Rappel du premier message :

Le plancher craquant presque sans bruit sous ses pas, Héra entra dans l’appartement de son ami. Aussi étonnant celui puisse-t-il paraître c’était la première fois qu’il l’y invitait. Malgré les rancœurs persistantes qu’elle éprouvait à son égard elle n’avait pas su refuser. Ses mots frappaient justes, et même si ça n’avait pas été le cas, le fait qu’il s’agisse de Drago aurait suffit. Elle lui en voulait, parfois même au point de vouloir le voir disparaître, mais il y avait toujours cette partie d’elle qui voulait retenir tout près d’elle chaque bribe de son être. Et elle s’en détestait.

Le lieu était à l’image de son propriétaire. Classieux, expansif, mais ne révélant rien de lui. À croire qu’il cherchait à gommer, même dans le placement d’une table, la moindre de ses pensés qu’on pourrait analyser. Cachait-il aussi ses miroir de crainte qu’on y perçoive son reflet ? De toute évidence pas puisque Héra en remarqua un. Elle se vit, habillée sobrement, maquillée sans plus d’extravagance, mais avec soin tout de même. Retrouver Drago, c’était comme revoir un ancien camarade qu’on se devait d’impressionner. C’était pourtant lui qui avait tout à prouver.

« - Tiens.

Elle lui tendit la bouteille qu’elle avait amenée, et une bonne. Son père était fin connaisseur et l’avait habituée à ne jamais s’abaisser au bas de gamme. Depuis la fin de sa scolarité elle avait dû revoir tout son confort à la baisse mais elle respectait cette seule condition, presque comme un hommage à cet homme qu’elle avait tant aimé.

- Il aura fallu que tu m’oublies pendant des mois pour enfin m’inviter chez toi. »

Son ton taquin ne trompa personne, ni même l’intensité de son regard. Elle le détourna vite pour ne pas qu’il lui pèse trop, pour ne pas assombrir le moment. Inévitablement, elle le détestait de l’avoir abandonnée et tenait à lui faire savoir. Tout aussi inévitablement, il lui avait tant manqué qu’elle ne voulait plus gaspiller un seul instant à ses côtés.

Elle avait ignoré toute sa comédie pour imposer plus d'embarras encore.

- Tu n’as pas répondu à ma question.

Il s'étouffa presque dans son verre, avalant sa gorgée comme on avale une pilule amère. Ses yeux se faisaient extrêmement sombres à présent mais il se para bien vite d'un rictus sarcastique pour la provoquer du regard.

- Là c'est moi qui ai envie de te demander à quoi tu joues. Tu te fous de moi ? Pourquoi tu crois que je joue d'ailleurs ? Et je te rappelle que tu es la première à avoir esquivé mes questions. Tu sais, ce que t'attends de moi, tout ça. Je suis toujours un peu curieux à ce sujet Greengrass mais t'as trouvé une parade. Rattrape-toi la première et j'envisagerai éventuellement de te répondre, lâcha-t-il un peu joueur et avec une pointe de désinvolture avant de s'abreuver d'une nouvelle gorgée.

Cette fois, Drago sut amuser son invitée. Retrouver cette proximité l’avait calmée, ce qu’elle ne s’expliquait pas, et qu’il joue de la situation sans la négliger aidait la brune à l’affronter. Loin d’elle l’idée de la comprendre, mais elle était au moins plus à l’aise. Un sourire étira ses lèvres en l’écoutant parler.

" - Là c'est moi qui ai envie de te demander à quoi tu joues. Tu te fous de moi ? Pourquoi tu crois que je joue d'ailleurs ? Et je te rappelle que tu es la première à avoir esquivé mes questions. Tu sais, ce que t'attends de moi, tout ça. Je suis toujours un peu curieux à ce sujet Greengrass mais t'as trouvé une parade. Rattrape-toi la première et j'envisagerai éventuellement de te répondre.

- C’est vrai. Toi comme moi, on est plutôt doués pour éviter les sujets compliqués. Je veux bien essayer de faire un effort. Ça te semble suffisant ?

Elle rompit enfin le contact pour se pencher, saisir son verre et la bouteille posés sur la table posée devant eux. Ce dernier remplit elle se réinstalla, sans manquer d'en vider déjà une partie. Elle avait besoin d'au moins ça pour survivre à la soirée.

- Et pour te prouver ma bonne foi ... Je n'attends rien de toi, Drago. Moins encore aujourd'hui qu'il y a quelques mois. "

Elle se mordit la langue, mais il était trop tard, elle ne pouvait ravaler ses paroles.

Voilà qu'elle se resservait finalement un verre, plus encline à relancer les festivités dès lors qu'on parlait des sujets qui fâchent. Drago aurait roulé des yeux vers le ciel pour un peu. Elle était incroyable celle-là !

- Je n'attends rien de toi, Drago. Moins encore aujourd'hui qu'il y a quelques mois.

Il se mordait la joue pour s'empêcher de se moquer comme un serpent. Parce qu'elle invitait vraiment à la moquerie à ce stade ! Elle avait passé la soirée à l'accabler, comme quoi il l'avait abandonnée comme une moins que rien, puis elle avait souligné à moults reprises combien elle tenait à lui, à quel point elle avait besoin de lui, puis elle le repoussait, se rapprochait, surfait sur la vague du chaud / froid comme présentement, elle jouait avec ses nerfs. Elle s'était comportée comme on le fait rarement avec "juste" un ami. C'est simple, il avait beau avoir une relation presque incestueuse avec Pansy aux yeux des autres, jamais elle ne s'était montrée aussi demandeuse de "son amitié" comme Héra ce soir, engageant des rapprochements ambigües et autres gestes confus. Franchement Drago avait envie d'éclater de rire pour le lui balancer à la figure. Cette fille avait de gros problèmes avec elle-même ! Comment la prendre au sérieux dans ces circonstances ? C'était comme ça qu'elle préférait la jouer ? Je n'attends rien de toi. Parfait, il l'imiterait !

- Et moi je ne joue à rien.

Il afficha un grand sourire. Même que c'était la vérité.

Le décor semblait changer tout en restant le même, Héra se sentait transporté dans un autre univers. Elle lâchait enfin un peu prise comme si ses actes n’avaient plus de répercussion sur sa vie et s’effaceraient au matin. Que cette sensation soit due à son ivresse naissante ou l’étrangeté de l’instant, elle finit d’annihiler sa gêne.

