Héra était assise au plein centre de son appartement, à même le sol. Elle observait les murs immaculés, la hauteur du plafond, la largeur des fenêtres qui baignaient la pièce de lumière. Des cartons l’entouraient mais toute sa vie empaquetée semblait dérisoire dans un environnement si spacieux. Elle réalisait à peine que tout ça été à elle. Le matin-même elle avait récupéré ses clés, le lot était payé, officiellement sien, et pourtant elle n’en avait pas l’impression. C’était un peu la consécration de toutes ces années de privations qu’elle fêtait enfin.

Lorsqu’elle entendit toquer, elle se précipita pour ouvrir à son invité, enthousiaste. Un sourire radieux habillait son visage ; l’Angleterre menaçait de s’effondrer, d’être prisonnière d’une dictature tortionnaire, mais malgré la noirceur qui bordait leur quotidien, elle était heureuse. Elle se détestait d’être aussi apaisée mais ne parvenait pas à refouler cette allégresse qui l’emplissait. Non seulement elle avait retrouvé Drago, mais en plus elle quittait enfin son studio exigu. Une certaine douceur l’enveloppait en repensant à ce lieu qui l’avait abritée pendant des années. Les souvenirs s’y étaient accumulés et elle les regardait déjà avec nostalgie. En le quittant, elle ne l’avait pas revendu mais avait préféré le garder. L’Allée des Embrumes était connue pour son insécurité et c’était pour ça justement qu’elle le conservait. Au cœur de la criminalité, on ne remarquerait pas une petite sorcière comme elle.

La porte s’ouvrit sur le merveilleux visage du blond. Tout était beau ce jour, mais lui plus encore. Elle attendit par soucis de discrétion qu’il fut entré pour le prendre dans ses bras et l’embrasser pour le saluer.

" - Bienvenue chez moi, l’accueillit-elle en reposant doucement ses lèvres sur les siennes. "

Elle s’écarta un peu de lui en laissant ses mains derrière sa nuque, observant son visage pour deviner ses réactions. S’il y avait bien un de ses proches qui détestait le taudis qui avait longtemps été sien, c'était lui. Il le lui avait souvent fait savoir et elle été curieuse d'entendre ce qu'il dirait désormais ...

La surprise évidente de Drago éveilla un sentiment de fierté chez la sorcière, même si elle ne comprit pas exactement pourquoi. Il marquait le contraste entre la vie qu’elle avait eu et celle qu’elle aspirait à obtenir. Le chemin était encore long mais elle le traversait d'un pas sûr.

" - Chez toi ? 

Son sourire parla pour elle. Elle l'observa visiter les lieux, les jauger sans qu'elle ne redoute son jugement, son étonnement ne faiblissant pas. La situation l'amusait plus que de raison.

- Tu ne m'avais pas dit que tu déménageais.

Elle n'en avait parlé à personne, il était le premier à le savoir, le premier aussi à y être invité. L'idée que ce soit leur secret le temps de quelques jours lui plaisait. C'était comme si ce lieu n'appartenait qu'à eux et qu'ils y étaient libres. Elle aimait déjà le voir y déambuler, elle voulait qu'il s'inscrive dans le décor et ne le quitte jamais.

- Surprise ! Qu'est-ce que t'en penses ?

Revenant vers elle, il l'embrassa avant de lui glisser une réponse.

- C'est un peu plus digne de toi. Mais tu crois que je ne vois pas clair dans ton jeu ? Tu as fait ça juste pour te rapprocher de chez moi, voisine.

- Comme on ne se voyait plus assez je me suis dit qu’au moins on serait obligé de se croiser …

Elle mentait à peine. Ce n'était pas pour lui qu'elle avait choisi cet emplacement mais à chacune de ses visites elle avait espéré le voir ne serait-ce qu'une seconde. Il lui avait terriblement manqué et elle ne se sentait plus capable de rester loin de lui aussi longtemps. Ne serait-ce qu'y songer l'effrayait.  

- Tu vas être bien ici. Mais, c'était prévu ? Depuis quand ? Cachotière…

Sa dernière remarque lui arracha un rire.

- Ça s’est fait vite à vrai dire. Il y a six mois à peu près j’ai décidé de quitter la Gazette. Ca fait longtemps que j'économise pour déménager mais j'avais peur de devoir compter sur cet argent en démissionnant. Du coup j'ai préféré vendre la propriété de mes parents pour acheter cet appartement.

Elle jouait avec ses mèches tout en lui parlant, comme si ses mains n'étaient à sa place que sur lui.

- Tu viendras me rendre visite maintenant que l'endroit où je vis te semble acceptable ? "

Elle adorait aller chez lui, elle s'y sentait bien, dans une bulle qui n'acceptait qu'eux. C'était plus une manière de lui dire qu'à n'importe quelle heure, n'importe quel jour, il serait le bienvenue chez elle.

