'y suis, enfin... Le grand Ministère de ces guindés d'anglo-saxons, le Magenmagot des sacro saints dirigeants du monde sorcier ; je suis en plein dedans, acteur à sa tête et pas peu fier. N'importe quel paumé pourrait lire la vanité dans le sourire diabolique que j'esquisse, assis derrière mon bureau, en rangeant un dossier que je viens d' "arranger". Tout est sous contrôle, tout est d'une facilité déconcertante et je me ris de ceux qui pensent avoir le choix dans ce nouveau monde à bâtir. Franchement je n'ai personne à remercier, à part G. peut-être, mais j'ai mené ma barque tout seul et si j'en suis là aujourd'hui c'est uniquement grâce à moi. Tout ce que j'ai fait de discutable jusqu'à présent m'a mené à cet instant de gloire, c'est un fait. J'ai un cerveau incomparable et je calcule bien, ça se sait et on me respecte pour ça. On pourrait me croire vantard mais je ne m'excuserai pas de dire que la plupart des sorciers sont des cons finis, manipulables à souhait, comme des petits pantins en perdition. D'ailleurs c'était déjà le cas sous l'ancien gouvernement, mais ils sont trop stupides pour s'en rendre compte. Moi je les récupère et j'en fais ce que je veux, et c'est pas mon jeune âge qui m'en empêchera. Mes diplômes et contacts parlent pour moi, j'ai plus rien à prouver. Je n'ai jamais été aussi ivre de pouvoir qu'aujourd'hui et ma place distinguée me fait honneur. On me dit compétent, mais je suis fourbe. G. le sait et compte sur moi. Je ne le décevrai pas. Tout commence maintenant, quand quelqu'un vient interrompre mon autocongratulation en toquant à la porte.

- Bonjour, je suis Otello Roy, me lance un type aux allures bon marché.

Je le toise un peu de bas en haut malgré moi avant de lui offrir un sourire factice. Il parait qu'il ne faut pas juger un livre à sa couverture. Tout peut être utile.

- Monsieur Roy, dis-je poliment en hochant la tête.

Le gars n'avait pas rendez-vous, je sens déjà le vieux plan. Je ne me formalise pas. Je me lève pour l'accueillir dignement, m'approche et lui tends la main pour qu'il l'empoigne. Je suis peut-être maniaque mais pour moi, cette tradition est une étape cruciale pour évaluer mon interlocuteur. Une main molle et moite me débecte, une main ferme et sèche est engageante. Ca donne généralement le ton. Verdict: poigne dynamique. Bon point pour lui, je ferai abstraction de sa dégaine digne d'un repère de junkies de l'allée des Embrumes, n'en déplaise à sa belle chemise qui ne trompe personne.

- J'aurai besoin de votre expertise. On m'a dit qu'ici il serait possible de nettoyer mon dossier.

Là il m'arrache un sourire un peu malsain. C'est donc ce type de client ? Je ne suis pas étonné, tiens. On va pouvoir parler business, je le sens, et ça me plait.

- Mais certainement, dis-je d'un regard digne de l'avocat du Diable.

Je l'invite à s'asseoir d'un geste de la main et retourne à mon poste, joins mes mains l'une contre l'autre, coudes sur le bureau, et plisse mes yeux pour mieux l'appréhender.

- Vous avez fait appel à la bonne personne, c'est ma spécialité, je m'empresse de rajouter d'un oeil frétillant. Pour commencer, je vais faire en sorte qu'il se sente important. Dites-moi tout, monsieur Roy. Quels sont les éléments à "nettoyer" ? Quelle est votre histoire ? Vos talents controversés ?

Pas sûr qu'il puisse se payer mes compétences mais on pourra peut-être s'arranger. Avide de pouvoir en tirer quelque chose, je me montre toute ouïe.

e gars commence à me raconter son histoire. Je m'attends à un récapitulatif confus et empreint de banalités propres aux voyous de seconde zone, mais certainement pas à ce discours larmoyant.

- Disons que j'ai un "don" qui ne plait pas vraiment au Ministère de la Magie américain. Tout a commencé quand je me suis fait mordre par un loup un peu étrange et que j'ai massacré onze personnes dans mon lycée un soir de pleine Lune, dont ma meilleure amie.

Je le regarde sans sourciller, muet comme une tombe, quoique... Mes lèvres se plissent jusqu'à trembloter légèrement. Je peine à me retenir et j'échoue bien vite pour laisser un rire dissonant lui éclater à la figure sans prendre la peine d'y dresser un filtre de convenance. Je dois vraiment faire des efforts là-dessus mais franchement, on dirait qu'il vient de me raconter la meilleure blague que j'ai entendue depuis longtemps ! J'ai du mal à m'arrêter, mon rire résonne comme une manifestation diabolique dans toute la pièce et, voyant qu'il ne bouge pas d'un cil pour partager mon hilarité, je redeviens sérieux tout net. Sans transition encore une fois, l'impassibilité réinvestit mon visage. Je le fixe sans décrocher et me racle la gorge dignement.

