Il faisait froid, ce jour-là, et le vent soufflait aux oreilles casquées des joueurs qu’il serait sage pour eux de se blottir dans une épaisse couverture et boire quelques chocolats chauds en regardant tombant la pluie fine qui, pour l’heure, cherchait à s’infiltrer insidieusement dessous leurs tenues heureusement étanches. En hauteur par rapport au reste des joueurs, Mitsuhane chercha des yeux l’éclat doré traditionnel du vif d’or qu’elle avait perdu de vue quelques secondes plus tôt. Non loin d’elle, elle apercevait l’autre attrapeur faisait de même, un sourire béat sur le visage. D’après ce qu’elle avait compris du jeune homme, timide et naïf, il était simplement profondément heureux d’aider de son mieux ; il fallait dire que le match avait été organisé dans un cadre caritatif, le but étant de récupérer un peu d’argent pour aider les sorciers victimes d’accident de sport magique. Quelques équipes avaient donc décidé de prendre de leur temps pour cela, avec l’intention de viser plus grand si cet après-midi s’avérait prometteur. S’apercevant qu’elle fixait sans vraiment le voir son adversaire, qui lui adressa un si grand sourire qu’elle se demanda comment sa bouche pouvait ne pas déchirer le reste de son visage, elle agita vaguement la main en réponse avant de se reprendre : vif d’or, vif d’or !

Quelques heures plus tard, alors que la nuit tombait doucement sur le terrain de sport, la japonaise avait pu – ô plaisir – prendre une douche chaude et se vêtir proprement. La capitaine ayant demandé qu’une photo en tenue de Quidditch soit faite à la fin de l’évènement, l’attrapeuse avait passé l’une de celles de rechange avant de ressortir. Prochaine mission, bien plus complexe que le jeu : se mêler à la foule. Converser, sourire, sympathiser et inciter subrepticement ouvrir le portefeuille et donner de ses gallions. S’il y avait bien un talent que Mitsuhane était certaine de ne pas posséder, c’était bien de la persuasion… Profitant qu’elle était seule, elle soupira sans retenue avant de sortir, déjà fatiguée d’entendre le brouhaha des conversations. Plusieurs tables avaient été dressées, et quelques volontaires se faisaient un devoir de vendre aux spectateurs gâteaux, tee-shirts et écharpes aux couleurs des équipes, balles dédicacées et à peu près tout ce qui pouvait de près ou de loin s’apparenter soit à la nourriture, soit au Quidditch. Face à la foule qui se pressait pour s’acheter vins chauds aux épices, bièraubeurre ou gâteau à la citrouille, l’attrapeuse des Pies devait bien reconnaitre que l’idée semblait s’avérer plutôt bonne. En outre, une sorte d’énorme parapluie magique et translucide avait été installé au-dessus des stands, permettant aux visiteurs de savourer leur tarte aux à l’angélique sans finir par éternuer dessus à cause de gouttelettes coulant dans le col. Qui prenait le temps de lever les yeux et l’admirer pouvait admirer le spectacle enchanteur des fines larmes céleste s’écrasant en étincelles diamantines contre le fin tissu irréel protecteur. Vraiment, le meilleur coin semblait être, aux yeux de Mitsuhane, celui de la nourriture. Se glissant dans la foule, elle se dirigea droit vers l’un des vendeurs ; quelques instants plus tard, elle savourait avec plaisir une étonnante tartine de confiture ortie-basilic – la plante, non l’animal – pour quelques gallions qu’elle savait aller à une bonne cause. Elle croisa le regard d’un collègue qui lui fit discrètement les gros yeux, lui intimant silencieusement de se joindre à son petit groupe mais elle fit mine de ne pas l’avoir remarqué. Et tant pis pour la sociabilité, son estomac exigeait un peu de tranquillité pour digérer correctement !

