Le plancher craquant presque sans bruit sous ses pas, Héra entra dans l’appartement de son ami. Aussi étonnant celui puisse-t-il paraître c’était la première fois qu’il l’y invitait. Malgré les rancœurs persistantes qu’elle éprouvait à son égard elle n’avait pas su refuser. Ses mots frappaient justes, et même si ça n’avait pas été le cas, le fait qu’il s’agisse de Drago aurait suffit. Elle lui en voulait, parfois même au point de vouloir le voir disparaître, mais il y avait toujours cette partie d’elle qui voulait retenir tout près d’elle chaque bribe de son être. Et elle s’en détestait.

Le lieu était à l’image de son propriétaire. Classieux, expansif, mais ne révélant rien de lui. À croire qu’il cherchait à gommer, même dans le placement d’une table, la moindre de ses pensés qu’on pourrait analyser. Cachait-il aussi ses miroir de crainte qu’on y perçoive son reflet ? De toute évidence pas puisque Héra en remarqua un. Elle se vit, habillée sobrement, maquillée sans plus d’extravagance, mais avec soin tout de même. Retrouver Drago, c’était comme revoir un ancien camarade qu’on se devait d’impressionner. C’était pourtant lui qui avait tout à prouver.

« - Tiens.

Elle lui tendit la bouteille qu’elle avait amenée, et une bonne. Son père était fin connaisseur et l’avait habituée à ne jamais s’abaisser au bas de gamme. Depuis la fin de sa scolarité elle avait dû revoir tout son confort à la baisse mais elle respectait cette seule condition, presque comme un hommage à cet homme qu’elle avait tant aimé.

- Il aura fallu que tu m’oublies pendant des mois pour enfin m’inviter chez toi. »

Son ton taquin ne trompa personne, ni même l’intensité de son regard. Elle le détourna vite pour ne pas qu’il lui pèse trop, pour ne pas assombrir le moment. Inévitablement, elle le détestait de l’avoir abandonnée et tenait à lui faire savoir. Tout aussi inévitablement, il lui avait tant manqué qu’elle ne voulait plus gaspiller un seul instant à ses côtés.

Au manoir, en dehors des mixtures d'apothicaire, on n'avait pas enseigné à Drago l'art d'associer des ingrédients pour en faire des chef d'oeuvres gustatifs. C'est pourquoi il avait naturellement engagé un elfe pour s'occuper du dîner de ce soir, peu désireux de tester ses talents de cuisinier lors de ces retrouvailles cruciales. Cruciales, c'est bien le mot. Il savait qu'Héra Greengrass, qui mettrait les pieds chez lui pour la toute première fois dans exactement 4 minutes, lui en voulait d'être parti sans un mot, sans donner d'explication et sans même chercher à la joindre après ça. Une fois aspiré dans ses tourments, d'autres priorités avaient détourné son attention. Héra l'ignorait mais le blond vivait une période obscure qui ravivait de vieux souvenirs, laissant au fond de sa gorge comme un goût amer permanent. Le déjà-vu. Il avait hésité à lui en parler la dernière fois, puis il s'était rapidement ravisé. Comment faire sans la mêler à tout ça, sans la mettre en danger ? Impossible. Alors il arborerait son air faussement taquin pour faire diversion, et sa mine sombre quand son contrôle lui échapperait. Il ferait comme si rien n'a d'importance, qu'importe si ça lui est pénible.

Quand son invitée se manifesta, tout était prêt, propre ou sur le feu. A son image. Il était prêt à encaisser les foudres de la journaliste.

- Tiens. lui lança-t-elle en tendant une bouteille de vin.

Il ne put s'empêcher d'esquisser un rictus, pas tant moqueur, plutôt entendu. Cette manière qu'elle avait de se montrer finement sèche, l'air de rien, était tout à fait charmant. Et surtout, il s'y attendait.

- Bonsoir Greengrass, bienvenue dans mon humble demeure, l'acceuilla-t-il en tendant un bras.

- Il aura fallu que tu m’oublies pendant des mois pour enfin m’inviter chez toi.

Première pique. Il y répondit par un autre sourire évocateur.

- Si tu voulais venir il suffisait de demander, je ne te l'aurais pas refusé. Il marqua un temps nonchalant pour zyeuter l'étiquette de la bouteille et haussa les sourcils. Excellent choix.

Plus elle le piquait, plus il se déridait, s'adoucissait. Extrêmement paradoxal et inhabituel pour Drago Malefoy, de quoi se poser des questions. Pour un peu il l'aurait appelée par son prénom. Sans attendre, il l'invita à le suivre pour s'installer autour de la table basse. Il usa naturellement d'un sortilège informulé pour débouchonner la merveille et remplir les deux grands verres à vin déjà posés sur la table. Puis il lui en tendit un. Par Merlin qu'est-ce qu'il avait envie de boire... Qu'est-ce qu'il avait besoin de boire...

- A toi, ici, trinqua-t-il avant de s'empresser de vider le contenu d'un trait, sans même en apprécier les saveurs. Un scandale. Son calme contrastait nettement avec sa ferveur. Sans doute qu'elle trahissait quelques maux, mais pas suffisamment pour perdre totalement la face.

- Alors comment tu trouves ? lâcha-t-il avant de se resservir un verre. - Mon appartement. précisa-t-il.

Il n'avait peut-être pas conscience que c'était impoli de se resservir sans attendre son invitée. Il tentait de faire bonne figure, de la jouer serein comme il l'était à son habitude, comme avant, quand tout allait bien. Sans pouvoir le définir, la savoir ici lui ramenait toutefois un peu de chaleur. Il s'en contenterait, même si c'était pour subir quelques regards froids. Ces regards-là lui faisaient plus de bien que le reste.

Drago l’entraîna vers le salon, et docile, elle l’y suivit. Saisissant de la même manière le verre de vin qu’il lui tendit elle trinqua avec lui, sourcillant à ce à quoi il le dédiait. Elle, ici … Il y avait bien d’autres choses à célébrer. Son retour, par exemple ? Les preuves qu’il aurait à faire ? Ses excuses, encore ? Ce n’était pas les idées qui manquait à la sorcière mais elle préféra mêler le venin de ses mots à l’alcool que les laisser découler hors d’elle.

" - Alors comment tu trouves ? Mon appartement.

Elle inspira en reprenant son inspection. Qu’allait-elle dire ? Qu’il ne la trompait pas, que sa jolie maison d’exposition pourrait être celle de n’importe qui et que ce léger détail n’en était pas un ? Elle ne voulait pas le brusquer et était plus sur la réserve que quelques mois plus tôt. La désagréable impression qu’il pouvait se volatiliser à chaque instant ne la quittait pas. Cette angoisse lui tordait les tripes, un mot de travers et il pourrait se lasser d’elle, l’abandonner encore. Elle en aurait vomit tant son estomac s’en retournait.