- Oui, c'est bien malheureux j'en conviens.

Je soulève mes sourcils en faisant mine de chercher un dossier. Il va bien falloir constituer le sien de toute manière, et vu le passif j'ai l'impression qu'on va devoir mettre le paquet. Je ne suis pas déçu de m'être levé ce matin, c'est un cas de premier choix qui s'offre à moi, et je ne peux pas m'empêcher d'y repenser avec plus de maîtrise. "J'ai massacré onze personnes dans mon lycée un soir de pleine Lune, dont ma meilleure amie." Il a refait ma journée lui ! Rien que pour ça je vais l'aider. Je prends ce loup perdu en sympathie et lui montre que je suis tout disposé à entendre la suite.

- Quant à mes talents, reprend-il, bah disons que je sais vendre de la drogue, je revends. C'est ce que j'ai toujours fait, chez les Non-Maj' comme chez les sorciers. Enfin, chez les mordus pardon. Du coup je suis cherché aux Etats-Unis à cause de ma lycanthropie et de mon trafic pas trop légal.

- Hm. Je vois.

Je me contente de hocher la tête en perdant mon regard sur un point vague. De plus en plus intéressant ce qu'il me raconte là le louveteau.

- Les mordus aiment la drogue autant que les sorciers, pas vrai dis-je d'un air concerné.

- Vous pensez pouvoir faire quelque chose pour moi monsieur Nakajima ?

Alors je me refocalise sur ses yeux sombres en acquiesçant d'un rictus entendu.

- Naturellement, oui.

Mon ton calme le rassure peut-être, en tous cas il doit probablement être plus engageant que le rire fou que j'ai laissé échapper tout à l'heure. Comme quoi, j'ai aussi mes faiblesses... Mais pour ma défense il m'a provoqué. Je poursuis en me levant.

- Comme je vous le disais, c'est ma spécialité. Vous n'auriez pas pu vous adresser à un meilleur expert en la matière. Seulement, vous vous doutez que tout a un prix, monsieur Roy, et que cette branche de mes affaires n'étant pas visible aux yeux de tous, ça fait de nous des partenaires très particuliers.

J'ouvre un buffet en chêne massif pour y extraire une bouteille de whisky pur feu 12 ans d'âge et deux verres. Je ne suis pas exactement ce qu'on appelle un grand buveur ou un amateur de spiritueux, mais je sais quand il faut sortir l'artillerie lourde pour mettre à l'aise mes clients. Nos affaires étant d'une sensibilité évidente, je doute que monsieur Roy s'y refuse. Je pose les deux verres sur mon bureau, face à lui, et commence à servir un tiers de chaque avec aisance.

- Je vais te tutoyer, Otello.

Voilà qui changerait le ton.

- Ne le prends pas mal, j'estime que les formalités ne sont pas de rigueur entre gens de notre trempe. Tu es d'accord ?

Question rhétorique, il n'a pas tellement le choix et doit s'en douter. Je lui laisse toutefois l'occasion de s'en offusquer s'il a la bêtise de s'y autoriser. En attendant je l'invite à prendre son verre, saisis le mien, retourne à mon poste, et m'abreuve d'une gorgée ambrée qui me réchauffe le gosier. Ce n'est pas très agréable mais ça donne plus de panache à l'instant.

- Et tu es prêt à faire n'importe quoi pour te blanchir, Roy ?

Je le fixe sans défaillir, jaugeant mon interlocuteur pour voir si son assurance risque de s'ébranler ou si son désespoir le mènera à accepter tout ce que je lui demande. A-t-il conscience qu'à partir de maintenant, les choses sérieuses vont commencer ?

e coquin m'annonce qu'il est prêt à tout donner sans condition.

- Oui, j'ai pas vraiment de limites. Dis moi à quoi tu penses ? Je tiens juste à préciser que si je dois tuer quelqu'un, j'attendrai la prochaine pleine lune.

S'il continue il va me faire exploser de rire à nouveau, ce con ! Mais je me contiens. Je me contente d'un sourire tendancieux. Je ne parlais pas nécessairement d'ôter la vie mais il est bon de savoir que le sot est prêt à aller jusque là pour se blanchir. Quelle ironie ! Il semble avoir peu de principes, voilà qui fait de moi un avocat corrompu heureux.

- Est-ce que je peux fumer dans ton bureau ? qu'il me dit en sortant un paquet d'Horus.

- Fais comme chez toi, je lui réponds d'un revers de la main engageant, allant même jusqu'à lui tendre un briquet dont les gravures dorées devraient lui en foutre plein les yeux.

Ca m'aurait étonné qu'il soit non fumeur, tiens. Ca va empester dans toute la pièce mais il n'y a rien que je refuse à un client dont les motivations m'apparaissent utiles. Qu'il se sente à l'aise, qu'il mette les pieds sur mon bureau s'il le souhaite. S'il se sent suffisamment en confiance, j'en tirerai ce qu'il faut. Alors je retrouve mon sérieux et m'empare d'un prestigieux cigare Osiris - dont j'exècre le goût - juste pour m'aligner, ou plutôt me distinguer ostensiblement par nos modes de vie.

