Des deux librairies du Chemin de Traverse, Fleury & Bott et Obscurus Books, Rosalind était incapable de déterminer sa favorite. La première proposait un large choix, couvrant de nombreux domaines et donnait accès à des ouvrages parfois très pointus. Quant à la deuxième, elle se distinguait par l'originalité de son catalogue, et même si leur système de référencement pouvait dérouter les clients, on y trouvait de véritables pépites.

Les talons de Rosalind claquaient sur les pavés de la rue en un rythme rapide et saccadé; si elle ne se pressait pas, elle arriverait en retard au rendez-vous donné par Malefoy... et elle savait combien le jeune alchimiste détestait qu'on le fasse attendre.

Elle ne l'avait pas revu depuis ce soir de Février où les deux anciens Serpentards s'étaient retrouvés autour d'un verre, amorçant avec délicatesse de rattraper le temps perdu. Si Rosalind aurait aimé croiser son vieil ami plus tôt, elle n'avait pas vraiment eu le luxe d'y penser. Les jours et le travail s'étaient enchaînés. Les insomnies et les migraines aussi, détraquant l'organicité de son quotidien: depuis quelques semaines, la rouquine dormait peu, trop peu, et quand c'était le cas, son sommeil était agité et inquiet. À part ses sorties dans Londres à la recherche de livres et autres parchemins, elle avait passé le plus clair de son temps penchée sur son bureau, au milieu de la montagne grandissante que composaient ses notes. Deux jours plus tôt, quand elle avait reçu le hibou de Malefoy, elle avait réalisé à quel point cela faisait longtemps qu'elle vivait plus en compagnie de papiers et de mots, que de véritables personnes. Il était grand temps de remédier à cette situation; D'un naturel passionné, elle n'avait pourtant rien d'un bourreau de travail et n'avait aucunement l'intention de le devenir.

Ravie à la perspective de voir Drago, Rosalind accéléra sa marche, vérifiant d'un coup d’œil l'heure indiquée par sa montre. Essoufflée, elle ouvrit en grand la porte d'Obscurus Books et entra dans la librairie. Un large sourire se dessina sur son visage quand elle aperçut Malefoy, debout devant un des présentoirs. Sa fatigue soudainement dissipée, elle s'approcha et posa la main sur le bras de son ami.

- Drago! C'est bon de te voir!

Jetant à son tour un regard à l'étalage des meilleurs ventes, elle repéra le nouveau livre publié par Lockart et que Drago venait de reposer.

- Vraiment? Tu es sûr que tu ne veux pas le prendre? Ce serait dommage de passer à côté d'une telle oeuvre..., avança-t-elle, taquine.

- Comment passer à côté, répondit le jeune homme, du tac au tac. Je suis prêt à parier 100 gallions que tu l'as lu, Fawley. Ne serait-ce que pour te faire ton propre avis.

Rosalind ricana. Son ami n'était pas si loin de la vérité.

- En fait je l'ai feuilleté à sa sortie et peut-être que je l'achèterai plus tard. Ça n'a pas l'air d'être extraordinaire, mais c'est vrai que je suis plutôt curieuse de savoir ce que cet imbécile a pu écrire.

Quand elle avait vu le livre exposé ainsi chez Obscurus Books, quelques semaines auparavant, elle n'avait pu s'empêcher de pouffer, s'attirant le regard curieux des autres clients. Elle avait toujours considéré Lockart comme un raté, et cela avant même que le scandale de ses plagiats éclate. Loin d'être pâmée devant cet ersatz de vieux beau, l'étalage de charme sirupeux auquel il s'adonnait quand elle était en deuxième année l’écœurait. Mais de voir que même après son amnésie, il était revenu à l'écriture, tout en exploitant sa mésaventure... Elle en était à la fois affligée et impressionnée.