Alors qu’elle observait ce qui l’entourait, elle oublia la question qui lui avait été posée. Son regard s’arrêta sur Drago qui se resservait, et elle eut l’impression de ne plus exister, qu’une barrière invisible les séparait, comme s’il était prisonnier d’un tableau. Un peintre avait capturé son geste, à travers lui tout son être en une sérénité étonnante. Cette vision l’apaisa et elle se surprit à sourire. Dissimulant bien vide son rictus dans le liquide brun elle le termina pour s’aligner sur son hôte.

- Qu’est-ce que tu veux noyer comme ça ? "

Son ton était détaché, elle ne cherchait pas à percer ses secrets. Une distance persistait. Elle n'était qu'impalpable puisque Héra s'approcha pour saisir la bouteille. Contrairement à la manière dont elle se serait comporté auparavant elle n'était pas gênée. C'était elle qui empiétait sur l'espace du blond et pas le contraire. Tout était question d'intention. Le fait qu'elle se concentre sur ce qu'elle tenait sans croiser son regard aidait à la maintenir hors de portée malgré le peu d'espace qui les séparait.

- Qu’est-ce que tu veux noyer comme ça ?

Quel oeil de lynx.

- La douleur intenable d'avoir baissé dans ton estime, Greengrass, répondit-il à moitié sur le ton de la plaisanterie.

Il avait bon espoir que ça briserait la glace. A vrai dire, plus le vin s'infiltrait dans ses veines, plus il avait envie de jouer franc-jeu. Lorsque la brune s'empara de la bouteille il la laissa faire sans opposer de résistance. Il n'attendait que ça, qu'elle prenne les devants, qu'elle s'affirme et explose s'il le faut. Qu'elle prenne ses aises, enfin. Qu'elle fasse comme chez elle. Il regardait ses mouvements sûrs et précis tandis qu'elle se servait un autre verre et il apprécia l'image. Il ne lui sembla pas l'avoir déjà vue si revêche, même secrètement. Ce qui est bien chez Héra, c'est que tout se lit sur son visage et en cet instant précis il croyait voir un milliard de reproches assourdissants. Elle qui était si joviale, avant.

- Tu vas pas me faire croire que mon absence t'a causée autant de mal.

Et voilà, il mettait les pieds dans le plat. Lui qui avait tant voulu éviter l'esclandre lors de leur dernière rencontre y allait tête la première désormais. Mais l'ambiance était bizarre, et masochiste qu'il était, tous deux dans cette intimité nouvelle, il avait envie de rendre ça plus inconfortable encore, et de s'y complaire avec elle.

Elle ne sentit pas cette gêne qui émanait de lui lorsqu’une de ses questions le mettait mal à l’aise et qu’il cherchait comme l’esquiver. Ce fut tout naturellement qu’il le fit, dans une ironie qui se teintait de sincérité. Qu’il le veuille ou non elle le prit au sérieux même en ayant décelé la plaisanterie. De là à croire que ça importait pour lui, certainement pas, mais elle cru y voir une part de vérité tout de même.

" - La douleur intenable d'avoir baissé dans ton estime, Greengrass.

Elle étouffa le rire sans joie qui voulut s’emparer d’elle. Sans cesser de l’ignorer, elle répondit d'un presque agacé, sans l'être pour autant. Les remparts qu'elle montait étaient de plus en plus épais.

- J’espère que tu as des réserves, ta chute a été vertigineuse.

- Tu vas pas me faire croire que mon absence t'a causée autant de mal.

Sa respiration se bloqua, et elle leva enfin son visage pour que ses yeux rencontrent ceux de Drago. Elle resta silencieuse un instant à les sonder, essayer peut-être d’y faire passer ce qu’elle ne pouvait exprimer, elle envisagea même une seconde ne jamais lui répondre. Ce ne fut pourtant pas faute d’essayer. Elle entrouvrit la bouche, la referma. Déglutit. La rouvrit.

- Ce n’est pas parce que les autres n’ont aucune importance pour toi que tu n’en as pas pour eux, émit-elle d’une voix à peine plus haute qu’un chuchotis. Et tu en as … Avais, pour moi.

Dès qu’elle eut finit sa phrase elle se détourna, rompant le contact, et s’écarta en finissant son deuxième verre déjà. Elle ne s'était pas reprise consciemment, mais elle se protégeait. Désormais elle n'arrivait plus à se montrer vulnérable devant lui.

- Nous ne devions pas dîner ? "

Elle n’avait même pas faim.

- Ce n’est pas parce que les autres n’ont aucune importance pour toi que tu n’en as pas pour eux. Et tu en as … Avais, pour moi.

Ces mots bêtes et brutaux l'atteignirent avec plus de force qu'il ne put l'admettre. Il resta planté là, à la regarder déverser toute sa déception. Il ne pensait pas l'avoir autant blessée, honnêtement, et il ignorait posséder autant de pouvoir sur elle. Pire encore, il ne pensait pas qu'elle avait le pouvoir de tordre ses boyaux comme il pouvait très distinctement le sentir présentement.

- Nous ne devions pas dîner ?

Pour seule réponse, Drago ramena la bouteille vers lui mais, cette fois, il s'assura que le verre de sa partenaire était plein avant de s'occuper du sien, quitte à n'y rajouter que quelques gouttes.

- Parce que tu as faim ? balança-t-il fermement en se concentrant sur son geste.

Puis il reposa la bouteille. Et un verre de plus dans le gosier. Un.
Sans attendre sa réponse, il fixa un point dans le vague, puis s'attarda sur ses yeux dans l'espoir d'y saisir quelque chose. La déception, toujours et encore. Drago était toutefois perplexe. Il ne se sentait pas énervé, curieusement, ni agacé par ces reproches. Il en était interloqué.

Très calmement, il décida de la sonder.

- Pourquoi crois-tu que tu n'as aucune importance pour moi ? Quelqu'un te l'a dit ou c'est toi qui t'es mis ça dans la tête ? Tu ne crois pas que tu pourrais me poser directement la question au lieu de parler en mon nom ?

Il avait rectifié ses mots. Elle avait employé "on" et, dans ce cas, elle avait raison. Il n'accordait pas ses grâces à n'importe qui. Mais il trouvait insupportable le fait qu'elle s'approprie des mots et des pensées qu'il n'avait jamais éprouvés. Elle n'avait pas idée de ce qui se tramait dans sa vie actuellement, et encore moins dans sa tête. Comment osait-elle s'avancer sur ce terrain-là ? Et pourtant, il n'en était pas offusqué. Il attendait sa réponse dans un calme olympien.

De quelques mots il repoussa leur dîner, et elle n’alla pas contre sa décision. Elle n’avait aucune envie de s’asseoir à une table, le regarder dans le blanc des yeux ou au contraire se perdre dans le décor en une vaine tentative d’oublier sa présence. La liberté que lui laissait sa position debout lui était bien plus confortable. Elle fit d’ailleurs quelques pas pour s’éloigner en finissant son vin.

" - Pourquoi crois-tu que tu n'as aucune importance pour moi ? Quelqu'un te l'a dit ou c'est toi qui t'es mis ça dans la tête ? Tu ne crois pas que tu pourrais me poser directement la question au lieu de parler en mon nom ?