- Vois-tu, le ministre de la magie a parfois des requêtes, disons un peu... particulières.

Je prends mon temps pour jauger ses micro-expressions mais je suis vite interrompu par une toux incontrôlable. Merde, ce cigare est dégueulasse ! Je ne comprends pas son prix et encore moins pourquoi on en fait tout un foin. Je retrouve une posture plus digne avant de poursuivre.

- Comme tu t'en doutes, il cherche encore à gonfler les rangs de son parti. Sa mission principale est de convaincre un maximum de sceptiques pour mener à bien son projet final.

Je reste un peu mystérieux quant au "projet final" cependant et le fixe droit dans les yeux.

- Roy, j'aimerais que tu nous aides à atteindre son but. Je marque un temps. Pour ça on a besoin de plus d'argent, de plus d'adhérents, et d'assurer des missions. Ce que j'aimerais que tu fasses pour nous, c'est continuer tes magouilles comme d'habitude. Continue tes deals. On n'interviendra pas tant que tu restes discret. On préfère réglementer tes activités pour qu'elles ne salissent pas la voie publique, tu vois ? On te donnera un local, une couverture si tu veux. Tu fais ton business dans ton coin, y'a pas de lézard, personne ne t'en empêchera et pendant ce temps, je m'occupe de te blanchir. Mais, tu t'en doutes, il y a une contrepartie.

Une fois n'est pas coutume, j'impose un nouveau silence.

- Il y a parfois des transactions peu recommandables qu'on te demandera d'opérer pour nous dans la plus grande discrétion. De la marchandise particulière à écouler - dont tu toucheras évidemment une commission intéressante. Voilà ta contribution financière pour te payer mes services, Roy. Mais en plus de ça, tu auras automatiquement ta carte et tes accès à la H.O.R.D.E. A toi de l'exploiter comme tu veux. Si tu es motivé, on peut faire de toi quelqu'un d'important, changer ta vie même. Si tu recrutes d'autres adhérents on te fera grimper les échelons, mais c'est un bonus que tu n'es pas obligé de saisir si ton ambition se dirige ailleurs. Ce qui nous intéresse dans un premier temps ce sont tes compétences dans le "commerce" et ton réseau. Si on fait appel à toi dans ce cadre, tu plaques tout et tu oeuvres pour nous. C'est ça la condition sine qua non. Tu comprends ?

Je lui laisse au moins le choix de son implication. A lui de voir si c'est un gars intelligent, s'il veut devenir quelqu'un en oeuvrant politiquement ou s'il se cantonne à ses activités de bas étage. Après tout c'est pas mon problème, chacun est libre de bousculer son destin comme il l'entend. Je pense toutefois à un autre élément pour encourager sa dévotion.

- Ah, j'oubliais presque ! Au sujet de "ton petit problème". Nous avons beaucoup d'alchimistes de notre côté et, si tu fais bien ton boulot, je pourrai me débrouiller pour te fournir les meilleures potions Tue-Loup du marché pour apaiser tes symptômes. On est aussi là pour t'aider Roy, tu sais... C'est une grande famille, la H.O.R.D.E.

Je ne suis peut-être pas un grand séducteur en matière de femmes mais quand il s'agit du travail, je sais donner le change ! Que Merlin me préserve de mon hypocrisie.

Alors, qu'en penses-tu ?

e gars refuse ma proposition d'arranger ses excès de folie liés à sa malheureuse lycanthropie.

- Je pense pas en avoir besoin pour l'instant, mon problème comme tu dis peut se révéler utile dans certaines situations.

Pas nécessairement faux. Je lui rends son sourire. A vrai dire il n'y a rien d'étonnant. Lorsque le rat patauge depuis trop longtemps dans la fange, il s'y complait.

- Ta proposition est plus qu'alléchante, je dois l'admettre, et je ne vois aucun inconvénient à réaliser des transactions pour le Ministère. J'ai déjà eu pas mal de boss et aucun ne m'a jamais blanchis mon dossier. Franchement, je n'ai rien à dire.

Au moins il est disposé à oeuvrer pour nous, alors je devrais bien pouvoir faire quelque chose pour son dossier. Il me tend donc sa main que je dois de nouveau saisir à mon plus grand désarroi. Modèle de professionnalisme infaillible, je l'empoigne fermement sans une once d'hésitation afin de sceller nos paroles en une promesse qui le musèlera plus longtemps qu'il ne le croit. Mon sourire maléfique me trahit peut-être un peu mais qu'il ne doute pas un seul instant de ma dévotion pour le blanchir. Je ferai le nécessaire. Si je veux qu'il nous soit utile il doit apparaître clean. Et il le sera.

- On dirait que je suis ton nouveau partenaire commercial, me lance-t-il prêt à retourner d'où il vient.

- Parfaitement. C'est un plaisir de faire affaires avec toi, Roy. On reste en contact, dis-je d'un ton entendu.

Et un nouvel allié, un ! Je m'en frotte les mains...