirer son col roulé (même s’il ne révéla rien d’autre qu’un tee-shirt qu’il portait en dessous). Elle avait au moins fait l’effort de prendre une douche, elle. Pendant ce temps Drago n’avait fait que discuter avec son elfe – tout ça pour qu’elle tente de l’éloigner de la journaliste. Avait-ce été le but ?

- Alors tu m'expliques ce que c'est quand tu boudes ? La relança-t-il.

- Tu auras peut-être le privilège d’y assister un jour.

Depuis son adolescence, elle ne s’était plus permise de se comporter ainsi et prenait sur elle. Dans le pire des cas elle se paraît de silence en dissimulant autant que possible son trouble, mais elle semblait perdre toutes ses qualités dans ce domaine. Ou alors Drago devenait trop perspicace. Ce fut probablement pour cette dernière raison qu'il revint à ce qu'elle avait révélé malgré elle.

- Je prends le problème à l'envers, tu dis. Très bien. Explique-moi alors.

Elle préférait nettement sa précédente question à celle-ci, surtout qu’elle ne savait même pas ce qu’elle avait voulu dire.

- Et si tu me montrais plutôt comment tu boudes ? Tenta-t-elle sans grand espoir.

Sinon, elle devrait réfléchir, évaluer, et même si elle n’avait aucune idée de ce à quoi elle serait confrontée, elle préférait l’éviter. Ses hésitations devaient se lire sur son visage et elle n’essayait même plus de les masquer malgré sa moue taquine. Il ne cacha pas mieux les siennes puisqu’elle pu deviner, avant même qu’il ne lui réponde, que sa proposition ne lui convenait pas.

- D’accord, céda-t-elle, je vais essayer de faire un effort.

Elle se détourna encore de lui, sinon elle n’aurait jamais réussi à poursuivre.

- C’est cet "amie privilégiée". Il me perturbe. "

- Et si tu me montrais plutôt comment tu boudes ?

Non, non. Elle n'allait pas s'en sortir comme ça et elle le savait très bien. Il n'y avait qu'à voir son air lasse, au blondinet, dans l'expectative qu'elle poursuive.

- D’accord, je vais essayer de faire un effort. C’est cet "amie privilégiée". Il me perturbe. acheva-t-elle en se détournant de lui une fois encore.

Que ça l'énervait quand elle se dérobait comme ça ! Il soupira tout en s'accoudant à l'ilot pour baisser un peu sa posture et tenter de capter son attention par en dessous. Sa tête était penchée vers elle comme une invitation à croiser son regard mais elle n'y répondait pas.

- Mais j'ai dit ça sans réfléchir, c'était pas sérieux. Faut pas prendre tout ce que je dis au pied de la lettre,

Il ne se demandait même pas pourquoi il se justifiait. C'était curieusement très naturel. Il voulait juste qu'elle arrête de s'éloigner alors, sous ses airs de tout prendre à la légère, il cédait sans même se poser la question de la légitimité de la chose.

- Greengrass, regarde-moi.

Le ton de sa voix était mi agacé mi décontenancé alors qu'il touchait son bras pour lui rappeler sa présence. Et puis, maintenant qu'il y pensait, en quoi était-ce si désobligeant ce terme, "privilégié" ? Alors il se souvint des réflexions de la belle au sujet de ses conquêtes qu'il malmenait parfois et qu'il estimait bien peu.

- Héra je te respecte, ok ? lâcha-t-il sans transition, comme s'il ne pouvait introduire cela autrement qu'on le balançant comme une bombe. Je voulais pas dire que...

Mais un soupir confus se dégagea sans qu'il parvienne à donner plus d'explications sur l'emploi du respect tout à coup. C'était un terrain glissant, même pour lui. Alors il se reprit.

- Tu m'as mal compris je pense.

Drago souleva le ridicule de son son comportement, même si ce n’était pas son intention, et elle ne put s’empêcher de trouver ses réactions stupides. Elles avaient été démesurées, elle aurait dû mieux se contrôler pour éviter de précipiter cette situation délicate.

" - Mais j'ai dit ça sans réfléchir, c'était pas sérieux. Faut pas prendre tout ce que je dis au pied de la lettre. Greengrass, regarde-moi.

Obtempérant, elle plongea ses yeux dans les siens, exercice plus compliqué qu’il n’y paraissait (mais non moins plaisant). Elle avait soudainement du mal à se concentrer. Le son de sa voix l’ancrait et elle se focalisa sur celle-ci.