Expirant, Héra passa une main dans ses cheveux comme pour se calmer, posant son verre sur un guéridon, manquant de le briser dans son agacement. Il ne pourrait pas lui reprocher sa réponse puisqu’il avait posé la question. C’était lui qui les menait à cette position délicate, lui qui ressassait son erreur. Qu’importe qu’elle ait lancé la première pique, il savait slalomer entre les sujets s’il le voulait.

- Mais enfin Drago, ne se retint-elle plus, des mots sont-ils nécessaires lorsque les actes parlent d’eux-mêmes ? Tu m’as laissée, deux fois, sans un mot, comme si je n’étais rien. Comment veux tu que je fasses d’autres conclusion. Et puis, je te rappelle que tu n’étais pas là pour que je puisse les vérifier.

Son ton était acide, et sans se taire elle récupéra le contenant qu’elle emplit à nouveau, veillant à rester aussi loin que possible que son … Ami ?

- Le fait même que tu penses ne pas m’avoir fait de mal prouve que j’ai raison. Peut-être que si les rôles avaient été inversés, tu n’aurais pas été touché, mais ce n’est pas mon cas.

S’interrompant alors qu’elle faisait les cents pas, à quelques mètres de lui, leurs personnes face à face, ne buvant plus (il ne restait rien), elle poursuivit :

- Tu était la seule personne qui …

Elle sembla se reprendre, regardant ailleurs. Son ton s’adoucit, ou plutôt se soumit :

- Oublie. Je ne voulais pas te faire de reproche. "

- Mais enfin Drago, des mots sont-ils nécessaires lorsque les actes parlent d’eux-mêmes ? Tu m’as laissée, deux fois, sans un mot, comme si je n’étais rien. Comment veux tu que je fasses d’autres conclusion. Et puis, je te rappelle que tu n’étais pas là pour que je puisse les vérifier.

Par Merlin qu'elle pouvait être agaçante quand elle s'y mettait ! Si son but était de le faire bouillonner en usant de sa patience jusqu'à la lie alors elle y parviendrait !

- Le fait même que tu penses ne pas m’avoir fait de mal prouve que j’ai raison. Peut-être que si les rôles avaient été inversés, tu n’aurais pas été touché, mais ce n’est pas mon cas. Tu était la seule personne qui … Oublie. Je ne voulais pas te faire de reproche.

Sa mâchoire devenait douloureuse tant il la contractait. Il n'avait d'autre moyen que de la délier, quitte à se montrer un tantinet plus explosif qu'antérieurement.

- Greengrass tu me rends dingue, tu sais ça ?! Ca ne t'a jamais effleuré l'esprit qu'il n'y avait pas que toi dans l'équation ?! Tu crois que je suis parti faire la tournée des matchs de Quidditch internationaux ou un truc du genre ? Que j'ai pris du bon temps et que j'étais content de te quitter toi, Pansy, et mes proches ? Sérieusement Héra ?? Tu peux pas voir un peu plus loin que le bout de ton nez et te dire qu'il y a des choses qui, peut-être je dis bien peut-être, te dépassent et qui ne t'incluent pas, peut-être même pour ton propre bien ?? T'y as pensé à ça ou tu fais exprès de faire... ça là, ton numéro.

Son ton s'était vaguement radouci à ces derniers mots, livrant son agressivité d'un geste de la main pour les ponctuer. C'est alors qu'il devint dédaigneux.

- Tu es stupide Greengrass. Complètement stupide. Il alla chercher une autre bouteille pour rompre le dialogue un bref instant. Les deux auraient 30 secondes de répit pour assimiler ce petit débordement, et choisir de le poursuivre ou de s'assagir.

Même en ne le regardant pas elle le sentit se tendre. La tension dans la pièce n’augmenta pour autant pas, la brune étant parvenu à la faire monter d’elle-même suffisamment. Elle n’était plus capable d’aucune empathie, trop agacée, jusqu’à entendre les mots de Drago. Ce n’était pas faute d’avoir essayé de le tempérer pourtant, elle avait voulu ravaler ses reproches. Sa tentative était restée infructueuse.

" - Greengrass tu me rends dingue, tu sais ça ?! Ca ne t'a jamais effleuré l'esprit qu'il n'y avait pas que toi dans l'équation ?! Tu crois que je suis parti faire la tournée des matchs de Quidditch internationaux ou un truc du genre ? Que j'ai pris du bon temps et que j'étais content de te quitter toi, Pansy, et mes proches ?

Cette dernière phrase lui laissa un goût amer. Égoïstement elle buta dessus, pour le simple fait qu’il ait noté l’importance d’autres personnes. Était-ce nécessaire ? Ils parlaient de lui, d’elle. D’eux. Il n’y avait pas à ajouter qui que ce soit à ça. Pas même Pansy.

- Sérieusement Héra ?? Tu peux pas voir un peu plus loin que le bout de ton nez et te dire qu'il y a des choses qui, peut-être je dis bien peut-être, te dépassent et qui ne t'incluent pas, peut-être même pour ton propre bien ?? T'y as pensé à ça ou tu fais exprès de faire... ça là, ton numéro.

Elle voulu répondre mais il l’en empêcha.

- Tu es stupide Greengrass. Complètement stupide. 

Un bref instant elle resta mutique, réalisant à peine qu’il venait de l’insulter – même si elle n’y perçut aucune méchanceté – mais elle se reprit bien vite et fit volte face pour le retenir. Saisissant son bras elle le retourna vers elle.

- Je suis vraiment désolée, Drago, de ne pas être capable de faire comme si tu ne m’avais pas blessée. De ne pas savoir oublier tous ces mois où j’étais morte d’inquiétude, à penser une seconde que tu n’aurais pas pu me laisser comme ça et qu’il t’était forcément arrivé un truc grave, et une autre que c'était juste que ne valais pas la peine d’être prévenue. Désolée d’avoir constaté que cette seconde option s’était révélée être exacte et d’avoir malgré tout été rassurée qu’il ne te soit rien arrivé. Je suis désolée que tu ne te sentes pas capable de me parler, que tu me caches des choses en me disant que je ne peux pas comprendre, que ça me dépasse, pour après me reprocher de ne pas aller contre ta volonté en déterrant tes secrets. Mais surtout, je suis désolée d’être tellement autocentrée que j’ose penser à la douleur que j’ai ressenti lorsque la seule personne en laquelle j’avais encore confiance - une personne qui a encore tellement d’importance pour moi, la seule à ne pas m’avoir encore abandonnée, l’ait fait aussi. Deux. Fois.

Elle l’avait dit, mais elle n’était même pas capable de saisir la portée de tout ce qu’elle lui balançait.

- J’espère que tu m’excuseras mes erreurs de jugement. "

Drago n'eut pas le temps de se diriger vers la cuisine pour se réapprovisionner comme convenu puisque son bras fut hautement réquisitionné par son invitée. Assez brutalement d'ailleurs, ce qui ne manqua pas de le surprendre. Depuis quand était-elle si vive ? Tout partait en vrille. Il la fixait prêt à bondir au moindre reproche mais, à l'inverse, ses traits s'affaissaient à mesure qu'elle lui imposait son fardeau.

