Le retour de Drago avait perturbé Héra plus qu'elle n'acceptait de l'avouer. Après tant de mois d'absence et de silence, des jours et nuits entiers durant lesquels elle s'était inquiétée, des explications vaseuses et pour le moins insatisfaisantes, il était là. Enfin. Pourtant la colère de la journaliste, sa rancœur, perduraient. La pommade ne blessait pas les plaies trop profondes, pas plus que les Vulnera Sanentur ne ranimaient les morts.

L'inconstance de leur amitié la blessait, si ce n'était qu'elle la détruisait. Elle tenait trop à lui pour qu'il se permettre de piétiner ainsi leur lien en l'oubliant. S'il ne l'avait pas contactée, c'est qu'il n'en avait pas ressentit l'envie alors qu'elle se mourrait de n'avoir pas de nouvelle. N'était-elle rien pour lui ?

Perdue entre ses sentiments divers, elle ne savait comment faire le tri pour extérioriser. Elle n'avait jamais su et était habituée à emplir plus profondément ses émotions jusqu'à ce qu'elles l'encombrent tant  qu'elle doive se trouver d'autres problèmes à régler. Ou une distraction suffisante pour oublier. Tout dépendait de la force de ses humeurs.

Elle n'était plus capable de lutter et avait besoin d'un soutien. De quelque chose – ou quelqu'un – qui la persuaderait qu'elle n'était pas seule. Une personne sur laquelle se reposer, sur laquelle elle était persuadée de pouvoir compter. William.

Il l'avait abandonnée, certes, mais plus parce qu'elle l'avait chassé que quoi que ce soit d'autres. De toutes manières elle ne parvenait à rationaliser et ses actes, prohibés par sa conscience, n'étaient motivés que par une nécessité certaine. Ce fut ce qui expliqua qu'elle se trouve devant chez le Pierce, en pleine nuit, alors qu'elle n'était parvenue à chasser ses insomnies.

Amanda était en promotion pour son nouvel ouvrage – c'était dans tous les journaux – et aucune entrave ne retiendrait le musicien. S'était-il seulement laissé faire prisonnier un jour ? Héra ne se posa pas la question, frappant à sa porte jusqu'à ce qu'il lui ouvre. Lorsqu'il fut devant elle, un sourire oscillant entre gêne et amusement illumina le visage de la sorcière. Ses mots n'enlevèrent rien à l'étrangeté de la situation :

" - Est-ce que l'invitation à la patinoire tient encore ? "

L'état dans lequel elle trouva William l'ébranla une seconde. Il n'était pas aussi heureux de la voir qu'elle ne l'avait espéré. Froid, le regard sombre, sa réponse ne fut pas plus celle qu'elle avait attendue.

" - Toi, toi t'es une marrante toi. 

Son état d’ébriété ne lui échappa pas, même si elle n'en devina pas l’ampleur, et ce fut son tour de se trouver stupidement devant lui, à  ne savoir que dire. Il l'avait prise au dépourvu alors que c'était elle qui surgissait en pleine nuit.

- Entre. 

- Je … Merci, réussit-elle à émettre en obtempérant.

- Non franchement, t'es drôle. Tu m'abandonnes dans une rue comme un con alors que je pensais qu'on passait un bon moment, tu me fais sentir comme la dernière des merdes et tu te pointes comme une fleur devant ma porte en me demandant si mon invitation tient toujours. Et bah oui.  Attends moi là. 

Comment pouvait-il déformer la situation de la sorte ? N'ayant aucun autre choix que celui d'obéir, la sorcière l'observa s'engouffrer dans l'une des autres pièces de son appartement et y rester quelques instants sans cesser de s'agacer. Lorsqu'il ressortit, Héra tint à clarifier la situation. Elle était plus sobre que lui (pourrait-il seulement patiner ?), plus enjouée aussi, mais son attitude l'avait quelque peu calmée. Pourrait-elle lui expliquer ? C'était s'exposer à de trop grands risques et elle ne voulait pas aggraver la situation encore. Pourtant, elle était là. N'était-ce pas trop dangereux déjà ?

- Je ne comprend pas ce que tu me reproches. Oui on passait un bon moment mais j'étais fatiguée et j'ai préféré rentrer avant que ça devienne désagréable. Mieux vaut en profiter vraiment ce soir, non ?

Un sourire ponctua sa remarque, et elle sut elle-même se remettre dans une humeur plus agréable. S'approchant de son ancien amant, elle le saisit par le bras pour l’entraîner jusqu'à l'extérieur.

- Allez viens, et arrête de faire la tête. Le but, c'est qu'on s'amuse ! "

Lorsqu'ils eurent rejoins la rue elle le lâcha, s'éloignant d'un pas – savait-on jamais. Elle ne savait quelle erreur elle faisait encore, mais pour tout avouer, ne s'en préoccupait plus.

HRPG:

Alors qu'ils marchaient, bordés par ce silence tiré de tension, Héra se demanda frissonnante ce à quoi elle jouait. Elle se posait de fausses questions puisqu'elle savait précisément pourquoi elle était là, mais la réponse ne lui plaisait pas. Cette personne qui fuyait la peine et la colère en utilisant ceux qui l'entouraient, ce n'était pas elle, et elle empruntait pourtant son rôle pour un soir, se maquillant de déni.

" - Et pourquoi cette envie nocturne, Miss Greengrass ? Tu te réveilles souvent dans la nuit avec une envie d'aller à la patinoire ? Ou avec une envie de me voir ?

Elle sourit, amusée, et prit quelques instants pour lui répondre d'une voix joueuse.

- Peut-être un peu les deux.

En vérité elle savait précisément pourquoi elle était là et c'était pour une tout autre raison. Celle qu'elle se taisait et était loin d'avouer à un autre. Heureusement pour elle et l'obscurité de ses pensés elle n'eut à parler plus. L'étendue glacée s'éternisait devant eux. d'un sac qu'elle tenait du bout des doigts elle sortit deux paires de patins (William n'aurait certainement pas pensé à en emporter, et elle n'avait oublié sa pointure) et en donna une à son compagnon. S'asseyant sur un rebord elle chaussa la seconde dont elle serra les lacets de crainte de les perdre. Lorsqu'elle fut assurée qu'elle était bien tenue elle se releva et avança difficilement jusqu'à la glace sur laquelle elle se tint debout.

Son regard se posa sur le Pierce qui n'était pas plus sobre que lorsqu'ils étaient sortis de son appartement. Un rire lui échappa tandis qu'elle l'observait s'affairer :

- Est-ce que tu as besoin d'aide ?

Elle lui tendit la main pour l'inciter à la rejoindre. Peut-être ce simple geste outrepassait-il ses droits et les limites qu'elle s'imposait, peut-être entamait-elle l'irrémédiable. Mais elle n'arrivait plus à être celle qui ne pensait qu'aux autres et ne vivait que pour eux, celle qui se sacrifiait et subissait leur inconstance.

- Alors, tu viens ? "