La confiture était bonne, mais elle ne le serait jamais autant qu'etaient celles que lui faisait autrefois sa grand-mère maternelle, aussi classiques aient-elles été. En y songeant, Mitsuhane pouvait presque se souvenir de l'odeur des pétales de rose infusant lentement dans la décoction de sucre rosissante sous la chaleur... Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas pris contact avec le vieux couple. Peut-être pourrait-elle les appeler prochainement, si le...


- Salut ! Je m'appelle Niahm-Laéryn Nao-Tsin. Je suis curieuse : êtes- vous japonaise ?

Interpellée de la sorte, l'attrapeuse mit de cote ses grands-parents pour relever la tête vers celle qui l'avait apostrophée. Jeune, jolie, beaucoup trop joviale pour une première rencontre. Son physique ne s'alliait pas du tout avec son nom - aux tonalités chinoises ou vietnamienne, elle ne savait pas trop - mais outre que la magie pouvait s’avérer un instrument puissant pour les coquettes et les dandys, la nature réservait parfois des surprises. Derrière la nouvelle venue, la japonaise vit son collègue de tantôt lui adresser un sourire d'encouragement, lui signifiant en silence sa satisfaction de la voir se sociabiliser. Comme si elle avait eu le choix. Bon, autant pour la tranquillité. Terminant sa bouchée, elle ôta délicatement les miettes qui pouvaient entourer sa bouche avant de hocher la tête.

-Bonjour. Oui, je suis Akiyama Mitsuhane, je suis bien japonaise. Cela ne se voit pas du tout, j'en suis certaine , ironisa-t-elle. Pourquoi cela ?

Elle savait que certains avaient désapprouvé sa venue dans une équipe anglaise, tout comme certains de ses concitoyens avaient peu apprécié son départ pour ce qu'ils considéraient comme des rivaux de taille. Mais Niahm-Laéryn ne semblait ni hostile ni désapprobatrice. Juste... curieuse. Et joviale. Les deux en fait, de façon excessive. La pluie n’était elle pas toujours censée calmer les ardeurs ?
Reprenant aussitôt sans laisser à la jeune femme le temps de lui répondre, elle s'enquit l'air de rien :

-Mes origines feraient-elles encore jaser, dans les gradins ? Il me semblait que le temps avait pourtant calmé les commérages.

Une japonaise, vraiment ? Hum. Quoi que légèrement dubitative, Mitsuhane accepta cette information sans vraiment trop savoir quoi en faire. Au moins connaissait-elle désormais la raison de l'arrivée soudaine de la belle rousse devant ses yeux. Ce qu'elle comprenait moins, c'était le flot d'informations que celle-ci lui donnait. Elle ne savait pas s'il s'agissait d'exubérance, de vantardise quant à ses charmes ou d'un vrai plaisir de croiser une compatriote; en un sens, elle lui rappelait Aoi et ses grands élans émotionnels. Mais si elle était surprenante dans sa jovialité, la brune sorcière devait toutefois reconnaitre que cela n'avait rien de vraiment pénible, et puisqu'elle devait de toute façon parler à quelqu'un jusqu'à ce que l'heure lui autorise un départ décent, autant continuer avec une de ses pairs. Se détendant légèrement, elle esquissa un sourire en l'entendant la féliciter de la sorte et parler du match. Parlez Quidditch à Mitsuhane et vous gagnerez immédiatement son attention, quand bien même en viendriez-vous soudainement à utiliser le tutoiement sans son accord.

--Merci. C'est vrai, c'est un sport qui manque parfois cruellement de savoir-vivre. Il était aussi agréable pour nous de jouer sans pression. Cela fait des biens, parfois, de simplement rappeler le plaisir qu'il se cache derrière ce qui devient une obligation.