" - Et moi je ne joue à rien.

Sa réponse était succincte, peut-être même mensongère tant elle en révélait peu. C’était parler pour ne rien dire et cela ne lui convint pas. Elle ne s’en agaça pas, ç’aurait été hypocrite, mais ne s’en contentait pas non plus. Son sourire s’approfondit.

- Tu triches.

Et elle trichait aussi. Si elle lui demandait d’être honnête, elle ne pouvait pas ne pas l’être en retour. Encore moins si elle proposait d’ouvrir le bal. Une fois n'était pas coutume dans un domaine comme celui-ci, elle admettait intérieurement ses torts. Sans qu’il n’ait eu le temps de réagir elle ajouta :

- Je préfère ne rien attendre de personne, ça évite les déceptions. J’ai été trop habituée à … Enfin peu importe. Après il y a de toute évidence un monde entre la théorie et la pratique.

Elle termina son verre, comme pour puiser en lui un peu de courage. Malgré les apparences elle n’en révélait toujours pas plus. Drago aurait besoin d’un effort supplémentaire pour lui rendre la pareille et elle ne pouvait le lui reprocher.

- Je n'ai pas dû réussir à m’empêcher d’avoir confiance et toi, et n’attendre rien d’autre que tu ne la trahisse pas. Que je puisse … Non pas me reposer pour toi mais … Je ne sais pas. Pouvoir compter sur toi plutôt. "

- Tu triches.

Elle avait commencé.

- Je préfère ne rien attendre de personne, ça évite les déceptions. J’ai été trop habituée à … Enfin peu importe. Après il y a de toute évidence un monde entre la théorie et la pratique.

Ben voyons. En temps normal Drago aurait tendu une oreille attentive mais là, il était passablement agacé d'avoir droit à un énième discours larmoyant sur les expériences de la petite Greengrass dans le monde des grands, et indirectement accusateur en plus. Une manière sournoise de l'accabler davantage. Il n'y en avait que pour elle, ses déceptions, ses petites affaires... Mais Drago en avait assez. Il arborait sa mine sombre sans s'en défaire, s'y raccrochant comme une armure. Avait-il besoin de ça présentement ? Il avait assez à faire avec son père et tout le bordel autour. Tout ce qu'elle faisait c'était en rajouter dix couches en lui retournant le cerveau.

- Je n'ai pas dû réussir à m’empêcher d’avoir confiance et toi, et n’attendre rien d’autre que tu ne la trahisse pas. Que je puisse … Non pas me reposer pour toi mais … Je ne sais pas. Pouvoir compter sur toi plutôt.

Et on en revient encore à ces accusations indirectes ! Ce discours moralisateur et culpabilisant ! Drago serrait les dents. Sans un mot il s'arma de la léthargie conférée par ce qui lui restait de vin et se resservit excessivement pour en avoir davantage. Puis il posa le contenant sur la table dans un fracas assourdissant, comme pour mettre un terme à cette comédie.

- Ok très bien, donc ça c'est ta réponse, affirma-t-il dans un calme effrayant pour venir contraster avec son précédent geste. Il ne rebondit pas sur ses paroles délibérément, pour ne pas dévier l'absurdité de la situation sur ses problèmes de confiance en elle et envers les autres.

- Alors... A quoi je joue...

Il fit mine de réfléchir, mais Drago n'avait pas la patience. A la place il lui offrit un sourire joueur puis joua l'offusqué.

- Mais, attends Greengrass, quand j'y pense... C'est toi qui m'as embrassé.

Ding ding ding ! Il avait approché ses lèvres, elle avait saisi sa nuque pour les apprécier de plus près. Voilà qu'il la regardait faussement outré.

- Mais à quoi tu joues ?? l'imita-t-il avec une délectation toute secrète.

Il la confrontait là à son absurdité. Elle en avait eu envie, elle l'avait désiré, et maintenant elle jouait les oies blanches, lui faisant tout un cinoche qu'ils auraient pu éviter facilement. Soit en niant tout en bloc, soit en passant du bon temps. Mais là... Drago avait envie de la torturer un peu, de la confronter à sa bêtise.

Drago semblait agacé, mais elle n’y prêta pas attention. Elle était fatigués par leurs humeurs et n’avait plus la tête à y accorder d’importance. Ses préoccupations devenaient toutes autres. Quitte à ce qu’elle soit la seule, elle préférait s’amuser de la situation. Ce fut pour cette raison qu’elle négligea ce qu’elle aurait pu prendre comme une mauvaise foi évidente pour s'attarder sur le reste.

" - Alors... A quoi je joue... Mais, attends Greengrass, quand j'y pense... C'est toi qui m'a embrassé.

L’accusée se figea. Il avait raison et ce constat ne lui plaisait absolument pas. Qui plus est, il en rajoutait encore.

- Mais à quoi tu joues ?? 

En le prenant au sérieux elle ne s’en sortirait jamais, s’embourberait encore et encore. Quoi qu’il en soit elle n’en était pas capable. C'était lui demander beaucoup d'effort que de se défendre, elle choisit une autre direction. Prenant la bouteille pour vérifier s’il restait du vin - ce n’était pas le cas - elle répondit sur le même ton.

- Tu m’as demandé de ne pas te laisser comme ça, je n’aurais pas voulu te décevoir.

Une illumination.

- Et de toutes manières, c’est toi qui a commencé. Sur l’île. »

Un partout. Héra s’avançait sur un terrain dangereux. Un brin de lucidité et elle se serait tue. Ils n’avaient jamais reparlé de cet épisode, faisait tout leur possible pour l’oublier. En plus de le leur rappeler, elle appuyait sur le fait que ce n’était pas la première fois qu’ils se laissaient aller de la sorte. Que devait-elle y comprendre ?

- Tu m’as demandé de ne pas te laisser comme ça, je n’aurais pas voulu te décevoir.

Elle le laissa sans voix tant sa réaction était légère comparativement à ses accès précédents. Il ne faisait que la fixer sans sourciller, les yeux las et sans vie. Aucune émotion ne venait trahir sa surprise mais c'était à n'y rien comprendre. Il la sentait plus joueuse tout à coup, moins sérieuse. Autant lui lancer un sortilège de confusion tout de suite, au moins il serait fixé !

