Les talons d’Héra claquèrent sur le sol tandis qu’elle avançait dans l’atrium. Il n’était plus le même qu’à sa dernière venue, paré d’élégance et de grâce, mais sa richesse apparente ne dissimulait pas la noirceur qu’il habitait désormais. Chacun des détails qui le composaient le ternissait, lui donnait un goût amer, de jolies couleurs sur un tableau sale. Se parer de fausseté ne trompait que les plus crédules.

La sorcière marqua un arrêt là où il n’y avait encore personne, seule une vague mouvante allant et venant de la cérémonie à sa sortie. Pour une raison qui lui échappait elle craignait de se mêler à la foule. Il lui semblait qu’elle ne deviendrait rien d’autre qu’une anonyme interchangeable avec tous ces autres et si cette idée l’indifférait quelques mois plus tôt tout était désormais différent.

" - Tout va bien ?

Une voix douce interrompit ses divagations. Tournant la tête vers celui qui l’avait interpelée, elle sourit, comme si c’était lui qu’elle devait rassurer. Son cavalier se tenait à ses côtés, sa main posé avec délicatesse sur son avant bras. Ils s’étaient rencontrés peu après la prise de pouvoir de Gustav lorsqu’elle avait prit son poste au Chaudon Baveur. Liam Hotwood était une figure nouvelle de la Grande-Bretagne. Discret jusqu’à peu il avait joui d’une notoriété fulgurante d’abord par sa mère, proche notable de leur Ministère actuel, mais surtout en s’était opposé à elle en refusant de rejoindre la HORDE.

Une mèche brune qu’il replaçait sans cesse auprès des autres balayait son regard sombre. Si ces traits n’avaient été si fins, il aurait pu ressembler à une brute avec sa mâchoire carré et la masculinité de son visage. Pour sa beauté aussi, il avait été reconnu, et éveillait  de nombreux commérages. Son costume classieux était seyant de sobriété. Tout de noir vêtue, sa cavalière lui était assortie. Sans extravagance elle avait choisi une robe à l’allure simple, sans décolleté plongeant ou fente vertigineuse, mais dont le velours épousait parfaitement le corps. Ses cheveux bouclés reposaient sur ses épaules et son dos, ondulant avec volupté. Elle avait redessiné ses lèvres d’un rouge sombre, assombri ses paupières pour intensifier ses prunelles, ajouté des couleurs s’il le fallait. Tous deux formaient un parfait tableau.

- Oui, ne t’inquiète pas. "

L’un près de l’autre, ils avancèrent, affrontant les œillades et leur absence. Héra les scrutait à la recherche d’un visage ami, ennemi, ou peut-être préférait-elle n’être entourée que d’inconnus. Celui qu’elle trouva la ravit comme l’horrifia. Elle se tendit imperceptiblement en reconnaissant Drago. Son ami, l’était-il toujours, était auprès d’une sulfureuse accompagnatrice qu’elle ne prit le temps de reconnaître, tout à sa contemplation. Sa blondeur ressortait comme un énième fil d’or que composait le décor, et sa tenue lui saillait parfaitement. Seul l’accessoire qu’il tenait à son bras l’obscurcissait.

En l’apercevant elle réalisa qu’il lui manquait, plus fort qu’elle n’avait pu le ressentir les rares fois où ils s’étaient croisés. Elle avait pensé à lui, chaque jour, mais n’avait jamais osé lui écrire. Pourtant elle se détestait de n’avoir été là alors qu’il avait dû avoir besoin d’elle. Elle lui avait reproché de l’avoir abandonnée, mais en quoi avait-elle agit différemment ? Son comportement s’expliquait par la distance venimeuse qui s’était instaurée entre eux sans l’excuser pour autant. Son visage, ses mots, sa simple présence, elle aurait voulu traverser la salle pour le retrouver et combler ce vide immense que son absence avait creusé en elle. Mais ses sentiments furent vite balayés par une jalousie dévorante qu’elle n’expliquait pas.