Non pas qu'elle n'avait plus de satisfaction à jouer, lors de matchs ordinaires. Mais les attentes de l'équipe, des supporteurs, des proches, pouvait s'avérer pesante. En tant qu'attrapeuse, elle était parfois plus mise en avant que ses collègues, pourtant tout aussi importants et indispensables au jeu. Cela l'exposait donc également davantage aux critiques. Un match aussi amical que celui qui venait de s'achever permettait plus de légèreté dans le jeu, mais aussi dans le contact avec le public et les équipes adversaires. En outre, cela permettait à tous les joueurs de tester de nouvelles techniques et de travailler ses faiblesses face à de véritables opposants. Tout le monde s'avérait donc gagnant.

-Je suis arrivée en Angleterre il y a un peu plus de six mois. Quant à Mahoutokoro, j'en suis sortie en 1996. Je ne pense pas que vous m'ayez connue, je passais surtout mon temps sur le terrain ou dans la bibliothèque. Mais... elle plissa légèrement les yeux, cherchant à ramener à elle les vagues informations qu'elle pouvait associer à la ravissante sorcière : si ce n'est pas indiscret... ne seriez-vous pas métamorphomage ?

Elle avait le vague souvenir d'avoir entendu parler d'une jeune élève à la flamboyante chevelure ayant tendance à changer de couleur. Cela avait autant fait rire qu'attendrir les élèves qui l'avaient croisé, d'autant que le charisme de la demi-vélane avait de quoi attirer l'attention sur elle. Mais à l'époque, la joueuse ne prêtait guère d'attention aux commérages - et à peine plus à ses camarades s'ils n'appartenaient pas à son cercle proche - préférant s'intéresser à ses cours, l'actualité alors violente ou le sport.

Est-ce qu’elle était jalouse ? Non, pas du tout. C’était du moins ce qu’elle aurait aimé croire. Mais elle devait se montrer lucide et honnête vis-à-vis d’elle aussi la réponse était-elle en réalite : oui, terriblement. En voyant son interlocutrice changer à volonté sa couleur de cheveux, elle eut un regard émerveillé. Quelle chance, que de pouvoir modeler son corps à volonté ! Changer d’apparence à volonté pour se faire discret ou bien au contraire afin d’attirer sur soi l’attention. Etre capable de se faire passer pour qui l’on n’était pas. Il y avait dans cette idée quelque chose d’incroyablement puissant, mais sans doute était-ce mieux lorsque peu de monde était dans le secret. Pour qu’elle-même le sache, Mitsuhane se doutait que ce n’était pas le cas de la demoiselle, par ailleurs toute heureuse de savoir que son interlocutrice la connaissait au moins de réputation. Entendu parler, c’était en tout cas le bon terme. La sportive aurait été bien incapable d’indiquer quoi que ce soit de plus sur la belle rousse… Elle hocha néanmoins la tête, estimant peu courtois de briser l’enthousiasme de Niahm-Laéryn. Ce qu’elle regretta vite. Un instant plus tard, elle se trouvait dans les bras de celle-ci, en plein câlin. Elles ne se connaissaient même pas vraiment et l’autre la prenait contre elle ! La brune se figea, ne sachant comment réagir à cette accolade bien trop soudaine. Le temps qu’elle réalise ce qui lui arrivait, l’autre prenait déjà ses distances pour sautiller sur place avec entrain. Finalement, ce fut plus fort qu’elle : après un instant de blanc, Mitsuhane pouffa de rire. Sa compatriote était tout simplement impossible à suivre, une vraie pile électrique. Pour elle qui aimait le calme et la retenue, c’était comme se trouver devant un jouet électronique ayant perdu le contrôle ; elle était incapable de prévoir ses mouvements et ses actions. Fascinant. D’où tirait-elle son énergie ? Elle n’était pas certaine de pouvoir la suivre. Elle reprit son sérieux, observant la rousse. Celle-ci semblait honnête et sincèrement heureuse de cette rencontre. Quant à elle, elle devait admettre que croiser le chemin d’une autre japonaise ne lui déplaisait pas non plus, aussi excentrique soit-elle. Avec un sourire légèrement moqueur, elle répondit enfin :

-Eh bien si, je pense savoir à quel point il peut vous manquer. L’Angleterre est un beau pays mais elle a un gros défaut : ce n’est pas le Japon. Ce n’est probablement pas vous qui me détromperez, je pense. Qu’est-ce qui vous a amené ici ? Le travail ? Que faites-vous, si je puis me permettre ?

