L
e théâtre, la culture, et les devoirs d'un avocat fort consciencieux pour soutenir son client. Telle est mon histoire à dormir debout. Le comédien principal de cette pièce de bas étage descendue par la presse et qui, par ailleurs, se paye mes services pour résoudre ses conflits maritaux tristement ennuyeux, m'a invité à sa représentation pour remplir les rangs de cette célèbre salle baroque, d'où ma venue. Pour tout dire je me serais grandement passé de ce passage obligé pour brosser mon canard dans le sens du poil, mais pour gagner la confiance d'un compte en banque bien garni il faut savoir se donner sans compter et s'imposer comme une béquille de premier choix dans les situations les plus saugrenues. Programme en main, mine lasse et désabusée, j'attends que le rideau se lève. C'est parti pour une heure de monotonie et de désolation.
[ ... ]
Le rideau tombe enfin, c'est l'heure de l'entracte. La Gazette ne mentait pas; je suis la preuve vivante qu'il est possible d'être plus consterné que Voldemort à Godric's Hollow en 1990. Je me racle la gorge avec discrétion et me lève pour dégourdir mes jambes jusqu'à l'extérieur de la salle, comptant bien me payer un petit remontant bien mérité au bar du parterre. Lorsque j'y arrive, la file d'attente est interminable. J'ai horreur des troupeaux et le jour où l'on me verra en rejoindre un, on pourra me taxer de junkie de l'allée des Embrumes sans que je puisse m'en offusquer. Inutile de préciser que ce jour n'arriverait jamais. Me voilà pourtant hésitant, coincé et désoeuvré. Heureusement une voix me sort de ma torpeur, mais celle-ci me semble si familière que, bien malgré moi, je sens l'entièreté de mon corps se tendre et les traits de mon visage se crisper en une mine glaciale. On ne peut contrôler ses instincts les plus primaires et, quand je découvre son possesseur, je suis un peu surpris.
- Tae-kun. Je ne m'attendais pas à te revoir, surtout ici, ma lance l'impertinente en se penchant légèrement pour me saluer selon nos codes lointains.
Mitsuhane Akiyama. Grande prêtresse de la bien-pensance dont le souvenir amer tend à me rendre, encore et toujours, nauséeux de dégoût. Je la fixe sans sourciller, hésitant même à bailler ostensiblement mais je me contiens, préférant rester droit comme un piquet pour l'accabler d'un regard oppressant par le vide que j'y fais régner. Les honorifiques ont tendance à m'ennuyer, surtout en Angleterre où le langage informel est un concept purement inexistant, mais si elle insiste pour asseoir sa domination rétrograde ici-même je compte bien rentrer dans son jeu. Non pas sans réveiller une petite blessure du passé cependant...
- Onee-san, je lui réponds d'un sourire démesurément narquois pour contraster avec mon stoïcisme d'alors, tout en m'inclinant un chouïa plus bas pour satisfaire dignement sa petite crise culturelle absurde.
Ou ma chère "grande-soeur", pour traduire grossièrement chez les occidentaux. Petit clin d'oeil à notre proximité passée qui ne fut qu'une aberration, le tout dissimulé sous une couche de politesse factice pour induire une belle hypocrisie et nuancer le ton de ma voix.
- Quelle délicieuse surprise de tomber sur toi, je rajoute naturellement à la manière d'un doucereux serpent robotique.
Elle appréciera sans doute l'effort qui n'en est pas un, pour nous, les coutumiers du genre. N'importe quel témoin n'y verrait qu'un échange cordial sans en saisir la mesure et le poids.
- Tu ne sembles pas être de simple passage.Mon sourire s'étire à nouveau.
- Ta perspicacité t'honore. Je marque un temps sentant que, là, je m'apprête à faire une heureuse.
Tu as raison, je suis là pour longtemps. La Magenmagot est ravi de me compter parmi ses employés, tu connais mon professionnalisme.Et elle connait mes penchants. Je ne lui donne guère plus de détails à croquer, ni ne lui retourne la question. Je suis parfaitement au courant de ses activités trépidantes en Grande-Bretagne.
- Comment vont les Pies de Montrose au fait ? J'étais fort désolé d'apprendre votre défaite contre les Tornades de Tutshill en mai dernier.Je suis le Quidditch avec assiduité et compte bien le lui rappeler. Par ailleurs je prends plaisir à tester son âme de "bonne joueuse", à miss Perfection. Il est évident qu'à défaut d'être véritablement désolé, je me gargarise de sa défaite. Subtile manière de lui souffler que si elle compte déterrer de vieilles histoires ou ne serait-ce qu'y faire référence, je me ferais un plaisir de la torturer autrement qu'avec de simples taquineries. Intérieurement je reste défiant. Il ne manquait plus que ça, un fantôme du passé pour hanter ma soirée.