Je n'ai jamais vécu dans des conditions de vie très luxueuses. Autrefois, quand je vivais à Londres avec ma mère, c'était dans un vieux quartier mal fréquenté et une fois la guerre terminée, je me suis plus ou moins exilé sur l'île de Drear, peu désireux de croiser à chaque coin de rue un ancien camarade. Là-bas, au moins, j'étais dans le calme, même si transplaner chaque matin finissait par être fatiguant. Malheureusement, les choses ont fait que mes conditions financières sont devenues de plus en plus précaires. J'ai attendu encore et encore, histoire de voir si les affaires tourneraient à nouveau à mon avantage, mais la période de crise que je traversais était bien réelle. C'est un peu sur un coup de tête que j'ai eu la stupide idée de poster une annonce dans la Gazette, dans lequel je parlais de collocation. Une collocation quoi... Quelle idée géniale m'avait encore traversé l'esprit ? Je savais que j'agissais souvent de manière impulsive, mais cette fois, c'était le gros lot. Bien évidemment, je m'étais précipité le lendemain pour retirer cette proposition, mais il était trop tard. Une dénommée Eris Dragonneau, m'avait contacté. Une américaine, avais-je appris après quelques recherches. Je fais toujours des recherches sur tout le monde, histoire de ne jamais être pris au dépourvu. C'est ainsi que j'ai appris qu'elle était la petite fille de Norbert Dragonneau. Un grand sorcier, disait-on, mais je n'ai jamais porté de grand intérêt aux créatures magiques.
J'étais déjà dans l'appartement quand la blonde entra. Elle était un peu plus jeune que moi et semblait être contente d'être ici, à l'inverse de moi.

- Je suis Eris, déclara-t-elle en lui tendant la main, tu dois être Félix. Enchantée.

- Félix Harrington, tout à fait, répondis-je en la lui serrant.

Je ne montrai pas plus de politesse, à quoi bon ? Les présentations étaient faites, maintenant fallait-il encore que je lui touche de mot au sujet de mon fonctionnement. Je la contournai pour aller bien refermer la porte derrière elle - on ne sait jamais avec les portes – puis revenai me planter devant elle :

- Je tenais tout d'abord à mettre les choses au clair entre nous, déclarais-je d'un ton neutre : j'ai posté cette annonce dans la Gazette par pure nécessité. En aucun cas je ne compte m'éterniser dans une collocation. Dès que j'aurai à nouveau les capacités financières pour me payer un loyer convenable, je partirai.

Je préférai la mettre au parfum dès le début. J'étais quelqu'un d'honnête et souhaitais m'assurer que cette colocation ne serait pas une trop grande erreur.

- Je ne suis pas non plus là pour nouer une quelconque amitié, repris-je sur le même ton. D'ailleurs vous me verrez peu, je me rends généralement tôt au bureau le matin et je rentre généralement assez tard le soir. J'espère que vous ne comptiez pas sur moi pour faire la fête tous les soirs, il faudra pour ça vous rendre dans les boîtes du coin.

D'un geste vague, je lui désignais la rue par la fenêtre. Le Chemin de Traverse était une adresse trop fréquentée à mon goût, mais au moins, ce serait plus simple pour moi de me rendre au Ministère.

- Voyez-vous, mon intérêt principal est d'être constamment opérationnel pour mon travail, c'est pour quoi j'espère que vous serez encline au calme dans cet appartement. Si vous voyez un quelconque inconvénient à tout ça, autant me le dire maintenant et nous pourrions nous dire au revoir.

Il me semblait avoir tout dit. Si elle avait un quelconque problème avec moi, je comptais sur elle pour qu'elle m'en parle. Je n'avais pas peur de cacher ce que je pensais, ni de ce que les autres pouvaient penser de moi. Je me fichais bien de savoir si elle m'avait trouvé désagréable - d'autant plus que je n'avais fait qu'exposer des faits - l'important était que le message soit passé. A elle de voir si tout ça lui conviendrait ou non.

Eris me souriait. Voilà qui était bon signe. Cela voulait probablement dire qu'elle était entièrement d'accord avec mon fonctionnement, et je m'en voyais déjà rassuré. Cette colocation n'allait peut être pas être si invivable...

- Je n'y vois aucun inconvénient, mais j'accepterais à une seule condition...

Aie, je le sentais mal...

- ...que vous me laissiez vous tutoyer. Je refuse de vivre avec quelqu'un qui je devrais vouvoyer ! 

La laisser me tutoyer ? Je ne tutoyais et ne laissais me tutoyer personne. Je n'avais plus aucune nouvelle de mes anciens camarades d'avant la guerre, ils devaient sûrement tous être morts. Ainsi, mes relations ne dépassaient jamais le cadre professionnel et je le vivais très bien. Potter était l'exception, puisque nous travaillions ensemble et que nous nous connaissions de Poudlard. Mais Eris ? Je ne la connaissais absolument pas, hormis ce que j'avais appris d'elle lors de mes recherches.
J'allais répondre en écho à mes pensées, mais elle ne m'en laissa nulle occasion :

- Je vais aussi avoir besoin de vous pour que vous me donniez quelques adresses, poursuivit-elle, je ne connais absolument pas Londres et il m'a semblé vous entendre parler de boites de nuit ? Si vous connaissez quelques locaux agréable, je suis preneuse.

Ainsi donc, j'étais face à une fêtarde. Génial... Après tout, tant qu'elle ne faisait pas la fête ici ou qu'elle ne faisait pas un vacarme infernal en rentrant à des heures inimaginables, ça ne me dérangeait pas. Qu'elle fasse donc sa vie ! Et surtout qu'elle ne m'y mêle pas !