Quant à l’invitation à se revoir, c’était délicat. Elle pouvait difficilement refuser sans l’offenser mais se voyait mal accepter de revoir une jeune femme qu’elle connaissait si peu et qui lui avait littéralement sauté dessus. Si l’autre était bien gentille, elle n’était pas certaine d’avoir en elle l’énergie nécessaire pour la suivre dans ses propos comme dans ses réactions. D’un autre côté, il serait dommage de rater l’occasion de se lier d’amitié avec une autre japonaise sous un si futile prétexte. Après tout, elle pouvait fort bien lui consacrer quelques heures de plus et voir ce que cela lui apporterait.

-Pourquoi pas. Si possible dans un endroit moins humide et bruyant qu’ici...

Elle retint un soupir à la demande de la sorcière rousse ; non pas que Mitsuhane ne s’était pas attendue à ce que Niahm-Laéryn lui demande de la tutoyer – elle semblait bien trop amicale pour ne pas arriver rapidement à demander un tel rapprochement – mais ce n’était pas pour autant qu’elle approuvait. Pourquoi ne pas user un peu des formules de politesses, puisque celles-ci existaient ? Tant de familiarité si rapidement, voilà qui la dépassait, vraiment. Mais soit. La joueuse des Pies s’était promis quelques mois plus tôt de faire de son mieux pour s’intégrer et paraitre moins rigide, aussi tenterait-elle de s’y habituer. Son interlocutrice enchainait déjà, répondant à ses questions sans se faire prier. En entendant la profession de la metamorphomage, la jeune femme songea avec un pincement au cœur qu’elle semblait décidément attirer cette classe de fonctionnaires. Devant ses yeux se dessinait un visage rond au regard fier et déterminé : Amy lui avait déjà confié son désir de devenir elle-même tireuse d’élite. Mieux valait ne pas penser à son amie disparue maintenant.

- Pourquoi tu es venue jouer ici, toi ? Si ce n'est pas indiscret, bien sûr ....

Voilà qui n’était guère plus joyeux sujet de conversation ou de pensée, moins encore avec une inconnue. Elle ne voulait ni penser à ses proches, ni parler des raisons de son départ. Cette fois, son soupir fut réel quoi qu’à peine audible et ce fut vers le bar que se tourna son regard. Ils n’avaient rien de plus fort que du vin ou de la bieraubeurre ; à cet instant, la japonaise aurait pourtant volontiers avalé quelque chose de plus fort, elle qui d’ordinaire appréciait peu les alcools forts. Posant sur une table la petite assiette désormais vide, elle eut un sourire poli pour sa compatriote :

-J’avais besoin de nouveaux défis et l’occasion de le faire s’est présentée, j’ai donc accepté.

Ce n’était pas un mensonge, mais Mitsuhane n’avait aucune intention de s’attarder plus longtemps sur un tel sujet. Ce fut donc avec plaisir qu’elle accueillit la proposition de son interlocutrice de se retrouver au salon de thé, fut-il japonais. La plupart du temps, l’attrapeuse évitait ce qui avait trait à son pays natal : cela ne faisait que lui rappeler qu’elle n’y était pas. Mais la rousse semblait trop heureuse et la jeune femme n’y voyait guère plus d’inconvénient.

-Si vous voul… si tu veux. Ils souhaitaient prendre une photo entre équipes, on peut y aller après si tu le souhaites ? Il fera sans nul doute moins froid.

Et elle pourrait enfiler quelques habits plus confortables. Non pas qu’elle n’aima pas ceux de Quidditch mais s’ils n’étaient pas désagréables sur un balai, c’était un peu plus le cas une fois les pieds sur terre.

