La sorcière s'extirpa de la cabine de douche en saisissant une serviette sèche dont elle se servit pour essorer ses cheveux. Les longues mèches brunes imprégnées d'eau s'en dégorgèrent dans le linge spongieux. Avisant l'horloge murale  tout en continuant à les épreindre, elle soupira en constatant que – comme à son habitude – elle serait en retard. Elle avait la fâcheuse manie d'attendre la dernière heure pour se préparer, peut-être parce qu'elle espérait jusqu'à l'ultime seconde du départ de pouvoir se rétracter. Cette entrevue l'avait longtemps angoissée même si elle s'était dans les jours précédents calmée.

Ses angoisses s'étaient taries puisqu'elle avait décidé de les juger comme étant injustifiées. Avoir peur de William était ridicule, tout comme craindre les sentiments qu'elle avait éprouvés pour lui. Leur histoire appartenait au passé et ils pouvaient bien s'en inventer une nouvelle ensemble en l'illustrant de leur amitié. Il n'y avait aucune raison que l'un ou l'autre se trouve lesté dans cet accord nouveau qu'ils passeraient implicitement. Héra, de son côté, avait déjà signé. Ce fut donc relativement sereine qu'elle revêtit une robe noire, le tissu de satin l'habillant chastement. Elle ne se paraît jamais d’extravagance et ne cherchait à attirer ni les regards ni les moqueries. Recourber ses cils d'un mascara profondément sombre et teinter ses lèvres d'un intense rouge sang lui suffit pour se considérer apprêtée.

Elle se chaussa d'escarpin tout aussi sobre que son vêtement et s'extirpa de son studio jusqu'au dehors. Le trajet de son appartement au restaurant lui parut à la fois interminable et expéditif. Elle se sentait comme un rat se lassant de courir dans sa roue sans se résoudre pour autant à en sortir. Contrairement au rongeur de ses songes elle n'avait pas le choix. Ou, si ça avait été le cas, aurait dû assumer ses actes et ce qu'ils engendreraient. Pourquoi n'était-elle pas un stupide nuisible.

Depuis l'extérieur elle aperçut William l'attendre à l'intérieur. Elle s'arrêta, l'observant à travers la vitre, sans se résoudre à entrer. Un air soucieux se peignait sur son visage et Héra ne put s'empêcher de se demander si elle était la cause de ses traquas ou si celle-ci était tout autre. Il était prétentieux de penser qu'elle pouvait en être l'origine, mais n'était-elle pas en droit de se l'imaginer dans de telles circonstances ? Repoussant ses songes parasites, la journaliste se défit de sa contemplation pour avancer jusqu'à la porte et la pousser pour entrer. Un serveur qu'elle remercia d'un sourire vint la lui tenir en la remarquant avant de la mener à sa table - soit en face du musicien. Elle s'assit non sans conserver son apparente sympathie.

" - Excuse-moi pour le retard. Je ne suis pas plus ponctuelle qu'à l'époque ... Certaines choses ne changent pas. "

Piètre introduction mais elle la ponctua d'un rire léger pour l'égayer quelque peu. Elle n'avait plus qu'à espérer qu'il soit dans de meilleures dispositions qu'à leur retrouvailles et - surtout - plus réceptif à ses faibles tentatives de plaisanteries.

Malgré toutes les recommandations qu'elle s'était faite, comment elle s'était rassurée, le ridicule de la situation la saisit. Se trouver là, assise dans ce restaurant face à l'homme qui avait partagé sa vie plus d'un an, c'était absurde. Elle aurait préféré le retrouver en un lieu plus neutre et surtout moins pompeux qui ne nécessitait aucune tenue soignée ou allure raffinée. Dans ces circonstances leur entrevue s'apparentait presque à un rendez-vous – un rendez-vous du genre de ceux qu'elle ne voulait pas partager avec lui.

" - T'en fais pas, je viens juste d'arriver. Installe toi je t'en prie. 

Elle lui offrit un sourire timide, gêné pourrait-on dire, faute de mieux. L'impression dérangeante de partager la table d'une inconnu qu'elle avait paradoxalement fréquenté si longtemps ne la quittait pas.

- T'es... très jolie. 

- Merci, lui répondit-elle du bout des lèvres, en un murmure à peine intelligible.

- Comment tu vas ? 

- Très bien, merci.

À quoi s'attendait-il ? Qu'elle se plaigne du trajet, lui racontes des anecdotes sur son quotidien, lui livre ses maux ? Elle avait pu changer, mais jamais suffisamment pour se transformer de la sorte. Si elle n'était plus la même elle ne se livrerait pas plus qu'à l'époque. Surtout pas après avoir été si éloignée du né-moldu.

- Et toi ?

Rarement avait-on eu de conversation si insipide. En soi ça ne la dérangeait pas tant, elle préférait l'ennui aux difficultés qu’engendrerait une discussion trop profonde. Elle s'était donc imposée la règle de ne pas évoquer Amanda, tout comme elle ne parlerait plus de leur rupture. Celle-ci avait déjà empoisonné leur précédente rencontre et une fois suffisait. Moins ils développeraient à son propos, mieux ce serait. En ce qui concernait la romancière son avis était différent. Elle voulait comprendre mais qu'importe, elle sacrifierait sa curiosité à sa quiétude.