- Et de toutes manières, c’est toi qui a commencé. Sur l’île.

Il haussa les sourcils de stupéfaction et étira ses lèvres sans pouvoir se contrôler. Il pouffait presque au son de cette révélation que tous deux s'étaient bien évertués à enfouir jusque là. Ca alors ! Qu'elle fasse référence à cet épisode était d'autant plus surprenant !

- C'est vrai, c'est vrai, acquiesça-t-il sans se départir de son sourire presque diabolique. Alors, lui qui était adossé au sofa jusqu'à présent, se pencha un peu plus près d'elle pour planter ses yeux teintés d'une lueur presque malsaine dans les siens, plus intensément.

- Tu viens juste d'admettre qu'on est deux dans l'équation. Deux adultes consentants avec un libre-arbitre. Tu as agi en pleine conscience, j'ai fait pareil sur l'île.

Il se recula pour saisir son verre et s'en abreuver d'une petite gorgée, comme si son besoin d'ivresse s'était légèrement estompé depuis qu'elle lui avait donné satisfaction.

- Et donc, poursuivit-il comme un professeur, ne penses-tu pas qu'il est un peu facile de me demander à quoi je joue dans ces circonstances, Greengrass ? Tu n'es pas une pauvre petite poupée influençable, n'est-ce pas ? Tu es une grande journaliste ! Et je ne suis pas encore legilimens. Je peux t'empêcher d'aller dans ma tête, pas contrôler la tienne.

Il trouvait que son discours tenait debout et l'avait achevé plus sérieusement qu'à son commencement. Quoique toujours teinté d'une note évidente de sarcasme...

Il admit qu'elle avait raison, c'était toujours ça de gagné, mais non sans saisir la perche qu'elle lui tendait involontairement.

"  - Tu viens juste d'admettre qu'on est deux dans l'équation. Deux adultes consentants avec un libre-arbitre. Tu as agi en pleine conscience, j'ai fait pareil sur l'île.

Elle détestait ces termes. Deux adultes consentants, bla, bla, bla. Ça lui donnait l’impression qu’ils étaient des inconnus qui avaient convenus de s’unir une nuit, une seule, selon des conditions strictes et définies. C’était un des nombreux aspects qui l’incommodait tant dans cette situation : elle perdait sa place privilégiée. En se raccrochant à leur amitié c’était ce qu’elle tentait d’éviter. Cependant, elle n’était plus capable d’y songer.

- Et donc, ne penses-tu pas qu'il est un peu facile de me demander à quoi je joue dans ces circonstances, Greengrass ? Tu n'es pas une pauvre petite poupée influençable, n'est-ce pas ? Tu es une grande journaliste ! Et je ne suis pas encore legilimens. Je peux t'empêcher d'aller dans ma tête, pas contrôler la tienne.

Ses lèvres se pincèrent une infime seconde, animées peut-être par le peu de lucidité qu’il lui restait. Elle haussa les sourcils en une tentative désespérée de reprendre ses esprits. En essayant de se défendre elle aurait pu avancer qu’il l’avait à moitié agressée aux deux reprises, ce qui l’avait déstabilisée, mais elle ne prit pas ce parti. Elle avait assez zigzagué.

- Peut-être que tes talents d’occlumens ont faibli et que c’est moi qui suit allée dans ta tête.

Mais qu’est-ce qu’elle racontait encore ? Il aurait pu lui demander, lui, à quoi elle jouait, et ce en toute légitimité. En répondant ainsi elle se plaçait dans une position délicate. Drago était assez fin pour se saisir de ses plaisanteries et les retourner contre elle. Elle, par contre, n’était plus en capacité.

- Je crois que j’ai besoin de plus de vin. "

Drago jouait avec le pourtour de son verre en attendant qu'elle daigne lui accorder une réponse.

- Peut-être que tes talents d’occlumens ont faibli et que c’est moi qui suit allée dans ta tête.

Son sourire s'étira de nouveau mais il resta focalisé sur son verre. Son majeur tournait sur ses rebords dans une glissade fluide et répétitive satisfaisante. Une douce métaphore de ces deux-là qui tournaient en rond.

- Bien, lâcha-t-il posément comme pour mettre un terme à toutes ces bêtises.

Elle avait peut-être raison. Peut-être qu'il s'était montré faible, vulnérable, qu'elle l'avait cueilli quand il était au plus mal, dans un état psychologique critique. Oui, peut-être. N'empêche qu'il n'avait plus envie de nier du tout. Du moins, il n'avait pas envie de nier les faits. Ce qu'il se passait dans sa tête, c'était un autre problème qu'il n'aborderait certainement pas de si tôt. Il poursuivit sans la regarder, perdu dans son verre, songeur, mais décidé, comme si ses paroles n'auraient pas tant d'incidence alors qu'elle seraient tout l'opposé.

- Si tu veux tout savoir j'avais envie de t'embrasser. Puis il se montra plus frontal en axant ses yeux vers elle. Et tu en avais envie aussi. Alors on s'est embrassés. Il marqua un temps avant de finir son verre.

- Il n'y a rien à dire de plus. C'est arrivé. Deux fois. On pourrait en disserter jusqu'à la naissance de Merlin si tu veux, je pourrais tourner autour du pot ou te poser des questions pour savoir à quoi on joue, mais franchement Greengrass j'en vois pas l'intérêt. Si ça te met autant mal à l'aise on n'en parle plus et on passe à autre chose, mais viens pas jouer les vierges effarouchées avec moi, t'es plus intelligente que ça.

Tout ce qu'il avait dit était la vérité. Il avait juste omis la partie où elle avait chamboulé tout son être à son contact, où il était terrifié à l'idée d'éprouver ce trop plein de pulsions et sentiments stupides à son égard. Il venait d'admettre à haute voix son désir pour elle, c'était déjà pas mal. Un détail qu'il ne s'était jamais autorisé à reconnaître avant ce soir.

De cette simple phrase, elle venait de lui donner tout ce dont il avait besoin pour la pousser dans ses retranchements. Lui qui évitait tout sérieux en temps normal contournait toutes ses taquineries pour leur rendre leur gravité. L’atmosphère en devant presque oppressante. Héra la dédramatisait pour réussir à la supporter.

" - Bien. Si tu veux tout savoir j'avais envie de t'embrasser.