- Je suis vraiment désolée, Drago, de ne pas être capable de faire comme si tu ne m’avais pas blessée. De ne pas savoir oublier tous ces mois où j’étais morte d’inquiétude, à penser une seconde que tu n’aurais pas pu me laisser comme ça et qu’il t’était forcément arrivé un truc grave, et une autre que c'était juste que ne valais pas la peine d’être prévenue...

Finalement, elle se décidait à lui déverser tout ce qu'elle gardait en elle depuis tout ce temps. Drago n'eut d'autre choix que de prendre en compte ce dégueulis de mots, comme une nécessité qu'elle avait et qu'il fallait lui accorder. Elle lui tenait toujours le bras, comme pour le forcer à l'écouter, mais il était tout ouïe, fixant ses prunelles brillantes, détaillant chaque fossette expressive. Il ne l'avait encore jamais vue animée d'un tel feu.

- Greengrass...  s'essaya-t-il une première fois.

...Désolée d’avoir constaté que cette seconde option s’était révélée être exacte et d’avoir malgré tout été rassurée qu’il ne te soit rien arrivé. Je suis désolée que tu ne te sentes pas capable de me parler, que tu me caches des choses en me disant que je ne peux pas comprendre, que ça me dépasse, pour après me reprocher de ne pas aller contre ta volonté en déterrant tes secrets...

Ce dernier point le toucha, quelque part, au fond de ses tripes. Il savait qu'elle avait raison. Il savait qu'il n'était pas cohérent dans sa démarche de la tenir éloignée tout en la voulant proche. Elle mettait le doigt dessus quand il fallait le nier. Pourquoi ne se censurait-elle pas comme ils savaient si bien faire ?

- Héra...  tenta-t-il encore plus posément. Sans succès.

...Mais surtout, je suis désolée d’être tellement autocentrée que j’ose penser à la douleur que j’ai ressenti lorsque la seule personne en laquelle j’avais encore confiance - une personne qui a encore tellement d’importance pour moi, la seule à ne pas m’avoir encore abandonnée, l’ait fait aussi. Deux. Fois. J’espère que tu m’excuseras mes erreurs de jugement.

Long silence.

Touché. Drago avait donc failli à son devoir. Il ne l'avait pas déçue, comme ça, anecdotiquement, il l'avait profondément blessée, d'une mesure qu'il n'avait même pas osé imaginer, et cette seule pensée lui chamboula l'esprit en provoquant au passage un roulement de tambours tonitruant dans sa poitrine.

- Héra... osa-t-il une ultime fois.

Alors qu'elle l'écoutait enfin, il baissa finalement les yeux pour éviter son regard inquisiteur. C'était trop inconfortable. Il déglutit rapidement avant d'affronter à nouveau le visage de la jeune femme mise à nue devant lui, et un sentiment étrange l'anima. Comme une envie de la protéger, de lui dire que tout ira bien. Alors, il saisit sa main pour l'extirper doucement de son bras qu'elle tenait toujours afin de l'emprisonner dans les siennes un bref instant.

- Je suis désolé.

Ses yeux anthracites étaient littéralement plongés dans les siens, comme pour l'hypnotiser, ou plutôt comme pour s'hypnotiser mutuellement et éventuellement parvenir à se comprendre, à se trouver.

" - Je suis désolé.

La jeune femme se calma instantanément, tentant d’aligner son souffle qui s’était précipité au fil de sa tirade. Elle n’avait pas imaginé que l’un d’eux dirait « stop », qu’ils mettraient fin à cette escalade qui ne connaîtrait aucune apothéose. Contre toute attente, Drago y était parvenu. Ce n’était pas assez. Elle voulait croire qu’il était sincère, et ses mots résonnaient en elle avec force, mais ça ne suffisait pas. On ne réparait pas de telles fissures avec des excuses, et elle n’était même pas sûre que ses actes y parviennent. Au fond d’elle elle ne voulait que lui pardonner mais refoulait cette idée.

Elle décortiqua ses gestes comme si ce n’était pas elle qu’il touchait, ou plutôt comme si elle était une poupée sans vie qu’il déplaçait à sa guise. Ce ne fut pas ce qui l’empêcha de sentir la douceur de sa main sur la sienne, ni d’être emplie du sentiment d’apaisement que ce simple geste anima en elle. Elle voulut le dévisager mais ne sut voir que ses yeux, ces pupilles qui mentaient tant et dans lesquelles elle pu lire. En cet instant il lui semblait pouvoir y déceler chacun de ses secrets. Elle eut l’impression de lui voler une part de lui et elle se détourna. Cette proximité lui manqua immédiatement, elle avait besoin de lui, et ce fut pourquoi elle se glissa dans ses bras, le visage caché contre son torse. Elle ne voulait rien d’autre en cet instant. Elle ne voulait pas penser, évaluer, réfléchir, elle ne voulait que ça.

- Tu n’imagines pas comme je suis en colère contre toi, finit-elle par chuchoter, mais c’est tellement plus facile que d’admettre que j’ai mal. Que j’ai peur. "

Héra avait l’impression de parler à son reflet, ou même de ne pas parler, d’assumer enfin ce qu’elle pensait sans que ni personne, ni même elle-même, n’ait à le subir. Elle se libérait d’un poids qu’elle ne savait porter sans réaliser qu’elle le partageait juste.

Ils restèrent ainsi un moment, sans trop savoir quoi faire ou dire, juste à se regarder dans le blanc des yeux et attendre. Drago attendait la sentence, une gifle, quelque chose pour lui faire comprendre qu'un mot d'excuse ne serait pas suffisant, mais à sa grande surprise il sentit la brune se rapprocher tout contre lui pour enserrer son torse, ce qui lui provoqua un bond stupéfiant dans la poitrine. Son coeur manqua littéralement un battement suite à ce geste inattendu. Ses yeux fixaient le vague et ses sourcils se fronçèrent légèrement comme si son esprit tentait de se débattre avec la situation. Ce conflit intérieur ne dura pas bien longtemps. Il entoura ses bras autour d'elle pour la serrer un peu plus fort, doucement, mais avec intensité, et s'abandonna à cette délectable sensation qu'il ne valait mieux pas chercher à justifier. Il pouvait sentir son visage blotti contre lui et ça lui donnait envie de l'emprisonner encore plus fort, pour le posséder et l'empêcher d'en sortir pour de bon. Alors il laissa sa tête reposer sur la sienne sans trop se poser de questions, dans un angle suffisamment arrangeant pour s'enivrer du parfum de sa crinière. Par Merlin, qu'il était bien... Apaisé. Il ne s'était pas senti aussi bien depuis longtemps.

- Tu n’imagines pas comme je suis en colère contre toi, mais c’est tellement plus facile que d’admettre que j’ai mal. Que j’ai peur.

Sa remarque le réveilla partiellement mais, dans cette posture, il n'avait d'autre choix que de capituler. Il lui livrerait au moins une réponse.

Tu es importante Greengrass, ça me semble évident. susurra-t-il à son oreille sans relâcher son étreinte.