S’excusant finalement auprès de la rousse, Mitsuhane alla se chercher un verre de vin chaud et, savourant les vapeurs parfumées de cannelle et d’orange qui s’en dégageait, elle échangea quelques mots avec des fans des Pies ou des adeptes du Quidditch, signa un ou deux autographes, pris une photo avec un petit groupe qui n’attendait que ça puis se dépêcha auprès de la capitaine. Après quelques minutes de négociation – la mauvaise météo, qui ne faisait que s’aggraver, aida beaucoup dans la prise de décision de la cheffe – la japonaise eut le plaisir de voir l’autre avancer l’heure de la photographie de groupe prise avec tous les joueurs. Non pas qu’elle voulait spécialement se retrouver seule avec sa compatriote – elle ne comprenait toujours comment celle-ci avait réussi à la capturer aussi rapidement avec quelques mots bien placés – mais elle estimait temps de pouvoir s’échapper de cette foule aux enfants trop nombreux. Elle prévint donc Niahm-Laéryn qu’elle la retrouverait à la sortie des vestiaires et elle tint parole. Fin prête dans son pantalon noir et son petit pull bleu, le tout agrémenté d’un joli mais discret foulard et d’un manteau ceinturé à la taille, elle rejoint donc sa semblable pour prendre la route vers son fameux salon de thé.

En pénétrant dans les lieux, l’attrapeuse inspira doucement l’odeur de jasmin qui embaumait l’air. C’était indéniablement plaisant, et elle se sentit immédiatement plus détendue. Cela lui rappela de vagues souvenirs du kōdō, du temps où sa mère avait commencé à l’initier à l’art noble de la fragrance. Après son décès, la jeune fille n’avait pas eu à cœur de poursuivre cette formation, seule ou avec quelqu’un d’autre. Peut-être pourrait-elle s’y remettre maintenant ?
Prenant place face à la belle rousse, elle prit le temps de regarder la carte avant de relever les yeux vers sa guide improvisée ; celle-ci étant restée silencieuse, la brune l'avait presque oubliée.

-Oui, cela fait bien longtemps que je n'ai pas eu le plaisir de boire un bon thé matcha. Sans doute l'importent-t-ils directement, les anglais ont leurs propres thés qui sont assez bons aussi.

Si les moldus usaient autant du commerce international, elle ne voyait guère de raison pour les sorciers de ne pas en faire de même alors que la magie pouvait grandement la tache. En outre, elle avait compris assez rapidement que le thé anglais était une véritable institution : il y avait une heure spécifique pour le boire, une manière de faire particulière... En ce sens, elle se sentait un peu plus proche d'eux, quand bien même n'avaient-ils pas la délicatesse japonaise sur ce sujet. Revenant à Niahm-Laéryn, elle croisa les mains sur la table et pencha légèrement la tête, curieuse :

-Si ce n'est pas indiscret, pourquoi ne pas être restée travailler au Japon ? Il y a encore largement à faire... peut-être même y avez-vous connu mon père, Akiyama Noriko ? Il est bougu au ministère de la magie japonais, spécialisé dans la lutte contre le terrorisme magique.

Leur différence d'age, d’expérience et probablement de classement hiérarchique la faisait douter qu'ils aient pu se croiser, d'autant plus que son père passait aussi peu de temps au sein même du ministère qu’auprès des siens. Mais le monde était petit et le hasard faisait parfois bien les choses, alors, pourquoi ?