Lorsqu’il prononça cette phrase, elle ne put s’empêcher d’une infime seconde poser son regard sur ses lèvres. Le remarqua-t-il ?

- Et tu en avais envie aussi. Alors on s'est embrassés.

Elle préféra l’ignorer. Constater du fait qu’elle en ait effectivement eu envie (pourquoi ?) ne lui plaisait absolument pas.

- Il n'y a rien à dire de plus. C'est arrivé. Deux fois. On pourrait en disserter jusqu'à la naissance de Merlin si tu veux, je pourrais tourner autour du pot ou te poser des questions pour savoir à quoi on joue, mais franchement Greengrass j'en vois pas l'intérêt. Si ça te met autant mal à l'aise on n'en parle plus et on passe à autre chose, mais viens pas jouer les vierges effarouchées avec moi, t'es plus intelligente que ça.

- Ça n’a rien à voir. Je n’ai pas l’habitude d’embrasser mes amis si tu veux tout savoir.

Elle ne s’attarda pas sur ce que ça pouvait bien représenter, il ne valait mieux pas. À quoi aurait-elle été confrontée ? Qu’elle n’embrassait effectivement pas ses amis ? Qu’était Drago dans ce cas ? Ces questions la hantaient sans qu’elle ne réalise se les poser et les réponses qu’elle tenait intimement lui échappaient sans cesse. Elle les repoussait plutôt mais il ne s’agissait là que de détails.

Comme il n’avait pas réagit à sa demande elle se leva d’elle-même pour retourner chercher à boire. Seulement elle contrôla mal son geste et vacilla légèrement. Sa faiblesse, d’esprit comme de corps, était pitoyable en cette soirée.

- Peut-être qu'il vaudrait mieux que je rentre. "

Joignant le geste à la parole, elle fit un pas mal assuré et ne persévéra pas. Elle n'avait pourtant pas eut l'impression de tant boire. Le fait était qu'elle restait dans un sale état et se rassit.

- Ça n’a rien à voir. Je n’ai pas l’habitude d’embrasser mes amis si tu veux tout savoir.

Il ne saisit pas bien ce que la brune cherchait à prouver en disant ça. N'était-il pas un ami ? Il s'apprêtait à lui poser la question, goguenard, mais elle vacilla avant. Il n'eut pas le temps de réagir qu'elle s'était déjà rassise.

- Peut-être qu'il vaudrait mieux que je rentre.

Alors Drago réalisa qu'il commençait à se faire tard et qu'il n'avait pas épongé tout l'alcool qu'ils venaient d'ingérer. Sauf qu'Héra avait un corp plus frêle que le sien et sa résistance venait de montrer ses faiblesses. Il aurait voulu lui dire: Oui, ça vaut mieux. Rentre chez toi. J'ai envie de pioncer. Mais voilà que son instinct stupide et protecteur se ramenait au galop. Il crispa sa mâchoire comme pour se pardonner de lui porter cette considération au détriment de sa dignité.

- Tu ne peux pas rentrer comme ça et encore moins à cette heure. Puis t'as vu où t'habites ? Non. Déjà tu vas manger un bout.

Avec leurs bêtises, ils en avaient oublié de manger. La base pourtant ! C'était même tout l'objet de l'invitation, mais les choses avaient dérapé.

En se dirigeant vers la cuisine, il nota que sa démarche était aussi bien branlante. A vrai dire sa vue périphérique était même un peu saccadée. Si lui se sentait ainsi ça ne devait pas être plus reluisant du côté d'Héra... Il fallait qu'ils mangent. Alors il revint avec un plateau rempli de garnitures, canapés, avec des tranches de saumon, différentes sortes de pâtés, du pain français, quelques légumes coupés en lamelles, des carottes, du concombre, des choses simples, faciles à manger, qui auraient dû servir d'apéritif mais qui avaient le mérite d'être consommables froides. On ne pouvait pas en dire autant du magret aux bulbes retombé dans son plat depuis le temps qu'ils s'alcoolisaient...

- Tiens. Mange quelque chose, dit-il en posant le plateau sur la table.

Comme si tout était oublié, il commença à recouvrir une tranche de pain d'un peu de fromage frais pour la lui offrir.

- C'est pas une bonne idée que tu rentres. Tu devrais dormir ici.

Un silence figea sa suggestion dans l'espace. Alors il soupira un peu exaspéré par les sous-entendus qu'il avait induits malgré lui.

- J'ai une chambre d'amis Greengrass. Tu crois quoi ? Je vais pas te sauter dessus.

Mettant la sécurité de la sorcière avant l’inconfort de la situation, brave homme qu’il était, Drago la retint. À vrai dire même s’il l’avait poussée hors de chez lui, elle n’aurait su faire trois pas et aurait probablement passé quelques heures à comater sur son pallier. Peu discret pour une personne tant surveillée que d’avoir une blanche citoyenne à demi mourante sur le pas de sa porte. Sans exagération aucune.

" - Tu ne peux pas rentrer comme ça et encore moins à cette heure. Puis t'as vu où t'habites ? Non. Déjà tu vas manger un bout.

Cette dernière phrase était la plus censée à sortir de sa bouche depuis qu’elle était arrivée. Éponger un peu l’alcool qui inondait son sang n’était peut-être pas une mauvaise idée. Sa tête tournait de plus en plus, tout comme son esprit se flouait. De toute évidence elle se contrôlait moins depuis quelques dizaines de minutes sans pour autant ressentir cette ivresse.

Son ventre faillit gronder lorsqu’elle vit son ami revenir avec un plateau remplit. Tous les éléments colorés qu’il comportait lui semblaient plus appétissants les uns que les autres.

- Tiens. Mange quelque chose.

Joignant le geste à la parole il lui tendit une tartine qu’il venait de préparer. Elle l’accepta avec un sourire, sans manquer de le remercier, et l’engloutit sans attendre, loin de remplir le vide que composait son estomac.

- C'est pas une bonne idée que tu rentres. Tu devrais dormir ici.

Une courte pause marquée par un soupir.

- J'ai une chambre d'amis Greengrass. Tu crois quoi ? Je vais pas te sauter dessus.

Elle étouffa un rire. Une seconde elle eut l’impression que tout était comme avant ce soir, même si pour être honnête ça avait commencé à changer quelques mois plus tôt. Elle avait parlé de l’île et ce n’était pas pour rien que la comparaison s’imposait. Loin de réfléchir aux conséquences de ses actes elle lui répondit d’un ton taquin.