- Vous trouverez votre bonheur dans le quartier sorcier de Londres, tout comme dans le coin moldu après tout, c'est vous qui voyez... Pour les boîtes, il y a le Veela's mais aussi la Tanière, pour les sorciers plus... distingués...

La Tanière du Niffleur... Vraiment le dernier endroit où je mettrai les pieds ! Déjà peu friand des boîtes de nuit – à la différence d'autre fois – le coin des petits aristocrates était vraiment le pire endroit de Londres ! Je n'avais pu cacher une grimace de dégoût dans ma description de l'établissement, mais au moins si Dragonneau s'y rendait, elle saurait ce que je pense des gens qui fréquentent cet endroit. J'avais d'ailleurs volontairement suggéré les boîtes moldues, histoire de voir sa réaction. Je m'y étais déjà rendu à l'époque avec mes amis, et je n'avais pas trouvé de réelle différence avec les boîtes de nuits magiques... A part peut-être pour le whisky pur-feu. Cette boisson que j'avais si longtemps considérée comme irremplaçable...

- Autre que ça vous avez aussi de nombreux bars à votre disposition, continuai-je, comme le bar aquatique, mais aussi le Chaudron Baveur, juste en face d'ici. Tout cela ne concernait que Londres, mais il y a aussi les Trois Balais, à Pré-au-Lard, que je vous conseille vivement.

Tant de souvenirs demeuraient dans l'enceinte des Trois Balais. Des souvenirs de jeunes, encore inconscients de tous les malheurs du monde. Des souvenirs d'écoliers qui trichaient sur leur âge pour tenter d'obtenir un verre de Whisky Pur Feu, plutôt que la délicieuse bièrraubeurre que servait habituellement la belle Rosmerta. Je n'y étais jamais retourné depuis mais étais certain que la qualité là-bas n'avait pas changé.

- Pour en revenir à votre condition, repris-je après un silence, je ne vais pas vous cacher que je tutoie rarement les gens que je ne connais pas. A vrai dire, jamais...

L'intimant à me suivre, je quittai l'entrée pour me rendre dans le salon tout en poursuivant :

- Je conçois néanmoins qu'en temps que colocataires, le fait que nous passions le peu de temps où nous nous verrons à nous vouvoyer paraisse un peu étrange...

Sur ses mots, je m'installai dans un des confortables fauteuils de cuir. Ou plutôt, m'y affalai. Je ne venais pas d'une famille bourgeoise, moi, et je me contre fichais des tenues correctes à avoir. Tout ce dont je m'occupais actuellement était de songer que ça faisait longtemps que je n'avais pas profité d'un tel confort.

- Commençons donc par faire un peu connaissance, Miss Dragonneau... Vous venez donc d'Amérique d'après ce que j'ai compris ?

J'avais bien saisi que j'allais devoir faire quelques efforts pour le bien être de cette colocation. Néanmoins, je ne comptais pas trop m'attarder sur la vie de la demoiselle. En savoir d'avantage n'était jamais de trop, et cela signifiait en rien que je cherchai l'amitié.

A en voir sa posture, j'eus la désagréable impression qu'elle se prenait pour une aristocrate. Je savais bien évidemment qu'elle était avocate, un métier qui n'était pas accessible à tous, mais tout de même. Qu'elle n'essaye pas une seconde de se croire au dessus de tout en ma présence, cela risquerait de mal se passer... Néanmoins, je n'avais noté aucune réaction de sa part lors de ma mention des locaux moldus, ce qui pouvait être encourageant. Mais je préférais ne pas me réjouir trop vite. Maintenant, suite à ma question, elle souriait. Par Merlin, pitié qu'elle ne commence pas à me conter sa vie de A à Z ! Je n'avais vraiment pas que ça à faire...

- En effet, je suis née à New York et je suis allée à Ilvermony, expliqua-t-elle. C'est une très bonne école.

Elle ne semblait pas désireuse de s'étaler d'avantage. Me voilà soulagé ! Si mes suppositions étaient bonnes, elle n'avait donc jamais vécu en Angleterre. Mais alors, pourquoi une américaine d'origine venait par ici pour un poste d'avocat ? N'y en avait-il pas là-bas ?

- Et vous Félix, poursuivit-elle, vous êtes originaire de Londres ? Du moins c'est ce que je dirais à en juger votre délicieux accent. Vous avez étudié à Poudlard ?  

Je n'avais jamais remarqué que j'avais un quelconque accent, mais après tout, si elle le disait... Mais pour le qualifier de délicieux... Je plissai légèrement les yeux : c'était bien le caractère excessif des américains ça.

- Oui en effet, je suis né dans un quartier pas bien loin d'ici et suis parti à Poudlard en 88. J'étais à Gryffondor. Une des quatre maisons de l'école, précisai-je en me rappelant qu'elle n'était pas d'ici.

Je n'aimais pas m'attarder sur ma vie antérieure. Ni sur ma vie tout court. C'était d'ailleurs drôlement étrange de parler du passé alors qu'habituellement je ne parlais que du travail. Ce n'était vraiment pas quelque chose qui me plaisait, même si je n'en laissais rien paraître, je continuai donc sur ce dont j'avais envie de savoir :

- J'ai aussi vu que vous étiez avocate au Ministère ? Pourquoi ce choix ? Et surtout, pourquoi ne pas l'avoir fait aux Etats-Unis ?

Peu m'importait si elle avait la sensation de passer un interrogatoire dans mon bureau. Après tout, j'étais auror, à quoi voulait-elle s'attendre ? Ou peut-être qu'elle ne le savait pas et qu'elle n'avait pas fait autant de recherche comme moi. A ce compte là, tant pis pour elle.