Fascinant. En voyant la belle chevelure de feu de son interlocutrice pâlir soudainement jusqu’à n’être plus que blancheur éclatante, Mitsuhane sentit en elle les fourmillements de l’excitation la saisir. Comment ? Comment cela était-il possible ? Elle mourrait d’envie de courir dans une quelconque librairie, s’emparer d’un ouvrage spécialisé sur la relation entre corps humain et magie et se repaitre des connaissances qu’il contenait. Devenir biologiste lui aurait plu, à n’en pas douter, tout comme tout ce qui touchait à la recherche, peu importait le domaine ; elle adorait apprendre, que ce soit l’ingénierie moldue ou le Droit des créatures magiques. La seule chose qui l’aurait ennuyé était l’idée de découper, entailler et disséquer des corps ; elle imaginait mal ouvrir le crâne de Niahm-Laéryn et observer les changements potentiellement produits dans son cerveau lorsqu’elle transformait le reste de son corps. Mais de toute évidence, ce changement-là n’était pas intentionnel ; en voyant le regard gêné de la jeune femme, Mitsuhane se morigéna intérieurement. Elle avait touché un point sensible et sérieux, un de ces sujets ne pouvant être abordés à la première rencontre, moins encore dans un lieu public. Alors que la joueuse s’apprêtait à reprendre rapidement et s’excuser de son manque de savoir-vivre – peut-être admis pour les anglais, mais que son éducation stricte se refusait à reconnaitre comme admissible – son interlocutrice lui répondit. En l’entendant, Mitsuhane réfléchit rapidement, cherchant dans sa mémoire si pareils propos lui étaient déjà parvenus. Mais, las, ses relations tendues avec son paternel limitaient pour beaucoup ses contacts avec celui-ci et le peu de conversation qu’elle entretenait avec le bougu était concentré sur des problèmes les impliquant plus directement.

- Je ne les ait pas tués.

L’attrapeuse esquissa un sourire, froid et sans la moindre compassion.

-C’est aussi ce que vous affirmeriez si vous les aviez tués, n’est-ce pas ?

Pourquoi venir lui affirmer le contraire, sinon ? Que cherchait-elle ? Plongeant son regard dans celui de son interlocutrice, Mitsuhane y chercha quelque chose, une réponse, une confirmation, n’importe quoi. Mais l’art de comprendre ses semblables ne lui était guère familier et elle lisait mal entre les lignes ; l’autre pouvait fort bien lui mentir habilement. Pourquoi l’avoir traîné jusqu’ici, alors même qu’elles ne se connaissaient pas, sinon ? Plus que la rumeur, c’était le comportement de la tireuse d’élite qui lui semblait étrange. Pourtant, en songeant à certaines de ses connaissances, la joueuse de quidditch l’admit : nombreux étaient ceux qui montraient bien plus ouverts et joviaux qu’elle-même. En outre, si Niahm-Laéryn avait souffert de cette situation, il pouvait lui être difficile de savoir comment réagir en présence d’un nouvel individu avec lequel elle tentait de sympathiser. Elle eut un léger soupir, avant de la rassurer.

- Ecoutez, enfin… écoute. Je n’ai pas pour habitude de croire les rumeurs, aussi je me moque de ce que d’autres affirment. Si c’est vrai, alors qu’ils trouvent des preuves et te punissent légalement. Mais les rumeurs et ragots… elle secoua doucement la tête, faisant onduler ses longs cheveux noirs qu’elle portait détachés : ce sont des monstres hideux et avides de se saisir de la vie de leur victime, de les broyer et les achever. Combien d’innocents furent détruits par la clameur publique, accablés en vain sur un mensonge ? Tenter de lutter contre est vain, les ignorer est difficile. Les écouter ne fait que les nourrir et les faire grandir. Je n’aime pas ces racontars invérifiables, que les idiots amplifient et les cruels répandent à tous les vents. Aussi, à moins que vous ne… que tu ne pointes ta baguette sur moi, je vais considérer n’avoir rien entendu. Je suis navrée d’avoir abordé un sujet aussi sensible. Cela étant, si je puis me permettre, tu ne devrais pas l'aborder si aisément avec une inconnue. Ce peut t’apporter plus de mal et de méfiance que de bien.

La serveuse fit son apparition à cet instant et, en la voyant, Mitsuhane se décida à détendre l’atmosphère : puisqu’elles buvaient, autant manger, aussi ajouta-t-elle à la commande quelques friandises et gâteaux japonais. Comment, elle, gourmande ? Mais pas du tout !