- Ça ne serait pas la première fois de la soirée.

Puis elle réalisa, un peu, la portée de ce qu’elle venait de dire. S’empourprant elle se détourna pour piocher une carotte.

- Mais tu as raison, je vais rester, merci. Si toi tu n’as pas peur que je te sautes dessus. "

Elle essayait juste de reprendre, continuer sur sa lancée en espérant ne pas rendre la situation plus incommodante, mais même avec tout le recul qu’elle avait elle y parvenait mal.

- Ça ne serait pas la première fois de la soirée.

Drago arqua un sourcil, arborant nonchalamment une mine concentrée tandis qu'il réunissait ses mets pour les engloutir.

- Mais tu as raison, je vais rester, merci. Si toi tu n’as pas peur que je te sautes dessus.

Cette fois il haussa plus d'un sourcil à cette boutade inattendue et ne manqua pas de faire pivoter son buste en sa direction pour l'afficher ostensiblement.

- Ma porte reste ouverte si tu veux un câlin, lâcha-t-il la bouche pleine et d'une façon tout à fait anecdotique, comme si ce n'était pas la révélation du siècle mais une joute verbale avec, peut-être, sûrement, un soupçon de vérité.

Loin de lui l'idée de replomber l'ambiance tant la nourriture le ranimait, il se recentra sur son toast pour éviter de mettre des miettes partout. Puis il vint lui donner un coup de coude amical comme pour lui dire: Je déconne Greengrass. Détends-toi. sans toutefois le lâcher ouvertement. Un geste complice pour venir contrebalancer l'ambigüité de leurs mots.

De toute évidence, il avait perdu tout sérieux et c’était bien mieux ainsi. Drago et Héra étaient comme ça, ils se cherchaient sans cesse, mais peut-être désormais d’une manière différente de celle à laquelle ils étaient habitués. La demoiselle n'était d'ailleurs pas la plus sage des deux. C'était comme si son inconscient tentait de pousser la situation jusqu'à ce qu'elle dévie.

" - Ma porte reste ouverte si tu veux un câlin.

Elle ne s’empêcha pas de pouffer cette fois, ni de le regarder avec malice. Une part d'elle, profondément enfouie, considérait sa proposition avec plus d'envie, mais sans qu'elle ne s'en rende compte.

- De toutes manières, quelle idée de faire chambre à part alors qu’on est censés être fiancés. "

Elle faisait référence à cette vieille histoire où il avait fait croire, d’abord à Perkins, puis à Amanda, qu’ils allaient se marier. Faire une erreur deux fois devenait donc une habitude. Cet épisode commençait à dater et elle ne savait pas pourquoi elle la ressortait, mais étonnement elle y trouvait une certaine cohérence.

- De toutes manières, quelle idée de faire chambre à part alors qu’on est censés être fiancés.

- Hm, acquiesça-t-il un peu lointain.

En temps normal il aurait apprécié la plaisanterie, peut-être même qu'il aurait rebondi dessus pour induire plus d'ambigüité et se laisser aller à voir où ça mène. Mais après tout ça il en avait assez. A cette seconde, Héra était donc sur la tendance "chaud" de la vague "chaud / froid" qui avait rythmé leur soirée, avant que ça reparte en apocalypse s'il avait le malheur de rentrer dans son jeu. Alors il ne tiqua pas et continua de mâcher comme si elle n'avait rien dit. C'était plus facile à gérer comme ça. Quand il baissait sa garde, rien de bon n'arrivait. Telle une vélane elle essayait de lui faire oublier sa fierté, mais à ce stade avancé de la nuit ça ne prenait plus. Surtout lorsqu'il dévorait ses mets avec tant d'ardeur pour se remettre d'aplomb, comme pour se raccrocher à la réalité, fade mais juste et prévisible.

Une fois ses canapés engloutis et digérés, il s'étira un peu pour décontracter ses muscles crispés par une posture malsaine prolongée.

- Accio bouteille d'eau, formula-t-il.

Alors, comme dans un besoin irrepressible de se ressourcer, il n'eut pas la patience de verser le contenu dans son verre et s'attaqua directement au goulot. Il se mit à descendre la bouteille pendant deux longues minutes, savourant chaque gorgée comme si elle lui rendait la vie. Sa pomme d'adam voguait à ce rythme et ses yeux clos semblaient trahir son extase vitale, si bien qu'un petit filet d'eau coulait le long de sa mâchoire jusqu'à se loger sur le col de son t-shirt. Lorsqu'il eut finit, il soupira de contentement puis il se tourna vers Héra.

- Tu en voulais ?

Sans attendre sa répondre il réitéra le sortilège et lui imposa une bouteille d'eau sur ses genoux.

- Tiens.

Elle avait tout gagné. Il ferait l'indifférent.

Alors qu’il plaisantait juste la seconde d’avant, Drago se renfermât. Peut-être était-ce le contraste glaçant affrontant les différentes humeurs par lesquelles il était passé qui lui donnait cette impression, mais elle crut ne l’avoir jamais vu si froid avec elle. Cette cassure soudaine la toucha plus qu’elle ne l’aurait pensé. Le sentir si loin d’elle était intolérable mais elle voyait mal comment y remédier. Qui plus est elle ne comprenait pas ce brusque changement.

Elle suivit chacun de ses gestes des yeux, essayant de croiser les siens sans y parvenir. Concentré, ou du moins le semblait-il, il appela une bouteille à eux qu’il bût dans son intégralité. Considérant sa voisine il réitéra pour en poser une autre sur ses genoux qu’elle saisit sans ouvrir. Seules de courtes remarques saccadaient le silence.

Héra était profondément mal à l’aise. Non pas de gêne, mais d'inconfort. Cette distance qu'il y avait entre eux, elle aurait aimé pouvoir la briser d'un battement de cils. Au lieu de ça elle observa chaque goutte dégouliner le long de sa lèvre, sa mâchoire, son cou, ne remarqua pas qu’elles tâchaient son tee-shirt. Un peu plus tôt, le blond avait prononcé ces mots qu’elle n’avait pas relevés, tu en avais envie, et elle réalisait à quoi point il ne mentait pas en admirant sa peau humide. Elle s’en détourna et se mit à parler pour occuper son esprit qui s’égarait. Avait-il sentit la force de son regard ?

