Agacé, je tapote du doigt le comptoir de Barjow & Beurk. J'ai à peine vu deux-trois clients aujourd'hui, j'ai établi les factures que m'a demandées Barjow et j'ai aucune course à faire pour la boutique. Je m'ennuie comme un rat. J'ai bien essayé de feuilleter quelques grimoires conservés dans le magasin, mais aujourd'hui, le cœur n'y est pas. Et puis les livres... c'est pas vraiment mon truc. Je préfère la presse, et de loin. Mais malheureusement pour moi, j'ai fini d'éplucher la Gazette depuis deux heures déjà.

Accepter ce boulot de vendeur n'était peut-être pas une si bonne idée. Quand j'ai commencé, il y a une semaine, Barjow m'a bien redit qu'en plus de tenir la boutique pendant ses absences, je serai aussi chargé de conduire quelques affaires pour son compte. Mais pour le moment... Je me suis contenté de me familiariser avec le catalogue, j'ai épousseté avec précaution quelques articles, et j'ai fait quelques ventes à des curieux en manque de frisson.

Je m'étire en poussant un bâillement sonore et, accoudé sur le comptoir, je regarde d'un œil morne le ballet des passants qui vont et viennent dans l'Allée des Embrumes. La rue a mauvaise réputation, on y croise tout un tas de Sorciers pas vraiment fréquentables. Pourtant il y a pas mal de commerces dans le coin. Comme cette boutique qui vient d'ouvrir. "La Nuit Étoilée". Je me demande ce que peut bien vendre un magasin avec un nom pareil...

Et bien autant aller voir tout de suite! De toutes façons, vu le temps pluvieux, je pense pas avoir d'autres clients aujourd'hui. J'aurais qu'à laisser un mot sur la porte au cas où.

La perspective de sortir me donne un coup de fouet et, ni une ni deux, j'enfile ma veste et me voici marchant à grandes enjambées dans l'Allée. Devant le nouveau magasin des Embrumes, je lève la tête vers l'enseigne affichant son nom en lettres élégantes et j'ouvre la porte.

Ben, ça change de Barjow & Beurk! Propre, lumineux, aérien... Je me demande même si je ne me suis pas trompé. Curieux, je laisse mon regard vagabonder à droite à gauche. Une bibliothèque, d'accord, et... Wow... Ça, c'est pas banal. Sur les murs sont accrochées d'immenses cartes célestes, et les astres qui y sont représentés bougent subtilement. On dirait des tapisseries ou un truc du genre. Je m'approche de l'une d'elle et j'écarquille les yeux. Il a probablement fallu enchanter chaque fil pour obtenir ce résultat. Impressionné, je laisse échapper un sifflement appréciateur.

- Bonjour, puis-je vous être utile?

Je me retourne et considère un instant la pétulante commerçante qui vient de me saluer. Un rapide coup d’œil me permet de deviner qu'il s'agit certainement d'un personnage haut en couleur. Le ton théâtral de sa voix comme les arabesques rapides que dessinent ses mains alors qu'elle époussette sa robe me font plus penser à l'attitude d'une actrice qu'à celle d'une boutiquière. Mais finalement, ça fait sens. La vente, c'est toujours un peu de théâtre...

Je lui décoche un grand sourire et lui réponds, enjoué, trop heureux de m'être évadé de mon comptoir poussiéreux.

- Oh, je regarde seulement. C'est magnifique ce que vous avez là, dis-je avec un mouvement de menton vers les cartes animées accrochées au mur. Un vrai travail d'orfèvre! Vous les vendez seulement ou c'est vous qui les faites?

Les beaux objets, les artefacts précieux... On dirait pas à me voir comme ça, mais je commence à en connaître un rayon. Ces cartes doivent d'ailleurs coûter une petite fortune. Que ça soit des articles de magie noire, ou grise tiens, comme dirait Barjow avec son sourire de requin, j'en ai eu entre les mains. Des objets qui vous feraient dresser les cheveux sur la nuque si vous saviez à quoi ils étaient destinés. Et qui valent plus que ce que je pourrais jamais gagner en une vie.

Je m'approche de la brune Sorcière et, jovial, je lui tends la main.

- Je suis Sam Wit. Je travaille à Barjow & Beurk, à côté. J'étais très curieux de savoir ce que vous vendiez dans cette nouvelle boutique. Une visite de bon voisinage si vous voulez.

Avec décontraction, j'enfonce mes mains dans mes poches et jette un nouveau regard circulaire au magasin.

- C'est joli chez vous. On s'attend pas vraiment à trouver ce genre d'ambiance du côté des Embrumes...

En traînant dans l'Allée, je me suis vite rendu compte que la plupart des enseignes de cette partie du Londres Sorcier recelaient souvent plus que ce qu'elles voulaient bien montrer au premier coup d’œil. Un apothicaire qui vendait sous cape des potions illégales, un tavernier qui faisait du trafic de baguette non conformes, et puis il y avait la Boîte Noire. D'une certaine façon, Barjow & Beurk était les plus transparents sur leurs articles en vente.

- Du coup, vous êtes spécialisée dans les cartes célestes? Ou vous proposez d'autres choses à la vente?

Cette femme et son échoppe m'intriguent. Je doute fortement que la commerçante ait ouverte une boutique purement légale dans ce quartier de Londres, mais je peux me tromper. Peut-être que ce sont les bas loyers qui l'ont incitée à s'établir ici. Quoiqu'il en soit, je verrai bien ce qu'elle me répondra. Si elle choisira de répondre au double-sens de ma question... ou non.