Chaque seconde paraissait à Héra plus longue que la précédente. Elle concentrait tous ses efforts à ignorer son trouble, et le blond qui les provoquait, pour ne se préoccuper que de son cavalier. Les œillades qu’elle retenait fermement lui échappaient parfois et elle le regrettait à chacune d’elle. Si elle avait pu les empêcher elle aurait évité ces vagues vicieuses qui éveillaient des sensations désagréables, presque douloureuses, qui ne manquaient de l’assaillir. Elle n’avait pas besoin de le voir se pavaner avec une autre pimbêche, qu’il s’approche tant d’elle, l’idée même qu’il l’ait invitée l’écœurait. Qui plus est, elle n’avait toujours pas réussit à voir de qui il s’agissait, trop vive et focalisée sur lui.

Elle s’ancrait comme une forcenée à leur conversation pour que Liam ne remarque pas à quel point son esprit papillonnait. Ça n’aurait été si compliqué en temps normal ; ils ne s’étaient rencontrés qu’à de rares occasions, et jamais hors du cadre de son travail, mais elle l’appréciait. Aussi intéressant qu’il n’était drôle, il n’aurait dû avoir aucun mal à passionner la sorcière. Seulement son attention était toute ailleurs malgré sa volonté.

" - Il va me falloir plus de champagne pour tenir jusqu'à minuit.

Deux nouvelles coupes vinrent parer leurs mains. Héra était d’accord avec lui, il n’imaginait d’ailleurs pas à quoi point, mais profita de l’occasion pour s’amuser un peu. Son éternel sourire revint sur ses lèvres.

- C’est donc si difficile de me supporter ?

Il étouffa un rire en se rapprochant légèrement d’elle comme s’il avait voulu qu’elle soit la seule à l’entendre.

- Ne confonds pas tout, tu es ce qui rend la soirée un peu plus agréable.

Le compliment n’était pas empreint d’une tension qui aurait pu la mettre mal à l’aise, mais ce fut quand même son effet. Ne sachant comme réagir la sorcière resta un instant muette mais fut sauvée par un autre couple qui les interrompit. Elle se figea en reconnaissant le Malefoy, en compagnie d’une de ses anciennes collègues qu’elle appréciait jusqu’à ce soir. À vrai dire elle ne la détestait pas non plus mais ses sentiments à son égard se teintèrent d’autres qu’elle n’analysa pas.

- Bonsoir Greengrass. Tu connais Taylor ?

La présence de Drago si proche la tendit plus encore qu’elle ne l’était. En d’autres circonstances elle aurait été contente qu’il vienne la retrouver mais tout était différent ce soir. Elle ne se sentait pas prête à affronter sa froideur qui glaçait son propre cœur. Se rendait-il compte, ne serait-ce qu’en une part moindre, de comment elle se sentait ? Elle en oublia presque de répondre. Comme elle le faisant sans cesse, elle se para d’un masque bienveillant.

- Évidemment, même si je ne savais pas que vous vous connaissiez.

Eden ne le lui avait jamais confié. Évidemment, ils s’étaient croisés à Poudlard, mais sa cousine ne le lui aurait pas caché si elle avait appartenu à leur petit groupe élitiste. Depuis quand se fréquentaient-ils, et surtout, qu’est-ce que leur relation impliquait ? Était-elle l’une de ses amies privilégiées ? Ou sa place était-elle plus particulière ?

- Et qui est ton accompagnateur ?

- Liam Hotwood. Je te présente Eden Taylor et Drago Malefoy.

Il était étonnant qu’il ignore son identité alors qu’il avait tant fait parler de lui. Fermement opposé à la HORDE, il usait de la position de ses proches dans celle-ci pour le décrédibiliser et avait déjà fait couler beaucoup d’encre. Sa place de personnage public était sécurisante sans le préserver de tous risques.

- Mademoiselle, salua-t-il d’abord la journaliste, et je rencontre enfin le grand Drago Malefoy. Vous devez connaître ma mère, Élisabeth ? "

Aucun dédain ne transparaissait dans ses mots mais la serveuse, le connaissant, savait que sa hargne s’exprimait envers tous les sympathisants du parti au pouvoir. Il n’était pas du genre à faire d’esclandre et savait qu’il ne lui ferait aucune reproche frontale. Quoi qu’il en soit, elle préférait se taire que risquer de trop parler.

