Adossée à la façade de mon immeuble, je finissais ma clope avant de rentrer, expirant cette fumée claire se mêlant à la noirceur de rue, toujours aussi sombre même en plein jour, qui me trahissait. Je refusais de fumer ces cigarettes sorcières aux couleurs pompeuses, parfait exemple de leurs caprices nés d’un sentiment de supériorité relativement justifié mais qu’ils n’avaient pas besoin d’asseoir, et me fournissais dans le Londres moldu, lieu rassurant qui me rappelait avec une pointe de nostalgie autant que de dégoût ce passé que j’avais fuit. Tout différait du milieu dans lequel j’avais grandi, mais en m’y rendant j’avais tout de même l’impression de le retrouver un peu, comme si je dépassais une barrière invisible me ramenant à ma réalité. Ce n’était qu’un mirage et l’Afrique du Sud était loin, tant mieux, qu’elle y reste, un cauchemar duquel je m’extrayais juste avant qu’il ne m’engloutisse, mes vieux démons m’y poursuivant, se cachant dans chaque ombre, dans chaque pas, ne me quittant pas même quand je marchais en plein cœur du chemin de Traverse.

Je venais à peine d’en rallumer une nouvelle, mon mégot finissant de se consumer au sol dans une combustion faiblarde, que Krum, corniaud brun aux forts airs de Staffordshire d’à peine un an, je l’avais adopté peu après mon arrivée à Londres, se précipita sur un des passants, inconnu d’une vingtaine d’année aux airs sombres probablement feints. On pouvait me reprocher mon scepticisme, mais j’avais tendance à penser que plus la vie avait été dure, plus on savait le masquer, mais peut-être n’était-ce que parce que je m’amusais à m’inventer un passé qui n’était pas mien, recouvrant les drames que j’avais connus d’un beau couvercle de normalité, y mettant un cadenas dont j’avais jeté la clé. Il aboyait en continue en se campant devant lui, comme s’il allait attaquer, et même mes ordres secs ne le ramenaient pas à moi, lui qui parfaitement dressé m’obéissant sans que je hausse le ton.

Résignée je me détachais du mur contre lequel je m’appuyais pour faire les deux pas qui me séparaient de mon chien, quel long périple, et le pousser de mon pieds sans délicatesse ni brutalité pour qu’il se décale et cesse de hurler à la mort. Je n’avais jamais eu l’occasion d’en rencontrer, mais j’étais certaine que même les loups-garous les soirs de pleine lune ne beuglaient pas tant pour attirer leurs congénères.

" - Désolée, dis-je à l’adresse de l’inconnu alors que l’autre bête se calmait enfin, je sais pas ce qui lui arrive, il est hyper calme d’habitude. Y a un truc chez toi qui a pas du lui plaire. »

Krum était revenu à sa place, tout contre ma jambe comme pour s'y réconforter, mais je le sentais toujours tendu, s'empêchant de grogner, prêt à bondir si un geste lui déplaisait, son regard sombre ne quittant pas l'inconnu qu'il semblait détester déjà. Le bras posé le long de mon corps, je claquais des doigts pour qu’il s’assoit, je gagnerais quelques secondes lorsqu’il attaquerait s’il s’y décidait.

" - Les chiens m'aiment pas trop en général, je sais pas pourquoi.

Si c'était un consensus général, il devait y avoir chez lui cette étincelle invisible que les canidés percevaient et qui nous échappait, cette aura inquiétante qui nous indifférait. Je l’étudiais en quête d’un détail qui le trahirait, ses secrets cachés dans ses mèches, le creux de ses lèvres, sa désinvolture, mais ne trouvait rien, mes talents de détective avaient décidément leurs limites, et elles étaient fermes.

- Je m'appelle Otello. T'habite dans le coin ? Je t'ai jamais vue.

- Mary. Étonnant qu’on ne se soit pas croisés, c’est une petite ville, ironisais-je sans un rire pour adoucir mes propos, sans être piquante non plus.

Je ponctuais ma remarque en tirant une taff, ce qui attira son regard. Au risque qu’il soit dérangé je pivotais pour recracher la fumée, qu’elle ne touche pas son visage, même s’il n’avait pas l’allure de s’en formaliser, les apparences pouvaient être trompeuse et j’avais appris en Angleterre une certaine notion de respect inexistante là où j’avais grandis.

- Au fait, je peux te voler une clope ? Je viens de finir mon paquet. Je te promet de te rembourser.

En voulant lui en donner une, je le prévins en cherchant mon paquet dans ma poche :

- Par contre ce ne sont pas des sorcières, tiens. Tu promets, carrément ? T’es bien sûr de toi. "

C’est avec un sourire moqueur que je lui prêtais aussi mon briquet, explicitement dubitative, consciente qu’il n’y avait que peu de chance que je récupère cette cigarette un jour. Ou alors il comptait me poursuivre dans Londres, guetter mes allées et venues jusqu’à avoir épongé sa dette, quitte à m’espionner des jours durant, mais ça me semblait encore plus improbable, heureusement.

