Comme tous les soirs, je servais des substances corsées aux ivrognes invétérées et aux jeunes fêtards dont j'aurais tant aimé faire partie. Ce défilé de commandes commençait à me lasser, et pourtant je persistais à afficher mon généreux sourire. Si ma bonne humeur s'envolait, que me restait-il ? Pas grand chose pour dire vrai. Alors, hop moussaillon ! En route pour la table 6 ! Deux biéraubeurres, deux whiskys pur feu, et un intrus : un sirop de cerise soda avec boule de glace et ombrelle. L'ombrelle, c'était ma petite touche féminine perso, même si j'avais déjà vu ça chez madame Pieddodu. Il n'empêchait qu'ici, les serveurs étaient un peu rustres et négligeaient ce genre de détail. Pas de problème, j'étais là pour ça !

Il y avait du monde et je slalomais entre les chaises en tenant mon plateau en l'air d'une main de pro. Ce petit numéro d'équilibriste faisait partie du job et me dispensait d'un quelconque entretien sportif à côté. Un avantage ! Je n'avais jamais fait de quidditch ou quoi que ce soit pour sculpter mon corps. Depuis que j'étais aux 3B, c'était devenu inutile de toute façon. Mes mollets n'avaient jamais été aussi durs et mes biceps aussi forts. Sans parler du mental d'acier que je m'étais forgé ! Bref. Revenons à nos moutons. En posant le verre du premier loubard sur la table, je réalisai qu'il ne m'était pas étranger.

- Héééé Horace ! m'exclamai-je. Ca fait longtemps qu'on t'a pas vu ici ! Tu vas bien ?

Horace Grabcuk était un ancien client habitué d'une trentaine d'années qui avait l'air d'avoir éprouvé beaucoup de difficultés dans sa vie. Il venait souvent seul pour commander la même chose et ruminer dans son coin. Cette fois, il était accompagné de son petit frère et de deux autres copains, plus festif que d'habitude. Tant mieux, c'était encourageant ! J'échangeai quelques banalités enthousiastes et regrettai de devoir retourner au bar, là où la mission du siècle m'attendais : servir D'AUTRES biéraubeurres. J'allais finir par me noyer dedans. Clarisse me héla en chemin pour recommander un vin de sureau. Je répondis d'un vif hochement de tête sans me départir de mon grand sourire et poursuivis ma route jusqu'au comptoir. C'était crevant, mais c'était chez moi. Je les connaissais tous ou presque, et ils avaient quelque chose de touchant qui me faisait aimer ce que les gens condescendants jugeaient comme un boulot ingrat. Moi, ça me permettait de profiter de la vie à côté, de jouer de ma musique, et de faire un peu n'importe quoi. Penser à demain, non merci ! Bref, tout ça pour dire qu'en faisant la course entre toutes ces tables, je croisais des visages connus et parfois inattendus.

- Si je commande une autre Bièraubeurre vous la buvez avec moi ? m'interpella un joli garçon avant d'arriver à destination. Je suis Théo.

Je plissai les yeux pour mieux l'identifier et réalisai très exactement qui j’avais en face de moi.

- Théodore Nott, je sais ! confirmai-je joyeusement.

Difficile d'ignorer son nom. A Poudlard il était plus âgé que moi d'un an et, même s'il semblait assez indépendant, nous ne gravitions pas autour du même cercle. Pas étonnant qu'il ne me remette pas ! C'était un Serpentard de sang-pur assez taiseux et moi, une née-moldue de Poufsouffle qui marchait sur piles. Deux antithèses ! Pourtant je savais qui il était, de loin, tout comme les Malefoy, Parkinson, Potter, Granger et compagnie. Des noms qui faisaient beaucoup parler d'eux à cette époque et dont je me tenais instinctivement éloignée. Les études dans ce nouveau monde, pour moi, c'était à prendre avec légèreté et leurs histoires ne m'inspiraient que pesanteur. Je ne les méprisais pas ! C'est juste que je ne les comprenais pas, que tout ce qui les concernait me dépassait et que, peut-être, ils me faisaient un peu peur, chacun à leur manière. C'était plus facile de faire des conneries avec les copains, les copines, et de rester dans le déni dans mon petit monde acidulé pour embêter la rigide McGonagall et le sinistre Rogue. Paix à son âme d'ailleurs... Bref. N'empêche que c'était bien Théodore Nott qui me hélait, juste là, aux 3B, en plein service ! J'étais à la fois surprise et contente. C'était une figure qui avait fait parti du décor de ma jeunesse après tout ! Il avait grandi... et vraiment bien grandi ! Il avait déjà un petit potentiel séduction inexploité à l'école, mais là... Le fruit était arrivé à maturité, c'était indéniable ! Une gueule d'ange et un air sûr de lui. Vraiment pas désagréable à dévorer des yeux.

Après avoir délicieusement savouré mon petit stop ahuri, je répondis à sa question de lover à pieds joints parce que j'avais adoré son audace.

- Moi c'est Jade, dis-je pleine de malice malgré le rush, et je t'apporte ta biéraubeurre tout de suite !