Mais visiblement, Drago ne souhaitait pas approfondir la question. Le jeune homme lui saisit le bras et s'enfonça à pas vifs dans les rayonnages de la librairie. Oui... Ils étaient là pour ça après tout. Tant bien que mal, Rosalind s'attacha à suivre son compagnon, s'efforçant de ne pas le ralentir. Elle leva les yeux vers le Sorcier, dont elle ne voyait plus que le dos. Une image familière. Elle avait si souvent eu l'impression de devoir courir après lui, après Pansy, après Blaise. Jamais elle n'avait été l'initiatrice, et elle s'en moquait: jusqu'à présent, cette position lui avait toujours convenue. Des souvenirs affluèrent dans sa mémoire et, pour elle-même, elle sourit. Malefoy avait grandi. Sa carrure était celle d'un homme fait, élégant dans son costume coupé à la perfection. Le regard de Rosalind s'attarda sur la nuque blonde de l'alchimiste. Un regard qu'elle dévia promptement.

-Rituels domestiques... Disciplines scolaires... Créatures fantastiques... Mages célèbres... Autobiographies... Ah, Pratiques étrangères.

La litanie des catégories livresques. Une douce chanson qu'elle adorait. Tandis que Drago explorait le contenu du rayon, la jeune femme s'empara d'un des livres dont le titre l'intriguait: "La noire nuit des Flamel". Intéressant. Le couple et ses accomplissement étaient toujours présentés sous un jour avantageux, mais le nom de l'ouvrage laissait supposer que l'écrivain avait un avis différent sur la question.

- Je vais devoir aller dans une librairie plus spécialisée.

Rosalind releva la tête et considéra la déception peinte sur le visage du jeune homme. Elle arqua un sourcil. D'après ce qu'elle avait compris, Drago était à la recherche d'un livre bien spécifique sur Monsaraz, un village portugais célèbre depuis des siècles pour son expertise en potions. Même s'il s'agissait d'un ouvrage pointu, elle aurait pourtant juré qu'il aurait trouvé son bonheur à Obscurus Books...

- Besoin de quelque chose pour tes recherches tant qu'on est là?, lui demanda Malefoy, aimable.

- Mmm..., répondit-elle songeuse.

Elle n'avait pas vraiment besoin de matière supplémentaire, mais cela dit, elle ne quittait jamais une librairie sans avoir fureté ça et là dans les rayons. Le hasard et la chance faisaient parfois bien les choses, et elle repartait souvent avec bien plus de livres qu'elle n'avait compté acquérir.

- Si tu as le temps, je ferai bien un tour du côté de leurs antiquités, déclara-t-elle avec un sourire gourmand.

Toujours le livre sur les Flamel en main, elle dépassa Drago d'un pas léger et s'enfonça dans le magasin. Elle connaissait désormais la librairie comme sa poche et elle navigua sans difficulté à travers les rayons. L'étagère qu'elle cherchait se trouvait dans le fond de la boutique et les ouvrages qui s'y trouvaient étaient anciens, parfois datant de la Renaissance... et chers, bien entendu. Elle avait déjà parcouru de nombreuses fois les titres gravés sur les couvertures de vieux cuirs, mais quelquefois, de nouveaux grimoires prenaient place parmi cette collection...

Alors qu'elle survolait une nouvelle fois les titres antiques, Rosalind poussa soudain une exclamation étouffée.

- Oh! Pas possible...

"L'Electre magique", d'Esebe Barrida. Sur la quatrième étagère, presque à portée de main.

- Accio, murmura-t-elle, contenant mal son excitation.

Avec légèreté, le mince livret atterrit dans sa main et elle s'empressa de l'ouvrir. Pas d'erreur, c'était lui. Ravie, elle se tourna vers Malefoy.

- Je l'ai cherché partout! J'avais presque laissé tomber l'idée de mettre la main dessus un jour.

Elle était si contente qu'elle en aurait presque dansé sur place. Mais elle se contenta d'un soupir de contentement. Tout sourire, ses deux livres pressés sur sa poitrine, elle s'approcha de Drago.

- On dirait que j'ai été plus chanceuse que toi, annonça-t-elle gentiment moqueuse. Tu veux tenter ta chance dans une autre librairie ou bien qu'on aille prendre un verre? J'avoue que je suis assez curieuse de tes aventures portugaises...