" - Je crois que je n’étais même plus en colère contre toi, et c’est dur à admettre. Ça me fait peur de me dire que tu n’as même pas besoin de t’excuser pour que je te pardonne.

Ses aveux, s’ils ne suivaient absolument pas leur conversation qu’avait avorté l’alchimiste, au moins étaient sincères. Elle se sentait soulagée qu’il le sache, tout autant qu’elle de s’en rendre compte. Les phrases sortaient sans contrôle.

- J’étais contente qu’on puisse se retrouver ce soir, et j’ai l’impression d’avoir tout gâché avec ma rancœur. "

Elle le dévisageait toujours, espérant qu'enfin, il se tournerait vers elle.

- Je crois que je n’étais même plus en colère contre toi, et c’est dur à admettre. Ça me fait peur de me dire que tu n’as même pas besoin de t’excuser pour que je te pardonne.

Elle n'en avait donc pas fini avec ses jérémiades !

- Je me suis quand même excusé deux ou trois fois et on en est toujours là, marmonna-t-il dans sa barde en se forçant à ne pas lever les yeux au ciel, toujours sans la regarder. C'était même pas sûr qu'elle puisse l'entendre. Il était fatigué...

- J’étais contente qu’on puisse se retrouver ce soir, et j’ai l’impression d’avoir tout gâché avec ma rancœur.

- Y'a pas de lézard Greengrass. C'était sympa, dit-il en lui accordant finalement son attention et un mince sourire factice pour masquer le cumul d'exaspération de la soirée.

Garder la tête haute c'était le plus important. Puis il se mit à bailler incontrolablement.

- Je suis vraiment vanné. Je vais aller me coucher.

C'était pas mal désordonné mais il remettrait la corvée du rangement au lendemain. Il se leva sans plus de cérémonie et passa une main derrière sa nuque pour en assumer le choc. Ouch.

- J'ai peut-être un peu trop forcé ce soir, ricana-t-il avant de se reprendre pour aborder les questions pratiques. La chambre d'amis est là, informa-t-il en pointant une porte du couloir visible depuis leur position, tu y trouveras une commode avec des chemises et d'autre trucs, je sais pas trop, sers-toi si t'as besoin... Bonne nuit Greengrass, acheva-t-il en un sourire poli. Puis il s'éloigna calmement, toutefois hâtif de retrouver son lit.

Une fois la porte de la chambre refermée il cessa son manège. Il avait envie de frapper le mur mais ça aurait fait trop de bruit. Mais que s'était-il passé ce soir ?! Comment ça avait pu dégénérer à ce point ? Qui lui avait-il pris ? Il était mortifié. Dans une rage qu'il avait tue tant bien que mal ces dernières minutes, il enleva son t-shirt pour en enfiler un autre et poursuivit brusquement toute la phase du pré-coucher, du brossage de dents à l'éclaboussure d'eau fraîche sur le visage pour se remettre les idées en place. Son regard était ombrageux et il ne s'adoucirait pas avant que ses paupières viennent le masquer. Il s'allongea dans son lit avec une énergie frustrante. Pourtant son corp était fatigué, mais sa tête n'en pouvait plus de fuser. Il plaça ses mains derrière la tête et fixa le plafond.

Greengrass. Greengrass. Greengrass.

Héra se tournait et se retournait sans parvenir à trouver le sommeil, ni même à l’approcher. Elle était épuisée, incapable pour autant de parvenir à s’endormir. La manière dont s’était terminée la soirée lui laissait un goût amer, peut-être aussi une pointe de frustration. En fait, plus les minutes passaient plus elle se sentait envahie par ce dernier sentiment. Elle avait essayé de réparer quelques de ses erreurs, mais loin d’avoir convaincue Drago elle l’avait au contraire fait fuir, la laissant seule dans le salon avec de vagues indications. Un long moment, elle était restée assise à attendre, comme s’il allait revenir et que tout allait s’arranger. Mais s’arranger dans quel sens ? Que voulait-elle ?

Elle avait finit par se lever, enfiler un tee-shirt trouvé là, et s’allonger dans les draps luxueux qui l’accueillaient. Pourtant ils lui semblaient rêches et froids alors qu’une couette épaisse la couvrait. Ce n’était pas leur tissus qu’elle voulait sentir contre sa peau. La sensation des lèvres de Drago sur les siennes ne la quittait pas, comme un souvenir s’estompant qu’on essayait de retenir. Ne s'empêchant plus de rien, elle sortit du lit, de la pièce, et approcha de la chambre de son hôte. Le plus silencieusement possible elle entrouvrit la porte et le vit, dans le faible rayon de lumière provenant du couloir, paisiblement assoupi. Il paraissait apaisé, et elle se surprit à sourire. Entrant, elle avança encore de quelques pas pour s’asseoir sur le bord du lit, le regardant toujours. Elle se sentait enfin mieux.

Drago avait péniblement cédé aux bras de Morphée mais il avait bien fini par y succomber. Ce n'était pas une grande victoire cependant. Son sommeil s'en trouvait léger, à rouler d'une position à l'autre toutes les dix minutes. Voilà ce qui arrive quand une donzelle vous embrume la cervelle ! C'est peut-être pour cette raison qu'il tressaillit légèrement lorsqu'il sentit comme un poids sur son lit, à moitié conscient de son environnement comme un sorcier en cavale toujours alerte. Lorsqu'il ouvrit ses yeux hagards, elle était là. Le sommeil, ça met dans un état un peu second. Ca expliquerait pourquoi Drago, à ce moment-là, ne bondit pas de son nid pour remettre la vélane à sa place. Il tenta plutôt d'identifier cette image floue comme pour se convaincre qu'il ne s'agissait pas d'un rêve. Et non, elle était bien là...

- Qu'est-ce que... marmonna-t-il tout bas, toujours en phase de réveil.

Puis il resta là, à la regarder sans un mot. Il aurait pu lui demander pourquoi elle venait le provoquer jusque dans son lit, il aurait pu s'emporter et lui dire d'aller voir ailleurs s'il y était, il aurait pu la remettre à sa place sans se torturer davantage mais il lui semblait qu'elle esquissait un sourire, et ça changeait un peu la donne. C'était plus fort que lui. A défaut de pouvoir la renvoyer d'où elle venait, il restait là, dans ce moment en dehors du temps, dans l'expectative. Il passa une main dans ses cheveux comme pour retrouver ses esprits et lâcha un soupir.