Le corps de Drago tout contre elle, la jeune femme n’aurait plus jamais voulu bouger. Elle aurait aimé que le temps s’arrête, qu’il se fige, et rester éternellement ainsi. Une voix vint pourtant briser l’instant, en réponse à la sienne, sans l’enlaidir d’aucune sorte. Tu es importante Greengrass, ça me semble évident. Elle tiqua. Pareils mots de la part du blond étaient surprenants, plus encore en cette seconde précise. Elle saisit mal leur portée mais ils ne manquèrent pas de la toucher pour autant. Après tout ce qu’ils avaient traversé elle avait besoin d’être rassurée, de savoir que leur relation n’était pas et n’avait jamais été à sens unique. Elle resserra son emprise comme si elle craignait qu’il ne la lâche.

" - Alors pourquoi est-ce que tu m’as laissée ? J’avais besoin de toi.

Il n’y avait aucune accusation dans sa voix, rien d’autre qu’une sincérité déchirante. Peut-être était-ce le vin, peut-être était-ce la noirceur du soir, peut-être était-ce Drago, mais elle n’arrivait plus à se taire. Elle avait l’impression de lui devoir, de se devoir aussi, de dire la vérité. Ça ne l’empêchait pas de cacher bien de ses secrets.

Elle détacha d’une légèreté presque imperceptible le haut de son corps pour observer son visage. Avec précaution sa main alla caresser l’une de ses pommettes et elle concentra son vue sur ce geste pour éviter ses yeux tandis qu’elle poursuivit.

- Je ne sais pas pourquoi tu es parti, je veux dire, pour de vrai, et tu as raison je n’ai peut-être pas été juste. Mais tu ne peux pas me demander de comprendre sans m’expliquer. De ma place tout ce que j’ai vu c’est que tu faisais parti de ma vie et que tu as disparu.

Sa voix se brisa et elle baissa les yeux.

- J’ai du mal à admettre à quel point tu m’as manqué, à quel point tout est devenu vide. "

Drago était l’ami le plus précieux qu’elle avait ce jour. Sa présence comptait à un point inimaginable, à un tel point qu’elle n’était pas capable de comprendre la portée des sentiments qu’elle éprouvait pour lui.

En cet instant Drago ne mesurait pas la portée de ses gestes ou de ses paroles. Tous deux étaient confinés dans une bulle qui n'appartenait qu'à eux et qu'il n'était pas de circonstance d'analyser. Héra logeait dans ses bras et il la retenait, refusant de la laisser partir, se raccrochant à elle pour contrebalancer avec le poids de son absence. Une absence qui n'a été profitable à aucun d'eux, sur tous les plans. Drago avait ainsi la posture du protecteur et pourtant, Héra constituait sa béquille. Yeux tantôt ouverts, tantôt demi clos, tantôt fermés, il laissait les grains du sablier s'écouler sans en saisir la mesure. Sans doute pouvait-elle sentir son coeur s'emballer dans sa poitrine, lui prouvant qu'il en avait bien un et qu'il se réveillait à son contact. Sans son consentement, l'une de ses mains s'était logée dans sa crinière pour en goûter la douceur, afin de vérifier qu'elle s'accordait bien à son parfum.

- Alors pourquoi est-ce que tu m’as laissée ? J’avais besoin de toi.

Le blond inspira un peu d'air et cligna des yeux avant de fixer un énième point dans le vague.

- Tu ne me l'as jamais dit, chuchota-t-il.

Et c'était vrai. Jamais elle ne lui avait indiqué qu'elle avait besoin de lui.

- J’ai du mal à admettre à quel point tu m’as manqué, à quel point tout est devenu vide.

Il inspira une nouvelle fois et laissa sa main se balader pour s'attarder sur sa taille fine. Par Merlin, il pouvait sentir ses courbes élégantes sous la pulpe de ses doigts et cela commençait à le titiller un peu trop. Alors il revint la fixer derrière sa nuque pour contrôler davantage leur proximité et l'intensité de leur étreinte.

- Je ne voulais pas te faire de mal Greengrass. J'étais à mille lieues de penser que je t'en ferais, susurra-t-il à son oreille.

Il réalisa qu'elle pouvait être fragile, bien plus qu'il ne l'imaginait. La fille joviale qui masquait ses tourments n'en était pas moins torturée et il avait tendance à l'oublier.

- Je ne sais pas pourquoi tu es parti, je veux dire, pour de vrai, et tu as raison je n’ai peut-être pas été juste. Mais tu ne peux pas me demander de comprendre sans m’expliquer. De ma place tout ce que j’ai vu c’est que tu faisais parti de ma vie et que tu as disparu.

Il soupira. Peut-être devait-il lui expliquer ? Ou pas. Ce dilemme ne l'assaillant pas pour la première fois, il se laissa pouffer légèrement, fatigué de lui-même et des circonstances de sa vie. Alors il dégagea ses bras pour se reculer légèrement, tout en restant cimenté aux siens, et vint délicatement prendre en coupe son petit visage dans ses mains pâles.

- Crois-moi il y a un tas de choses que j'aimerais te dire. Si je ne te les dis pas c'est pour ton bien. Ce n'est pas parce que tu n'es pas importante pour moi, c'est l'inverse. Est-ce que tu peux comprendre ça si je te le demande ?

Il faisait preuve d'une douceur qu'aucun de son entourage proche ou éloigné, pas lui-même d'ailleurs, n'aurait pu soupçonner. Etait-ce le vin ? Etait-ce elle ? Il marqua un temps.

- Je suis désolé, vraiment, répéta-t-il avec tout son sérieux, captant son regard de toute son électricité de fer, caressant ses joues délectablement chaudes.

Il était désolé de ne rien pouvoir lui dire, de ne pas partager ses démons pour s'en détacher, de l'avoir plombée tout ce temps. Il était désolé pour un tas de choses présentement. Mais Drago Malefoy n'était jamais désolé. S'il avait pu s'écarter de la scène un instant, il n'aurait probablement pas compris sa démarche.

Les mains de Drago encadrèrent son visage, et soudainement, elle se sentit prisonnière. La position dans laquelle elle se trouvait était loin d’être désagréable mais la plongeait dans une profonde sensation d’inconfort. Elle aurait voulu s’enfuir mais se trouvait incapable de bouger. Ce qui l’effrayait le plus, c'était de tant apprécier ses geôles. Ça ne lui donnait que plus envie de s’en défaire sans y parvenir encore.

" - Crois-moi il y a un tas de choses que j'aimerais te dire. Si je ne te les dis pas c'est pour ton bien. Ce n'est pas parce que tu n'es pas importante pour moi, c'est l'inverse. Est-ce que tu peux comprendre ça si je te le demande ?

Oui, mais sans l’accepter. Elle n’était pas une enfant qu’il fallait épargner, et même si elle parvenait à tempérer d’apparence sa curiosité, celle-ci la rongeait. Ce n’était pas seulement une égoïste envie de la satisfaire qui l’animait, elle voulait comprendre, l’aider. Elle savait qu’il était inutile d’assister alors elle s’abstint. Ce petit c'est l'inverse qui aurait dû la bouleverser se perdit dans le flot de leurs paroles.