Ses mains lui répondirent avec trop de légèreté, son corps les rappelant en un ordre muet. Elle aurait voulu qu’il s’attarde encore mais il se détacha d’elle, s’écartant sans la lâcher complètement pour la mener plus à l’intérieur de la pièce. En un geste il se trouva à nouveau tout près d’elle et elle s’approcha encore un peu plus. Comme elle sentait qu’il allait parler elle se tut et s’empêcha se sceller leurs lèvres. Elle ferait l’effort de l’écouter sagement et ce malgré ses envies qu’elle refoulait avec difficulté.

" - Je peux rester ce soir ? 

Elle se contenta d’un sourire, les mots n’étaient pas nécessaires. Ce serait sa première nuit dans ce nouvel appartement et elle ne pouvait être plus symbolique qu’avec Drago à ses côtés. Désormais elle voulait que son visage s’inscrive dans chacun de ses souvenirs. Il rendrait les meilleurs plus beaux encore et adoucirait un peu les pire.

- T'as pas grand chose à déballer on dirait,. Il y a toute ta vie là-dedans Greengrass ? Des gros secrets ? Tu me montres ?

En la questionnant il avait commencé à inspecter ses cartons sans les avoir ouverts. Ils étaient peu nombreux si on considérait, comme il l’avait fait remarquer, qu’ils contenaient toute sa vie. Héra vint s’asseoir au sol, près du sorcier, en les détaillant. Certains ne renfermaient que des vêtements ou de la vaisselle, objets dénués d’intérêt ou de sentimentalisme. D’autres étaient plus personnels ; elle avait récupéré des souvenirs de ses parents en vidant leur maison, des reliques de Poudlard, ses recherches, des articles, des lettres qu’elle avait voulu garder, ses carnets de notes avant et de croquis après la guerre. Pendant longtemps elle n’avait plus écrit, elle qui griffonnait toujours partout, et s’était mise au dessin. C’était plus facile d’affronter des traits abstraits que des phrases trop révélatrices. Même à ce jour ses quelques poèmes témoins de son quotidien restaient flous et à peine évocateurs.

- Je ne voudrais pas que tu fuis en en découvrant trop sur moi.

Tout en parlant, amusée, elle tira un premier paquet vers elle pour le défaire. Il traîna au sol avec lourdeur et elle comprit pourquoi en découvrant ce qu’il cachait ; des pages et des pages noircies rangées dans des dossiers. La Gazette l’avait peut-être censurée, mais elle s’y était épanouie longtemps. Sans ce travail elle n’aurait probablement pas tant aiguisé son esprit critique, elle ne se serait pas intéressée à autant de points de vue, mais surtout, elle n’aurait pas fait certaines rencontres … Attendrie, elle sortit un feuillet et le tendit à Drago :

- C’est tout ce que j’avais préparé avant qu’on se rencontre pour notre interview. "

Elle s’était renseignée et avait collectionné les coupures de journaux pour ne pas s’y rendre qu’avec ses propres impressions, elle qui avait défendu l’impartialité. À cela s’ajoutait une liste de questions, l’introduction qu’elle avait commencé à rédiger, les rares lignes qui en avait résulté. L’alchimiste avait tout fait pour l’empêcher de deviner ne serait-ce qu’une miette de ce qu’il pensait et y était presque parvenu.

Héra dévisageait le sorcier un vague sourire aux lèvres, scrutant ses réactions comme on surveillait celles d’un enfant déballant un cadeau. Qui aurait su dire lors de cette timide rencontre qu’il deviendrait celui qu’elle inviterait en premier à visiter son nouvel appartement ? Qu’il saurait éveiller de tels sentiments chez elle, que cette frustration qu’il avait animée en éludant ses questions deviendrait autre, plus douce et tortueuse ? Elle préservait avec tendresse ces souvenirs d’un temps passé.

« - Avoue que t'es tombée raide dingue de moi dès que tu m'as vu. Je te comprends Greengrass, à ta place j'aurais pas pu résister non plus. Non mais tu m'as vu ?

Elle leva les yeux aux ciels, faussement agacée par ce narcissisme qu’il forçait sans avoir à feindre. S'il se doutait qu'à l'époque ses allures et sa réputation la rebutaient, qu'aujourd'hui toujours il ne représentait rien de ce qu'elle voulait, mais qu'elle était malgré ça incapable d'être auprès d'un autre ...

- Je ne vais pas le lire. Dis-moi juste ce que tu voulais me faire dire ce jour-là. Franchement, tu croyais vraiment que j'allais te parler de mon rôle pendant la guerre ? T'étais pas gênée.

- C’était un peu le but de notre rencontre, non ? Ou alors tu avais déjà d’autres intentions, se moqua-t-elle à son tour. Surtout que, dans mon souvenir, je n’étais pas la seule à mener mon enquête. La seule différence c’est que moi j’avais une excuse valable.

Cette question qu’il se posait l’avait perturbée longtemps elle aussi. Peut-être pas du même angle, mais elle n’avait jamais comprit. Alors elle poursuivit après une brève hésitation :

- Et toi, pour de vrai, pourquoi avoir accepté ? Tu t’ennuyais, seul dans ton grand appartement ? »