- Tu ne dors pas ?

De toute évidence non. Elle ne dormait pas. A moitié en train d'émerger, c'était tout ce qui était sorti de sa bouche mais au moins, aucune rancoeur ou référence à une frustration antérieure ne s'échappait du ton de sa voix.

En sentant Drago bouger, l’intruse tressaillit, d’autant plus lorsqu’il ouvrit les yeux. Il était beau, là, inoffensif, sans cet air dur qu’il arborait si souvent. Certes il l’abandonnait parfois avec elle mais ça ne l’empêchait pas de se contrôler tout de même. C’était dans ces moments qu’elle le préférait, lorsqu’elle le sentait vulnérable, à sa portée. Elle avait l’impression d’être plus proche de lui et c’était en cet instant tout ce qu’elle désirait.

Elle n’aurait pas dû se trouver ici mais n’arriva pas à être gênée lorsqu’il la surprit. Aussi étrange cela pouvait-il paraître, elle se sentait à sa place.  Avait-elle tort ? La question ne se posait pas. Il était trop tard quoi qu'il en soit.

" - Tu ne dors pas ?

Le ton qu'il employa la rassura. Elle avait eu peur qu’il la repousse ou se montre aussi froid que lorsqu’ils s’étaient quitté, elle ne se serait pas sentie prête à l’affronter. Heureusement, le calme qui les bordait la berçait d’une tiédeur rassurante. Il avait suffit qu'elle retrouve Drago pour émerger de ses humeurs noires.

Héra baissa les yeux une seconde avant de les ramener vers le sorcier. Elle n’allait certainement pas lui confier les raisons de son insomnie, qu’elle pensait à lui depuis tout ce temps (était-ce des minutes, était-ce des heures ?), qu’elle regrettait son comportement non pas parce qu’il avait été incorrect mais parce qu’il n’avait pas mené à ce qu’elle voulait vraiment.

- Je n’y arrivais pas.

Elle aurait pu, dû, s’excuser de l’avoir réveillé, mais elle avait l’impression qu’elle devait s’abstenir. Ça aurait été avouer qu’elle était en faute et elle préférait ne pas remettre en cause sa légitimité. L'idée de banaliser sa présence en ce lieu ne la dérangeait en rien.

- Tu crois que je peux rester ? L'interrogea-t-elle d'une voix mal assurée."

- Je n’y arrivais pas.

Drago attendait la suite, toujours à moitié conscient, entre rêve et réalité.

- Tu crois que je peux rester ?

Il resta figé quelques secondes. Pas de stupéfaction, plutôt sereinement comme s'il digérait la question, le temps que ça atteigne son cerveau. Il ne pouvait toutefois ignorer cette sensation étrange dans sa poitrine, c'est pourquoi plutôt que de débattre de la question, la taquiner, ou encore se jouer d'elle, il préféra se taire un instant. Franchement il n'avait ni la force ni l'envie de relancer les festivités du drame et pour empêcher ça, il n'y avait qu'une seule solution. Céder. C'était comme si elle venait de lui dire: "Cette fois je ne m'enfuirais pas. Viens me cueillir." alors il le prit au mot.

Il cligna doucement des yeux comme pour lui donner son approbation et posa sa main sur son bras pour chercher une prise, à la fois comme un malade réclame son calmant et comme un homme en crève pour sa belle, et pourtant tout en douceur et avec assurance. Puis tout naturellement il l'amena vers elle, de plus en plus près, pour qu'elle vienne se loger contre lui. Elle n'opposait aucune résistance et se laissait guider docilement, ce qui le rendit plus paisible encore à l'idée de l'avoir près de lui. Il n'avait pas la moindre sensation de la forcer ou de devoir la persuader pour une fois. Alors il logea son nez dans sa crinière et l'encadra de ses bras pour la serrer un peu plus fort, sans dire un seul mot, comme si ça coulait de source.

Voilà qu'il était prêt à poursuivre sa nuit plus apaisé, et s'il devait y avoir des conséquences, elles seraient à considérer le lendemain. Surtout pas maintenant.

Sans un mot, juste en un geste, Drago la mena jusqu’à lui pour la loger dans le creux de ses bras. Elle sentait sa peau sur la sienne, la forme de son corps, son nez dans ses cheveux. Difficilement, elle refoula l'envie de le frôler de ses mains, d'entrelacer leurs doigts, l'encourager à la serrer plus près encore. Un sentiment de sérénité qu’elle n’avait plus ressenti depuis longtemps la gagna. Depuis des années elle fuyait, tout et personne, et pour une fois, elle n’aurait voulu être nul part ailleurs. Jamais elle n’avait eu l’impression de ressentir un instant aussi pur. Qu’importait que le lendemain son avis soit autre, elle voulait que ce moment dure toujours, qu’il n’y ait même pas de lendemain, ou qu’il ne soit que sa continuité. Comment ferait-elle désormais lorsqu’il s’éloignerait ? Elle s’était sentie vide lorsqu’il s’était détaché d’elle un peu plus tôt, et cette sensation la hantait. Si elle devait être honnête avec elle-même, cela durait depuis des mois. Elle s’était battue avec acharnement, mais comment mentir encore ? Comment prétendre qu’il n’était pas tout ce qu’elle désirait ? Et encore, user de ces mots c’était minimiser tout ce qu’elle ressentait.

Elle sentait à son souffle qu’il ne dormait pas encore, lui non plus, et elle se retourna pour enfouir son visage dans son cou, sentir son odeur. Leur baiser lui revint, et la manière dont elle l’avait interrompu tout autant. Elle faillit rire en réalisant à quel point elle avait été stupide, à quel point elle avait tout gâché. À quel point elle transformait tout par peur. Sauf qu’elle n’avait plus peur.

" - Je ne joues pas, chuchota-t-elle. "

Un peu avant qu'elle ne se tourne vers lui, il sentit la brune amorcer son mouvement et relâcha légèrement son étreinte, comme si ses membres étaient du chewing-gum, pour lui permettre une totale liberté dans ses gestes. Ses yeux étaient clos mais il ne dormait pas, comme s'il savourait l'instant à moitié présent, bercé par la douceur de l'instant. Elle avait niché son petit nez dans son cou et ça le chatouillait légèrement si bien qu'il souriait.