- Je suis désolé, vraiment.

Héra eut l’impression qu’ils étaient arrivés au terme de leur conversation. Ils s’étaient énervés, s’étaient excusés, il n’y avait rien d’autre à dire. Elle ajouta pourtant :

- Moi aussi.

Pourquoi ? Elle n’en savait rien. Elle n’avait pas fauté mais culpabilisait presque d’avoir été si insistante et si vive. Avait-il mérité de recevoir toute sa rancœur ? À n’en point douter, mais Héra était ce qu’elle était. Elle se trouvait presque faible de s’écraser de la sorte alors que ce n’était qu’une façade. Malgré tout elle ne pardonnait pas, elle écartait seulement.

- J’ai l’impression que tout ça n’a pas de sens, ajouta-t-elle dans un sourire oscillant entre amusement et gêne. "

Suivant ses mots elle entreprit de s’écarter de lui. Elle avait besoin d’espace pour reprendre ses esprits, calmer ses pensés et les remettre à leur bonne place. Dans toute sa rigueur elle devait les compartimenter pour ne pas qu’elles lui échappent.

- Moi aussi, s'excusa-t-elle en retour, ce qui eut le mérite de le mettre face à son impuissance.

Tout ce qu'il faisait c'était perdre son regard dans le sien, le balayant avec frénésie comme pour y lire une absolution qui ne viendrait pas.

- J’ai l’impression que tout ça n’a pas de sens, surenchérit-elle en se dégageant, provoquant chez lui un agacement d'ordre supérieur si bien qu'il en haussa les yeux au ciel, passablement exaspéré, et la retint machinalement par le bras pour la ramener brutalement à lui.

- Reste là. T'es chiante Greengrass, à vouloir trouver du sens partout, râla t-il en prenant ses mains pour les enrouler autour de son buste, la forçant à maintenir une proximité aussi délicieuse que dérangeante.

C'était sorti tout seul. Le blond n'avait de toute évidence pu se résoudre à sa tentative d'éloignement pour rompre ce moment suspendu, alors il avait agi indépendamment de sa volonté, de sa raison. Il fallait juste qu'elle reste là, tout près. Mais voilà qu'elle, qui lui reprochait de poser des barrières, en dressait de plus hautes encore. Ce n'était pas le moment. Pas maintenant, pas comme ça.

En plantant de nouveau son regard d'acier dans le sien, à tout bien y réfléchir il réalisa qu'une telle situation s'était déjà produite. Une fois, sur une île perdue il y a quelques temps. A l'époque il n'en avait pas saisi toute la portée, il l'avait même délibérément ignoré tandis qu'aujourd'hui... Aujourd'hui c'était différent. Dans ces circonstances, dans le feu de l'action, sous l'influence du vin et de ses tourments plus tortueux encore, il ne pouvait se résoudre à fermer les yeux. La savoir près de lui apaisait ses maux et c'était plus fort que lui de vouloir prolonger ces instants.

Sa bouche avait l'air délicieuse et il eut envie d'y goûter de nouveau mais il se retint. Il prit juste le temps d'assimiler cette information en détaillant chaque fossette d'incompréhension sur son joli visage. Par Merlin, la bouche de Greengrass lui semblait si appétissante en cet instant ! Il aurait voulu qu'elle arrête de se débattre pour la posséder toute entière, mais tout ce qu'il faisait c'était la regarder en silence, attendant qu'elle se dégage une fois encore ou capitule pour être sienne.

Alors qu’elle s’éloignait, son partenaire la retint, l’obligeant à raffermir son étreinte. Lutter lui était de plus en plus difficile, tout autant un sentiment d’urgence la pressait. Elle devait s’éloigner, sans même comprendre quel danger elle fuyait. La menace invisible qui l’entourait se faisait plus présente, pressante, mais elle était presque prête à abdiquer face à elle.

" - Reste là. T'es chiante Greengrass, à vouloir trouver du sens partout.

C’était ce dont elle avait besoin. Si sa vie paraissait parfois désordonnée, ce n’était que d’apparence. Elle la réglementait avec soin pour que rien ne lui échappe. Le contrôle était primordial, elle avait tant subit qu’aujourd’hui, elle se devait de surveiller avec soin ce qu’elle faisait pour ne pas recommencer les mêmes erreurs. C’était cette peur viscérale qui combattit son désir de se loger plus encore dans les bras de Drago. Elle se battait contre elle-même, comme pour s’empêcher d’accéder à ce qu’elle voulait vraiment.

Que l'alchimiste la retienne de la sorte la surprit et elle ne su comment l'analyser, elle préféra d'ailleurs s'empêcher d'essayer. Ses phrases semblaient brutes, irréfléchies, et elles ne rendaient la situation que plus étrange. Comment était-elle censée avoir la moindre maîtrise dans ces conditions ?

Son regard la mit profondément mal à l’aise, plus encore associé à ses mots. Elle voulait obéir, mais c’était précisément parce qu’il le lui avait demandé qu’elle ne le pouvait pas. S’écartant encore elle détourna les yeux en essayant de se dégager. Elle eut l'impression qu'on l'amputait d'une part d'elle, qu'on la lui volait, ou peut-être même qu'elle la léguait de sa propre initiative. L'erreur n'était-elle pas là ?

- Je ne sais pas. "

Elle ne savait ce qu'elle avait voulu dire, elle-même ne comprenait pas. Pour tout avouer elle était complétement perdue.

Plutôt que de faire perdurer l'instant la brune préféra se dégager à nouveau, l'accablant d'un vague Je ne sais pas qui n'avait aucun sens. Il devenait ardu de se maîtriser à présent, raison pour laquelle il laissa son tempérament de feu éclater momentanément. Dans l'incompréhension la plus totale, il se mit à rire jaune.

- Putain tu me rends dingue...

Elle s'était vivement plainte de ne pas être importante pour lui. Voilà qu'il lui montrait à quel point leur proximité était primordiale et elle persistait à le repousser de tout son être. C'était à n'y rien comprendre ! Elle s'était présentée comme une infirmière avec son calmant et elle le lui retirait sournoisement. Il était si frustré que l'enfant capricieux en lui ne demandait qu'à être libéré. Alors en dernier recours il fit un pas affirmé vers elle mais elle recula.

Mais qu'est-ce que t'attends de moi ?! s'énerva-t-il.

D'autant plus frustré, il entreprit une démarche plus menaçante jusqu'à ce qu'elle bute le mur derrière elle puis vint impulsivement plaquer ses mains sur celui-ci, encadrant la dégonflée de ses bras possessifs pour l'empêcher de se dérober. La fusillant du regard, il se laissait emporter et ça ne lui ressemblait pas, ce dont il ne tarda pas à prendre conscience. Il prit toute la mesure de son comportement excessif et non-maîtrisé, sans toutefois la libérer de son guet-apens. Dans le même temps il ferma les yeux, soupira et laissa doucement retomber son front sur le sien, imposant un rapprochement plus que satisfaisant pour le calmer partiellement. Tandis qu'il reprenait le cours normal de sa respiration, tout proche de son visage, il souhaita intimement sentir ses mains s'agripper à son t-shirt ou s'attarder sur sa nuque, sentir son souffle sur ses lèvres... Mais rien.