- Héra je te respecte, ok ? Je voulais pas dire que ... Tu m'as mal compris je pense.

Sa remarque la surprit. Elle n’avait jamais imaginé le contraire, c’était même l’une des seules choses qu’elle ne remettait pas en question. Pourtant l’entendre la rassurer l’enveloppa d’une vague de chaleur réconfortante. Elle voulait s’approcher, le rejoindre et le prendre dans ses bras comme pour lui rendre la pareille. Lui ne montrait pas ses failles, sauf en de rares occasions lorsqu’il implosait, et elle n’avait jamais su avoir les mots. Pour le calmer peut-être, essayer de soigner ses blessures bien moins, et une pointe de culpabilité l’atteignit. Ce n’était pas juste et elle se promit d’y remédier. Non pas par soucis d’égalité, mais parce qu’il le méritait.

- Non, non Drago, ce n’est pas ça. Si j’en doutais je ne serais pas restée.

Tout en parlant elle avait contourné l’îlot pour le rejoindre, puisqu’il se trouvait de l’autre côté. Elle réalisa qu’elle luttait, qu’elle luttait sans cesse, même alors qu’elle avait cru s’abandonner. Contre qui se battait-elle, si ce n’est elle-même? Jusqu’à ce qu’elle passe le pas de cette porte, elle décida d’abandonner ce combat incessant qu’elle ne gagnerait jamais.

- T’as raison, ajouta-t-elle en posant avec douceur la main sur son avant-bras, ce n’est pas important. Alors on pourrait juste oublier ça ? "

Elle avait l’impression de se défiler, mais elle ne voulait pas alourdir et gâcher tout ce qu’ils avaient partagé. Ce ne serait qu’enlaidir ce qui était encore beau.

- Non, non Drago, ce n’est pas ça. Si j’en doutais je ne serais pas restée.

Bien. Alors il ne comprenait vraiment pas quel était son problème. Il ne valait donc mieux pas savoir. Au lieu de développer davantage elle revint un peu plus proche et posa une main plus avenante sur son bras.

- T’as raison, ce n’est pas important. Alors on pourrait juste oublier ça ?

C'était tout à fait le genre de conversation sujette à problèmes que Drago évitait quand il venait de "passer la nuit" avec quelqu'un, et pourtant cette fois-ci il aurait bien voulu causer plus longtemps. Intérieurement, il le voulait, mais il ne savait pas comment. Alors il pinça ses lèvres, l'air légèrement confus, ou concentré, puis revint à sa mine indifférente.

- Si tu veux.

Le contact de sa main sur sa peau calmait un peu ses doutes mais ce n'était pas tout à fait suffisant. Qu'est-ce qu'il se passait dans sa petite tête ? Il se ravisa.

- En fait, non, lâcha-t-il en se mettant bien en face d'elle pour la contraindre à affronter son regard de plomb. Je veux savoir ce qui te gêne.

Il la défiait du regard mais ne semblait pas taquin du tout. Il était très sérieux.

- Qu'est-ce qui te perturbe autant dans l'expression "amie privilégiée", précisa-t-il.

Soit il jouait à l'idiot, soit il l'était réellement. Il ignorait s'il essayait de lui faire dire ce qu'il ne pouvait s'avouer à lui-même, histoire de les libérer tous les deux une bonne fois pour toutes, ou s'il se sentait simplement concerné par les tracas de la jeune femme de manière totalement désintéressée. Pourtant, il suffit de connaître Drago Malefoy pour savoir que, venant de lui, rien n'est jamais vraiment désintéressé.

" - Si tu veux.

Un soupir d’aise faillit lui échapper. Seulement, son répit fut de trop courte durée. La gêne n’avait pas à exister ce jour, mais le Malefoy préféra l’ignorer pour la ramener à eux, plus prenante encore. À croire qu’il s’en amusait, même si son visage ne le trahissait nullement.

- En fait, non. Je veux savoir ce qui te gêne. Qu'est-ce qui te perturbe autant dans l'expression "amie privilégiée".