Elle était plus occupée à détailler Eden, sans aucune malveillance, et sa stature. Comment faisait-elle pour allier avec tant de goût provocation et élégance ? Héra aurait aimé en être capable elle aussi et une pointe de jalousie s'éveilla. Elle ne pouvait nier qu'elle était magnifique et s'accordait un peu trop bien à son cavalier.

" - Certainement, votre mère est définitivement une figure à connaître. D'ailleurs ne pensez-vous pas qu'il est de circonstance d'écouter avec attention ce que les femmes de nos vies ont à dire ?

Les femmes de nos vies. La brune espéra qu’il ne s’agissait que d’une expression sans parvenir à s’en persuader. Qui était donc Eden pour qu’il la présente comme ayant tant d’importance, et comment sa situation avait-elle pu tant changer en deux mois ? Clairement ses mots la désignaient après que Liam l’ait malencontreusement ignorée. La dignité de la Greengrass s’effritait ; elle avait eu raison de craindre que trop s’approcher de Drago les éloignerait. Elle avait de toute évidence perdue tout intérêt pour lui et avait été remplacée par cette autre qu’il présentait comme sa cavalière. Avant ça, elle n’avait jamais regretté ce qu’il s’était passé entre eux, mais elle préférait ne pas l’avoir assez que ne pas l’avoir du tout. Elle était prête à collectionner les miettes de sa présence qu’il accepterait de lui accorder et elle s’en détestait. Pourquoi avait-elle si mal ?

- J'ose espérer que je n'ai pas à répéter la question pour que ma cavalière soit entendue.

Était-ce à elle qu’il s’adressait ainsi ? Avec un mépris si fort ? Elle ne savait pas ce qu’elle avait pu faire pour que sa chute dans son estime soit si vertigineuse. Durant toute leur amitié elle avait eu l’impression qu’ils étaient du même côté, que malgré les circonstances ils ne jouaient pas l’un contre l’autre. La barrière froide qui les séparait désormais semblait être infranchissable. En regardant Drago, elle ne voyait plus qu’un inconnu, et pourtant encore cette personne si spéciale à laquelle elle tenait tant.

Cette main qu’il posait sur elle, cette ardeur avec laquelle il la défendait, c’était plus qu’elle n’arrivait à le supporter. Héra n’était plus qu’une statue sans âme sur laquelle elle avait figé cet éternel air aimable. Son corps parlait pour elle, feignant une joie factice, pour mieux dissimuler ses tourments intérieurs. Aussi vrai qu'il paraissait son déguisement lui demandait des efforts surhumains. S’il n’y avait eu foule elle se serait précipitée aux toilettes pour calmer les nausées qui retournaient son estomac comme un ballon avec lequel on jonglerait.

- Pardonnez mon indélicatesse. Nous nous sommes rencontrés au travail d’Héra et recroisés là-bas à quelques occasions. Nous …

- Excusez-nous, l’interrompit Héra en saisissant le bras de son compagnon pour l’entraîner, un de tes amis nous a fait signe. Au plaisir de vous recroiser. »

Et elle s’écarta, lui dans sa suite, en traversant la salle. Ça avait été trop. Elle qui pensait être capable de s’oublier quoi qu’il advienne n’y était pas parvenu. Perdue, elle ne savait pas d’où provenait cette force qui semblait la broyer toute entière, mais ne pouvait que constater de sa puissance. Lorsqu’ils se furent assez éloignés elle se tourna vers Liam :

" - Il faut que je passe au bar, je te retrouve dans un instant. "

Sa coupe était encore pleine mais elle se sentait étouffer. Elle avait besoin d’air et se était écrasée par le plafond haut qui les surplombait. Pour calmer son esprit elle se concentra sur la fête de l’an passé. Drago lui avait tenu compagnie pendant une bonne partie de celle-ci alors qu’ils n’y étaient pas venus ensembles. Elle se rappela leur danse, leurs défis stupides, qu’elle l’ait rattrapé, inquiète, après sa dispute avec Pansy. Ces souvenirs l’apaisèrent autant qu’ils furent douloureux.