- Je comprends pas ce que t'attends de moi Héra, réitéra-t-il en un aveu presque désespéré. Il va falloir que tu m'éclaires.

Les paupières toujours closes, leurs fronts toujours cimentés, le blond se laissa déglutir. Il commençait à être à bout de tout ça. Il avait besoin d'elle, un point c'est tout.

Un rire retentit dans la pièce, la glaçant. Celui-ci aurait pu briser la gravité de l’instant mais il l’accentua au contraire. Il n’était mu par aucun amusement, c’était plus comme s’il ne se contrôlait plus, et ce qui suivit le lui confirma. Une tension déconcertante, différente de celle qu’elle ressentait jusqu’à cet instant, emplit Héra.

" - Putain tu me rends dingue… Mais qu'est-ce que t'attends de moi ?! 

Dangereusement, il s’approcha d’elle. Elle eut l’impression de revivre ce jour où il était venu récupérer le dossier qu’elle avait volé sur lui au Ministère, ce jour où il avait explosé. Une douce nostalgie aurait pu s’emparer d’elle en repensant à tout ce qu’ils avaient connu mais elle n’arrivait à se concentrer que sur lui, ici, devant elle, qui la fit reculer jusqu’à ce qu’elle heurte le mur. Elle sentit leurs fronts l’un contre l’autre, le souffle de leurs respirations.

- Je comprends pas ce que t'attends de moi Héra. Il va falloir que tu m'éclaires.

Elle ne comprenait pas sa question. Plutôt, elle ne comprenait pas ce qu’elle pouvait y répondre. Elle n’attendait rien, ses proches n’avaient pas une fonction et ne devaient pas remplir un cahier des charges. Tout ce qu’elle voulait, c’était les voir heureux, pouvoir les y aider. Qu’ils soient là pour elle aussi même si elle n’osait l’admettre, ni même le souhaiter. Elle n’en espérait pas assez.

- Toi. Qu’est-ce que tu attends de moi ?

C’était tout ce qui s’imposait à elle : s’il pensait qu’elle voulait obtenir quelque chose de lui, c’était peut-être parce que la réciprocité l’imposait.

- Drago, chuchota-t-elle encore pour être sûre qu’il l’écoute, dis-le moi. "

Joignant le geste à la parole, elle posa une main sur son buste pour mettre quelques centimètres entre leurs visages afin de pouvoir le regarder. Elle ne le repoussa pas, le laissant suivre le mouvement sans éloigner leurs corps l’un de l’autre. Un instant elle fuyait, celui d’après elle faisait tout pour le maintenir au plus près d’elle. Elle était définitivement perdue.

- Toi. Qu’est-ce que tu attends de moi ?

Drago rouvrit ses yeux au son de cette réaction. Désappointé, il expira un soupir un peu amusé. Héra avait l'art de retourner ses interrogations sans y apporter la moindre petite satisfaction. Pour toute réponse il referma ses yeux sans s'emporter, préférant savourer la douceur de son parfum.

- Drago, le rappela-t-elle, dis-le moi.

Elle sépara leurs deux fronts pour permettre à leurs regards de se mêler sans entrave, posant une main sur son torse qui le sortit de son état végétatif. Il s'empressa de la recouvrir avec la sienne, pour l'y enfermer tout prêt de son coeur et, de son autre main, alla caresser sa joue.

- Ca te semble pas un peu évident ? lâcha-t-il d'un naturel désarmant, s'autorisant même un sourire en coin qui s'effaçait à mesure que le bout de ses doigts parcourait la pulpe de ses lèvres charnues, les scrutant de ses yeux étonnamment doux, comme s'il s'en délectait sans même y goûter.

Lentement il revint s'attarder sur ses pupilles dilatées qui semblaient lui céder toute son attention, enfin. Il s'approcha très onctueusement de ses lèvres sans toutefois les toucher, juste pour prendre le temps d'y capter un souffle fiévreux, ou lui transmettre le sien. Cette attente le rendait fou mais il s'y complaisait volontiers, entrouvrant ses lèvres à quelques millimètres à peine des siennes comme pour annoncer l'inéluctable et l'encourager à le cueillir en premier.

- Me laisse pas comme ça Greengrass, souffla-t-il presque imperceptiblement.

Il testait sa patience et ses yeux étaient déjà clos.

L’une des mains de Drago se posa sur celle qui demeurait sur son torse, l’autre sur son visage. La journaliste déglutit avec difficulté. Elle attendait de se raccrocher à sa réponse pour comprendre et s’extraire de cette situation délicate, ce de bien des manières. Pourquoi ne partait-elle pas en courant, traversant l’appartement, l’immeuble, les quelques rues qui les séparaient pour rejoindre son taudis à l’étroitesse réconfortante ? Un fil invisible la retenait en ce lieu. Elle aurait pu le rompre d’un souffle mais cette idée l’effrayait plus que toute autre.

" - Ca te semble pas un peu évident ? 

Son doigt frôla ses lèvres et elle tressaillit, sa respiration devenant plus difficile sans qu’on ne puisse rien en percevoir. Un poids compressait sa poitrine et elle le portait comme une pénitence, punition qu’elle aurait méritée sans être capable de définir sa faute.

Le sorcier réduisit encore l’écart qui les séparait sans en parcourir toute la distance. Héra eut l’impression que le mur dans lequel elle aurait voulu se fondre la poussait au contraire contre le blond  pour écraser toute la frustration qu’elle ressentait en cette position suspendue.

- Me laisse pas comme ça Greengrass. "

En s’exécutant, elle aurait cédé. Elle ne voulant pas se montrer faible ni s’incliner. Elle ne voulait pas être cette fille parmi tant d’autres. Elle ne voulait pas obéir. Et pourtant. Pourtant elle saisit sa nuque pour que leurs lèvres se touchent, que les bouches s’épousent. Toute la pression qu’elle ressentait s’évapora à l’instant où elles entrèrent en contact. Son goût était différent de quelques mois plus tôt, sur l’île, mais meilleur encore. Une larme qu'elle n'expliqua pas roula le long de sa joue.