J'allais filer droit vers le comptoir, un peu pressée par les commandes en cours, mais me retournai au dernier moment pour livrer un avertissement, jouant d'un clin d'oeil mutin.

- Et je t'accompagne seulement si tu me tutoies !

Enfin arrivée au bar, j'actionnai la pression pour remplir la chope destinée au beau brun, une deuxième pour moi, et remplis un autre verre de quelques centilitres de vin de sureau pour Clarisse. J'en profitai pour demander innocemment à mon collègue de me remplacer une dizaine de minutes (ou peut-être plus ?). Il avait pris son service trente minutes plus tôt alors il pouvait bien m'accorder ça ! Toute façon, avec la moue que je lui faisais il ne pouvait pas refuser. Sans lui laisser le temps de protester, je le remerciai d'une accolade enjouée avant de repartir avec mes boissons en mains. Au passage je déposai son vin de sureau à Clarisse et rejoignis le jeune homme à sa table, heureuse d'avoir une bonne raison de faire un break. Je posai donc les deux chopes un peu brusquement devant lui pour manifester mon retour.

- Me revoilààà ! annonçai-je en prenant place.

J'avais l'occasion de le dévisager à ma guise sans me gêner, et j'étais pas très discrète... Quel joli garçon !

- J'ai deux questions pour toi, commençai-je sans perdre ma moue joviale. Qu'est-ce que tu fais tout seul ici ? Tu chasses ou tu broies du noir ? Et deuxième question. On est bien d'accord que tu me tutoies maintenant ?

J'étais taquine et directe mais j'étais comme ça. La première interrogation revenait souvent avec mes clients. Avec le temps, j'avais compris que les sorciers ruminaient leurs soucis en silence ou qu'ils draguaient en considérant ce lieu comme un terrain de jeu. Où le grand Théodore Nott se positionnait ? Dans les deux catégories peut-être ? J'allais très vite le savoir, et j'étais ouverte à toute réponse sans jugement. J'étais juste contente d'être là, à partager une biéraubeurre en sa compagnie. Ca, c'était insolite ! Savait-il au moins que j'étais une née-moldue ? Etait-il plus tolérant que ce que l'image sulfureuse des sang-purs laissait croire ? Comme quoi, on pouvait se laisser surprendre tous les jours !

L'étalon remuait ses lèvres pour articuler des mots mais j'avais un mal fou à me concentrer. Je n'arrivais pas à décrocher mes yeux de ses traits parfaits, l'expression figée en un sourire radieux. Par Merlin qu'il était beau !

- Je cherchais surtout un nouveau coin où trainer et je n'étais pas venu ici depuis l'époque de Poudlard.

Coude sur la table, j'emprisonnai ma joue dans le creux de ma main.

- Hanhan, laissai-je échapper une hochant la tête, très intéressée par les dires du garçon.

- Et je broie un peu du noir mais pas beaucoup, avoua-t-il avec un sourire.

Ouuuuuh, le jackpot ! Un garçon secret et torturé, avec une carapace à briser et tout ce qui va avec, miam miam miam ! Ma spécialité ! Le genre qu'on a envie de consoler ou qu'on laisse nous engloutir toute crue AVEC JOIE !

- Et oui on se tutoie maintenant, ne t'inquiètes pas, enquilla-t-il au moment où je calmais mes ardeurs dans ma pauvre petite tête de blonde qui avait envie de s'amuser au lieu de bosser.

- Maintenant à moi de poser les questions. Déjà comment ça se fait que tu me connaisse ? Parce que si je t'avais déjà vu avant je m'en souviendrais. Et deuxièmement pourquoi tu penses que je suis ici pour chasser ? J'ai une aussi mauvaise réputation ?

Je gloussai au moment de piquer une gorgée dans ma biéraubeurre. Ce sourire en coin était dévastateur !

- Si si tu m'as déjà croisée ! Plusieurs fois même ! Tu sais j'ai été à Poudlard moi aussi !

Je marquai un temps l'oeil malicieux et me concentrai sur mon verre, plus réservée.

- Un an en dessous de toi. J'étais à Poufsouffle et née moldue, toujours née moldue tant qu'on y est. Pas étonnant que Théodore Nott ne m'ait pas remarquée hein !

Je me repris pour effacer les préjugés qu'auraient pu laisser entendre ma phrase.

- Biiiiiiiiin tu sais, c'est ce qu'on disait de toute votre bande ! Même si tu ne traînais pas tout le temps avec eux y'avait quand même cette réputation autour de vous. Je représentais la cible à abattre quoi ! Les blaireaux, les sangs de bourbe... Tout ça.

Challengeuse, je croisai les bras.

- Parce que tu vas me dire le contraire ?

Je n'étais pas dans le ressentiment en le piquant de la sorte. C'était un petit test ! J'étais curieuse de voir ce qu'il me répondrait. A Poudlard je restais très loin de toutes ces questions de sang qui me passaient au dessus de la tête. J'y comprenais rien. Etre confrontée des années plus tard à l'un des symboles de ce mode de pensée, à tort ou à raison, était très intéressant pour moi !