Ce jour-là était un jour ordinaire. J'avais pris mon service à la boutique à 9H, non sans un petit retard de quinze minutes cependant, mais mes collègues n'allaient pas m'en tenir rigueur depuis toutes ces années à hanter les lieux. Quelques parents et leurs marmots s'émerveillaient déjà sur les bocaux colorés de nos étalages, ça m'arrachait un sourire. Les coudes sur le comptoir et un peu rêveuse, je lâchai un: "Tu veux goûter gamin?" en désignant les ailes de papillon sucrées du bout du menton. J'avais fait un heureux et ça m'emplissait de joie ! En y repensant, heureusement que j'avais ce boulot pour apporter un semblant d'équilibre et d'innocence à ma vie, parce que franchement entre mes escapades alcoolisées nocturnes et mes fréquentations discutables, j'avais de quoi m'inquiéter, même s'il n'en était rien. Honeydukes m'apportait une illusion de stabilité et une fraîcheur enfantine qui contrastait avec mes activités extérieures, et ça me faisait le plus grand bien !

A un certain point, un visage connu vint égayer davantage ma journée en poussant la porte de la boutique.

- Theresa ! m'exclamai-je avec un sourire solaire.

Elle ne me répondit pas tout de suite et arborait une expression que je ne lui connaissais pas, mais la mienne resta figée sans trop m'en soucier. Je l'aimais beaucoup, Theresa. Elle était marrante et ne se formalisait pas de mes déboires. Je ne rentrais dans aucune case, ne me positionnais ni politiquement, ni amoureusement, ni dans ma vie en général d'ailleurs. J'étais libre comme le vent et beaucoup jugée pour ça, jalousée par les femmes rangées et méprisée par les hommes frustrés. Mais Theresa, elle, se fichait de tout ça. C'était un peu ma complice bienveillante qui ne portait jamais de jugement. Là, elle avait le visage de quelqu'un prêt à annoncer une nouvelle toute particulière, maintenant un petit suspense par son curieux rictus au coin des lèvres. Malgré le feeling un peu bizarre qu'elle induisait, j'avais hâte de savoir ce qu'il en était !

- Salut Vega ! me lança-t-elle sans me lâcher du regard.

C'est alors que je m'approchai pour lui faire la bise, vestige de mon côté latin persistant, mais elle se recula d'un coup.

- Boh, qu'est-ce qui te prend ? Tu t'es levée du mauvais pied ce matin ? dis-je en riant quoiqu'un peu circonspecte.

Pour toute réponse elle se cura nonchalamment les ongles avec sa baguette, arborant un air entre dégoût et mépris. Elle semblait vraiment... bizarre. Elle avait comme une aura inhabituelle autour d'elle, et j'étais très sensible à l'aura des gens.

- Qu'est-ce que t'as ? réitérai-je plus explicitement, et avec plus de gravité voyant qu'elle ne semblait pas d'humeur à rire. Il s'est passé quelque chose ?

Je ne savais pas trop ce que je racontais. Un truc grave s'était peut-être produit ? M'en voulait-elle pour une raison qui m'échappait ? Lui avais-je balancé des saletés à la figure quand j'étais bourrée sans parvenir à m'en souvenir ? J'avais beau refaire l'historique de nos dernières rencontres, je ne comprenais pas. Ce comportement soudain autant qu'étrange dénotait beaucoup avec la bonne copine que je côtoyais. Peut-être que j'avais merdé quelque part... Ca n'aurait pas été la première fois !