Il sentit comme une hésitation persistante mais resta flottant autour de ses lèvres chastes, attendant patiemment que la brune se décide à épouser les siennes, plus taquines, ou le cas échéant à l'écarter, quand vint ce moment où il sentit une main sur sa nuque sceller le pacte. Il était presque surpris, comme s'il la pensait incapable de le bousculer même après toutes ses tentatives. Elle avait ainsi posé ses lèvres sur les siennes pour entamer un premier baiser d'une pureté absolue, sans trop de mouvement et sans trop en faire, juste ce qu'il faut pour livrer le bon message, avant de se retirer légèrement pour, peut-être, en digérer le fruit, sans toutefois se départir de l'étreinte. Drago mis un temps avant de rouvrir les yeux pour chercher les siens tant il était intérieurement chamboulé malgré ses efforts pour ne rien laisser paraître. C'était donc ça, l'absolution. Il se sentait revivre, emplit d'un espoir nouveau qui l'avait quitté des années auparavant. Héra venait de le ranimer et il ne pouvait se résoudre à en rester là. Son regard était doux, d'une douceur qu'il ne soupçonnait pas lui-même, et ses gestes étaient étrangement naturels. Sans un mot, il replaça avec tendresse une mèche de cheveux derrière son oreille et ponctua son élan en caressant sa joue, comme s'il s'agissait d'une relique précieuse dont il fallait prendre le plus grand soin. Le fait qu'elle soit légèrement humide l'intrigua, alors il fronça légèrement les sourcils en décelant une larme qu'il s'empressa d'essuyer avec son pouce. De ses deux mains il entreprit une caresse coordonnée allant de ses tempes à sa mâchoire pour finalement laisser reposer son visage entre elles. Sans plus de cérémonie, il s'approcha de nouveau, très lentement, et entrouvrit ses lèvres pour la goûter encore, plus profondément cette fois. Il prit tout le temps d'apprécier sa lèvre supérieure avant de se décider à visiter la voisine du dessous, puis revint à la première sans savoir sur laquelle des deux il préférait s'attarder tant elles s'offraient à lui de la plus exquise des manières. Il laissa son front reposer sur le sien un bref instant avant d'effleurer sa joue avec son nez, jusqu'à offrir un baiser emplit de douceur à son cou frêle. Puis il revint à ses beaux yeux noisettes qu'il ne pouvait apprécier sous ses paupières closes.

Il aurait bien continué toute la soirée sur la même lancée mais il préféra attendre un instant qu'elle rouvre les yeux pour pouvoir les sonder.

Héra sentait ses mains, ses lèvres, son corps contre le sien, et s’abandonnait à lui. Sa retenue n’était pas de l’hésitation mais plutôt une once de pudeur qui persistait. Elle s’empêchait de réfléchir – n’en avait pas envie – mais le craignait surtout. Qu’en serait-il si elle s’y essayait ? Alors ses pensés se bousculeraient. Elles oscilleraient entre la possibilité d’être une femme, chez un homme comme Drago, et que le reste ne comptait pas. Elle se rappellerait qu’elle était aussi son amie, mais peut-être perdait-elle ce rôle ce soir, et avec lui sa place privilégiée ? Elle envisagerait ces différentes hypothèses et nombre d’autres qui lui feraient perdre toute confiance. Ce fut d’ailleurs ce qu’il se passa lorsqu’il s’écarta presque imperceptiblement d’elle.

Elle chercha une réponse dans ses yeux mais n’en trouva pas. Probablement ne voulait-elle pas comprendre. Et lui, que lirait-il dans les siens ? Ses hésitations ? Ses doutes ? Ou un autre aspect qu’elle reléguait au plus loin d’elle-même ? Elle ne voulait pas qu’il sache et elle-même ne voulait pas savoir. Savoir quoi, d’ailleurs ?

« - A quoi est-ce que tu joues ? »

Sa question brisa le silence et elle s’en serait giflée. Malheureusement, s’il y avait bien un trait qui dictait la conduite d’Héra, c’était ses insécurités. Elle parvenait à les gommer en temps normal mais c’était là trop dur. C’était comme si elle avait confié à Drago tout ce qu’elle possédait sans promesse de retour. Et c’était terrifiant.

Alors qu'il la regardait avec une infinie douceur, sa remarque eut le mérite de le ramener brutalement à la réalité.

- A quoi est-ce que tu joues ?

Pour seule réponse il arbora une mine blasée et cligna des yeux pour étouffer son agacement. Mais à quoi ELLE jouait ? Sitôt encaissé, il retrouva une mine quasi inexpressive, arborant son légendaire masque brumeux.

- Rien, rien. T'avais l'air d'être consentante et même d'apprécier un peu, dit-il en se détachant brusquement d'elle avec désinvolture.

Pour rien au monde il ne lui aurait montré à quel point son ego s'en trouvait blessé. Et pas que son ego d'ailleurs. Alors fidèle à lui-même, il ferait semblant de tout encaisser sans encombre, comme si son dédain lui glissait dessus sans jamais vraiment l'atteindre. Il resterait léger, comme si de rien n'était, histoire de calmer le jeu et s'en sortir indemne.

- Tu veux un autre verre ? demanda-t-il en chemin pour apporter une autre bouteille.

Une poignée de secondes plus tard il se resservait généreusement avant de s'affaler sur le sofa.

- On en était où ? Ah oui. Je t'ai lâchement abandonnée et personne n'est important pour moi, cita-t-il presque d'un air goguenard.

Il est certain qu'on ne pouvait manquer le comique de la situation ! Mais voyant qu'il rajoutait plus de malaise que nécessaire, il entreprit de détendre l'atmosphère en ravalant sa rancoeur.

- Greengrass, on va pas se formaliser.

Dernier clin d'oeil à ce qu'il venait de se produire et qu'il digérait à peine. Profondément courroucé, il lui était pénible de faire semblant pour ne pas perdre la face. Tout ça lui avait prouvé une chose: il avait des sentiments pour Héra, des sentiments qu'il n'avait jamais éprouvés pour personne et il ne pouvait plus le nier. C'était acté, irrévocable, et il était dans la mouise.

" - Rien, rien. T'avais l'air d'être consentante et même d'apprécier un peu.

En un même temps il s’écarta, mais ce ne fut pas son absence qu’elle sentit le plus. Ses mots lui laissèrent un goût amer. Elle ne savait pas exactement pourquoi mais ils lui déplurent. La manière dont elle s’était comportée aurait pu animer des réactions plus violentes, ce qui ne l’empêchait pas d’intérieurement s’en plaindre.

- Tu veux un autre verre ?

- Non, merci.

Elle était gênée et ne parvenait à le cacher que derrière une certaine froideur. Malgré les tentatives de Drago pour détendre l’atmosphère désagréable elle ne parvenait à faire l’effort de le suivre. Il s'y essaya, par deux fois, mais c'était inutile. La seule résultante était de se heurter à son mutisme.

Alors qu’il s’était installé, elle restait debout, à l’observer. Elle faillit finalement lui répondre mais cette farce ne l’intéressait pas. Donc, il voulait donner cette comédie ? Quitter un rôle pour en jouer un autre ? Plus discrète, elle était bonne elle aussi à cet exercice, mais elle ne voulait pas porter de masque ce soir. Elle s’avança jusqu’à lui, s’asseyant au plus près sans risquer de le toucher.

- Tu n’as pas répondu à ma question. "

Elle le regardait fixement. Ses yeux ne le quittaient pas, à croire qu’elle essayait à travers eux de le retenir. C’était elle qui avait tout gâché, presque sciemment, et ironiquement c’était elle aussi qui essayait de les maintenir dans cette situation. Elle se berçait de sa douce hypocrisie.