Son sourire laissait penser qu’en plus de tolérer mon sarcasme, il l’appréciait sans s’en formaliser, et donc le comprenait, ce qui arrivait rarement si on ne me connaissait pas bien, on avait toujours ce regard sur moi, celui qui disait que j’étais étrange et que mes mots n’avaient pas de sens, je le détestais et refoulait difficilement l’impression qu’il n’était que le reflet de leur stupidité. J’étais loin de me penser supérieure mais la question se posait lorsqu’ils butaient sur une simple remarque, cherchant son sens en ne parvenant à le trouver que si je le leur donnais, et encore leur circonspection m’irritait.

" - J'ai fumé des cigarettes mordues toute ma vie, je trouve que la fumée des clopes sorcières est juste plus classe.

Précisément la raison pour laquelle je les évitais, ces détails pompeux qu’ils n’ajoutaient que pour marquer leur différence, comment ils amélioraient tout, comment il étaient meilleurs, marquant leur superficialité en s’attardant sur des effets esthétiques sans aucun plus-value, et je notais que cet Otello appartenait à ce genre qui accordait de l’importance à son allure, la soignant d’une manière des plus vulgaires. Quoique, j’avais déjà vu bien pire à Johannesburg, là où certains n’avaient rien en voulant tout, leurs tentatives pitoyables de tromper leur misère l’accentuant au contraire.

- Et pour le remboursement, je sortais justement pour aller m'acheter un nouveau paquet, je t'en passerai une sorcière. Sinon Mary tu viens d'où ? T'as pas l'accent anglais du coup tu dois être une expat' comme moi.

Je plissais le nez, j’aurais préféré en récupérer une moldue, mais je pouvais la fumer chez moi, sous le seul regard de Krum qui ne me jugerait pas. Je repris une bouffée pour esquiver ma réponse, mon passé était derrière moi, bien au froid en Afrique, et j’avais horreur d’en parler, j’évitais même d’y penser. La meilleure défense c’était l’attaque, disait-on ailleurs, et j’avais appris à maîtriser cette technique.

- Comme toi ? Pourquoi, t’es d’où ? Attends, laisse-moi deviner.

Jouant les détectives je l’étudiais pour deviner d’où il pouvait bien venir, j’étais plutôt mauvaise à ce jeu-là, mais ça m’amusait d’essayer. Il devait avoir à peu près mon âge et n’avait pas partagé mes classes, ça éliminait déjà mon école, il n’avait pas non plus l’air très asiatique, ne collait pas à l’étiquette précieuse de ce qu’ils enseignaient en France, il était typé mais pas assez pour Castelobruxo, trop pour Durmstrang, mais il y avait cette dureté au fond de ses yeux que j’avais déjà vu chez leurs anciens élèves, la pluralité des états-unis permettaient  de venir de tous les horizons.

- Ilvermorny ou Durmstrang ? On devrait même parier. "

J’aimais bien les défis impossibles, plutôt parce que j’étais nulle que parce qu’ils étaient compliqués d’ailleurs.

Cette histoire de pari lancée sans conviction convint le sorcier puisqu’il rebondit, me proposant même une contrepartie, alors que j’avais rien demandé, c’était plus une tournure de phrase qu’une vraie proposition, et je retenais surtout que j’avais eu raison, même si j’avais limité les risques en en nommant deux, il avait fréquenté l’une de ces écoles.

« - Trop facile t'as déjà deviné mon école, je suis allé à Ilvermony. On va parier sur autre chose, plus difficile. Mon parcours scolaire n'est pas aussi simple que ça, si t'arrive à deviner ce que j'ai fait je te paye un paquet de clopes mordues.

J’avais pas tiqué la première fois, misant sur une erreur de langue, elle avait pu fourcher comme j’avais pu mal comprendre, mais le doute s’amenuisait, ce qui m’arracha un sourire qu’il ne put comprendre, je décidais intimement de le corriger s’il le méritait, pour l’instant ça m’amusait un peu. Par contre je comprenais moins ce qu’il me demandait, ]ce qu’il avait fait c’était vague, et même plus, ça demandait des talents que je ne savais pas avoir, j’étais pas légimilens, et puis ça aurait fait perdre tout son intérêt à ce petit jeu qui en était déjà pas mal dénué.

- Mais avant, je vais essayer de deviner ton école. J'ai envie de dire Castelobruxo.

On en brassait du métissage en Amérique du Sud et pourtant je ne retrouvais aucun de leurs traits dans mon visage, pas plus que leur accent dans ma voix, même si j’aurais pu le masquer comme je m’y appliquais pour celui de mon pays d’origine, celui que j’avais fui et repoussé, que je tentais par tous les moyens d’oublier.

- Raté.

J’aurais pu lui proposer une seconde chance, après tout je m’en étais octroyée une d’office, mais j’avais pas envie qu’il creuse, j’étais bien contente qu’il se soit trompé, j’effaçais hier autant que possible pour ne me concentrer sur aujourd’hui, je détestais qu’on m’oblige à regarder en arrière, je détestais plus encore qu’on essaie d’observer ce que cachait mon épaule.

- Et qu’est-ce que tu veux que je dise sur toi pour avoir mes clopes ? T’as pas été assez précis pour moi. »

Être subtile c’était bon pour les autres, moi je voulais juste qu’on ne gratte pas trop de mon côté, et pour ça, il fallait aller du sien.