Héra était profondément mal à l’aise. Ce n’était pas tant la question de Drago, mais surtout qu’il l’oblige à y faire face. Même en observant le problème sous différents angles elle était incapable de dire pourquoi ça l’avait tant agacée. Elle avait des bribes d’idées mais rien qui ne l’ait convaincue. Rien sur quoi elle n'ait accepté de s'attarder, d'avouer moins encore. En retirant sa main elle balbutia :

- Je ne sais pas, c’est …

Affrontant son regard qu’elle s’était évertuée à éviter, elle capitula. Elle avait déjà été plus honnête qu’elle ne s’en croyait capable et avait besoin qu’il l’aide un peu, autrement qu’en l’interrogeant. La discussion était assez pénible pour qu’ils en partagent la charge. Plus que d’équité, c’était en fait un peu de courage qu’elle cherchait en lui :

- Qu’est-ce que tu voudrais que je te répondes, Drago ? "

Ils pourraient continuer longtemps ainsi, elle aurait voulu lâcher prise et dire tout ce qu’elle cachait au fond d’elle. Cependant pour être sincère avec lui elle devait l’être avec elle. S’il parvenait à faire tomber cette barrière qu’elle confortait avec ardeur depuis des années, il réussirait un exploit que nul n’aurait pu soupçonner.

- Je ne sais pas, c’est …

Allait-il enfin savoir ?

- Qu’est-ce que tu voudrais que je te réponde, Drago ?

Raté. A la place, il fut pris à son propre piège, bien que ce dernier n'était pas tendu volontairement. Il aurait pu agir avec nonchalance comme d'habitude, hausser les épaules comme s'il n'y avait rien de pesant dans le sous-entendu de leur conversation. Pourtant, il se mordilla la lèvre inférieure tout en restant axé sur les pupilles extrêmement dilatées de la jeune femme. Il la sondait dans le blanc des yeux, le plus sérieusement du monde, cherchant une réponse qu'il ne parvenait à trouver.

- Je sais pas, avoua-t-il avec une pointe de doute, sans son masque habituel.

Voilà qui avait au moins le mérite d'être honnête. Un peu lâche aussi, mais Drago n'était pas connu pour être particulièrement hardi. Pourtant il en était frustré. Qu'aurait-il bien pu lui dire ? Lui-même ne savait pas comment mettre des mots sur ses pensées ni comment leur donner un sens, et encore moins comment les formuler. Il se détourna légèrement d'elle pour saisir sa baguette un peu plus loin sur le comptoir.

- Accio bouteille, lança-t-il pour se désaltérer un peu comme pour y voir plus clair.

Il reposa la bouteille et passa une main derrière sa nuque pour se détendre un peu. Il avait envie de lui dire "En tous cas tu reviens dans mon lit quand tu veux Greengrass", histoire de radoucir l'atmosphère sur un ton plus léger, mais il sentait que ce serait mal interprété et il ne voulait pas en rajouter ou, pire, être mal compris. Quoiqu'il dise, il avait la sensation que ça tomberait à côté. Il ne pouvait pas plaisanter et, pour l'un comme pour l'autre, il était de toute évidence impossible d'aborder les points sérieux et profonds. Il se sentait prisonnier de cette situation, comme s'il n'y avait aucune issue.

- Je sais pas, rajouta-t-il avec plus d'indifférence et de barrières, comme pour clore le débat et faire celui qui ne s'en soucie pas outre mesure.

D’un ton qui ne donna pas envie à la sorcière de répondre, Drago mit fin à la conversation. Le malaise qui s’était installé s’ancrait alors qu’elle aurait tout essayé pour le dissiper. Elle était trop gênée pour tenter de dire, de faire moins encore, quoi que ce soit dans ce sens. Alors elle ramena derrière ses épaules ses cheveux qui n’avaient toujours pas séchés, annonçant d’une voix neutre qu’elle allait récupérer ses affaires pour rentrer chez elle. Lorsqu’elle sortit de la pièce en rejoignant la chambre dans laquelle elle avait été censée dormir, un poids la quitta. S’éloigner de son hôte lui fit un bien fou mais n’effaça pas le goût amer qui persistait dans sa bouche.

Elle ne s’aperçut pas que le carnet qu’elle transportait partout avec elle glissa lorsqu’elle saisit son sac, pas plus qu’elle ne le remarqua, entrouvert sur le sol. En repartant dans la direction opposée elle l’y abandonna et quitta l’appartement sans soupçon. Ses au revoir à Drago furent d’ailleurs froids, elle lui glissa seulement qu’il n’avait pas besoin de la raccompagner à la porte, et invitée polie, le remercia.

En déboulant dans l’allée londonienne elle ne savait que penser. Tout ce qu’elle était capable d’affirmer, c’est qu’elle se sentait mal.