- Alors, j'ai entendu dire que ton groupe commençait à marcher ? "

Ce n'était pas prendre de grande risque que de parler musique. Il en était passionné et ce qu'il pourrait lui livrer de sa nouvelle vie intéresserait tout autant la jeune femme. La nostalgie la saisit en pensant à ses répétitions, sa ténacité, la manière dont elle n'avait jamais cessé de le soutenir. Avant.

Ce sujet parut plaire à William et il leur permit de s'extraire de leur ébauche de conversation qui était restée jusqu'à présent plutôt embarrassante. Même un inconnu aurait su parler avec lui musique en toute fluidité.

" - Oui, oui c'est ça. On commence à plaire, à avoir quelques fans, à jouer dans quelques grandes salles. Enfin, plus grandes que la cave de Pete quoi. On va même faire un festival dans quelques mois, tu devrais venir. Et tu devrais passer quand on répète, tu manques aux gars. 

Un sourire nostalgique s'empara de son visage. Elle avait beaucoup apprécié les amis de William, surtout ceux appartenant à son groupe, mais ne les avait revu depuis qu'ils s'étaient séparés. Évidemment, ça aurait été malvenu. Lorsqu'elle en croisait dans Londres – ce qui, heureusement, restait rare – la situation était des plus incommodante. Leurs rapports n'avaient jamais été tendus et ils ne pouvaient se montrer désagréables sans avoir pour autant envie d'être cordiaux avec l'ancienne copine d'un de leurs proches. Elle-même ne savait pas comment se positionner et préférait éviter cet inconfort qu'elle fuyait au mieux. Une pensée orpheline se permit de s'interroge quant à la possibilité qu'Amanda les appréciait autant qu'elle l'avait fait.

- Ce serait sympa, ça fait … Longtemps.

Inspirant, elle baissa les yeux pour observer la table, baissant la voix. Les quelques mots qui suivirent lui échappèrent plus qu'elle ne décida de les prononcer.

- Trop longtemps.

Elle n'eut le temps de songer à la valeur de ce qu'elle venait de prononcer puisque la serveuse les interrompit pour leur donner les menus. Alors qu'elle entrouvrait le sien après l'avoir remerciée, son compagnon la surprit d'une réaction pour le moins spontanée.

- Piou ... On va finir au Chaudron Baveur si ça continue ...

Un rire léger échappa à la journaliste. D'autres auraient pu se vexer de la remarque du jeune homme, se sentant touchés dans leur ego, mais elle ne le prenait pas en considération. Tout ça l'amusait plus qu'autre chose.

- Tu le voudrais vraiment ?

Elle n'attendit pas qu'il se rétracte pour rassembler ses affaires et se lever souplement, l'incitant du regard à la suivre. S'aventurant jusqu'à la sortie, elle donna une excuse plus ou moins passable à l'employé se tenant devant les portes et entraîna le guitariste à l'extérieur. La douce chaleur de ce soir d’août les enveloppa tandis qu'ils marchaient dans la nuit qui timidement s'installait sur la ville.

- Alors, comme ça on fuit ? "

Pour combler le silence du trajet il faudrait bien parler, et Héra avait toujours taquiné ses proches ainsi. Elle s'était sentie trop mal à l'aise avec William pour s'y essayer à nouveau jusqu'à cet instant mais peu à peu elle se réaccoutumait à sa présence. Avec tout ce que ça impliquait.

William lui aussi s'embourbait dans cette boucle qui les avait longtemps bordés. Était-ce volontaire ou ne l'était-ce pas, elle n'en savait rien. Certaines questions devaient parfois demeurer stériles, et surtout, obscures.

" - C’est vous qui fuyez, mademoiselle. 

Avait-il vraiment tort ? Comme chaque chose, il n'était que question de point de vue. Leurs subjectivités respectives les empêchaient de véritablement répondre à la question. Aussi elle s'apprêta à le détromper – tout ça n'avait été que son idée – mais il l'en empêcha. Sa voix sonna avant celle de la jeune femme.

- Mais je suis ravie de le faire aussi, tant que c’est avec toi. 

Elle ébaucha un sourire amusé qui dissimula son étonnement. Cette précision surprenante lui faisait plus plaisir qu'elle ne l'aurait due et peut-être la comprenait-elle de travers en l'associant à ce qu'elle ne devait pas. Qu'ils fuient ensembles, mais pourrait-il s'évader encore jusqu'au matin. Leur quotidien les rattraperait et lui ravalerait ses mots.

- Alors, où allons nous ? Je te laisse choisir puisque tu es la capitaine de cette expédition.

- Décision compliquée. Laisse-moi y réfléchir.

Pour tout avouer, elle aurait pu déambuler des heures ainsi, marcher sans but dans les rues presque désertes de la capitale. Hors des murs elle se sentait libre, délivrée d'un poids qu'elle ne savait porter. Le sentiment de plénitude qui la veillait n'avait jamais était si puissant, ou alors elle l'oubliait. À l’intérieur elle craignait qu'il s'évapore.

- Et si on achetait juste à manger et qu'on restait dehors ? Si on s'est échappés, c'est pas pour se laisser enfermer ailleurs. "

Une justification comme une autre, pas des plus cohérentes, mais elle ne s'essayait pas à la crédibilité. Au contraire sous couvert de plaisanterie elle s'amusait des autres en évitant de s'expliquer réellement. Comme toujours. Certaines mauvaises habitudes ne se perdaient pas ... D'autant plus lorsque qu'elles étaient aussi pratiques. Héra avait rôdé ses techniques à la sueur du temps et refuserait de les abandonner de sitôt.