- Je ne joue pas, put-il entendre dans le creux de son oreille.

Il n'était pas assez conscient pour mesurer toute la symbolique de ces mots, elle qui l'en accablait avant les utilisait à son tour pour formuler une confession, se les appropriant comme pour faire son mea culpa. Machinalement, ou plutôt tout naturellement, il vient caresser sa joue et resserra son étreinte. Il l'aurait gardée prisonnière à l'infini s'il avait pu, sans penser au lendemain, au fait qu'elle pourrait de nouveau prendre peur et lui aussi. Jamais une telle sincérité s'était imposée à lui en présence d'une femme. Avec Héra c'était différent, mais il ne réalisait pas encore tout ce que ça signifiait pour le maintien de sa vie volage. A vrai dire à cet instant précis il n'y pensait même pas. Il était bien.

- Moi non plus, répondit-il très simplement, le genre d'aveu improbable qu'il lui aurait été impossible de formuler s'il avait été dans son état normal. Sobre, ou éveillé.

Héra le maintenait dans cet état second dans lequel il était pour l'heure ravi de se complaire, mais à l'instant des confessions sur l'oreiller il s'autorisa une réflexion, plus pour lui-même, comme s'il réfléchissait tout haut sans vraiment chercher de réponse, comme un constat finalement.

- Si tu as pensé à un moment que je jouais je ne vois toujours pas à quoi.

Peut-être qu'elle l'aiguillerait, ou peut-être pas. Peut-être qu'ils resteraient ainsi sans se formaliser du passé.

La nuit n’avais jamais été si paisible. Elle sentit avec délice Drago suivre son mouvement, caressant sa joue. C’était incroyable comme elle était bien, et plus à chaque seconde. Ce sentiment s’accentua encore lorsqu’il lui confia que lui non plus, en réponse à son murmure. C’était à croire qu’elle avait eu besoin d’entendre ces mots pour être rassurée, même si ses insécurités s’estompaient déjà.

" - Si tu as pensé à un moment que je jouais je ne vois toujours pas à quoi. "

Elle aurait pu lui expliquer ce qu’elle redoutait tant : que d’amie, place privilégiée à ses côtés, il ne la voit désormais plus que comme une femme pareille à celles qu’il oubliait au matin. Contrairement à de nombreuses anglaises, elle ne considérait pas que partager le lit du Malefoy représente le moindre honneur, du moins pas de cette manière. De l’extérieur, il lui semblait qu’il les utilisait presque comme des objets qu’on jetait après une paire d'heures et n’avait jamais eu de raison de penser le contraire. Elles étaient remplaçables alors qu’elle avait besoin de cette stabilité, savoir que leur relation n’était pas menacée. Il l’avait déjà assez remis en question avec ses allers et venues. Après, ces absences n'avaient été que momentanées. A chacun de ses retours il l'avait retrouvée mais elle ne pouvait s'empêcher d'appréhender qu'un jour, il s'évapore éternellement.

Pourtant elle se tût, craignant de briser le moment. Il était trop précieux pour qu'elle prenne ce risque. Délicatement, elle s'écarta légèrement de lui pour l’observer à travers la noirceur du soir. Ses yeux balayèrent son visage pour le détailler, et elle ne sut combien de temps elle resta ainsi.  Elle ne l’avait jamais envisagé ainsi, mais elle ne pouvait nier qu’il était beau. Particulièrement beau même. Indécise, elle hésitait. Jusqu’à poser ses lèvres sur les siennes, et là, elle n’hésita plus.

Quand elle s'écarta pour le regarder il en fut un peu surpris et désappointé, comme si elle s'arrachait doucettement à lui. Mais elle n'allait pas bien loin, donc il se rassura bien vite. Il ne comprit pas trop ce qu'il se passait dans sa tête à ce moment-là, que pouvait-elle distinguer de ses traits dans la pénombre de cette chambre, mais à vrai dire il n'était pas suffisamment alerte pour s'en soucier profondément. Il la laissait faire, lui rendant ses regards dans le flou avant de fermer épisodiquement ses yeux hagards. Tantôt dormant tantôt guettant. A demi-mot. Puis il la vit rapprocher ses lèvres délicieusement, entreprenant ce qu'elle n'avait jamais osé jusque là. Qu'elle se laisse aller sans se poser de question le rendait étrangement ivre, il ne l'aurait pas soupçonné à ce point. Il ferma les yeux pour recevoir son baiser mais voilà qu'elle venait de le réveiller pour de bon... Cette fois elle s'attardait et lui se laissait faire, comme s'il avait secrètement besoin qu'elle confirme ses intentions en les scellant par son geste. Pourtant lorsqu'elle s'arrêta tout en restant proche de ses lèvres comme pour les narguer, il renonça à sa résolution et posa sa main sa joue pour lui rendre la pareille, s'élevant légèrement pour plus d'aisance. Son baiser se mouvait dans une danse douce et lascive. Il prenait tout le temps d'apprécier la soie de ses lèvres en jouant de son souffle chaud. Puis il s'arrêta une seconde pour déglutir et reposa la tête sur l'oreiller sans pour autant trop s'éloigner. Il la regardait mi amusé mi sur ses gardes. Pas contre elle, plutôt contre lui-même.

- Tu ne peux pas faire ça Greengrass, lâcha-t-il en souriant, faisant mine de la sermonner.

C'était une réplique sujette à interprétation mais ce qu'il voulait dire par là, c'est que si ça ne tenait qu'à lui il lui sauterait littéralement dessus. La voir désireuse de sa personne, ainsi offerte à lui, c'était une tentation dangereuse que Drago avait visiblement du mal à gérer. Il la trouvait extrêmement belle ce soir, très pure aussi, et il avait l'impression qu'il ne ferait que la souiller s'il se laissait aller à goûter sa peau ou caresser ses courbes. Il n'osait pas la brusquer, ou il n'osait plus, comme si ça ne pouvait que la faire fuir. Et il ne voulait pas qu'elle s'enfuit. Elle ne pouvait pas venir dans son lit tard le soir, l'embrasser, et espérer de lui qu'il n'ait pas envie d'elle. Alors il faisait tout pour ne rien laisser paraître ou, tout du moins, contrôler ses ardeurs. Par Merlin elle ne lui facilitait pas la tâche !