Du coin de l’œil, Mitsuhane observa brièvement son cousin qui serrait contre lui son jeune chien. De toute évidence, il tenait beaucoup à cette petite boule de poils au museau humide. Elle fut par ailleurs heureuse d’entendre que ce nouveau membre de sa famille était assez généreux pour sauver ainsi un pauvre malheureux abandonné. Ne se disait-il pas après tout que la grandeur du cœur d’un humain se mesurait avant tout à la façon dont il se comportait avec les autres espèces ? Sans doute le sorcier tenait-il cet altruisme et cet amour des chiens de leur grand-mère, mais préférant ne pas amener de sitôt le sujet de la famille, la japonaise se reconcentra sur le chiot. Iako. Quelle origine à ce prénom étrange ? La sorcière n’en voyait aucun, mais ses compétences linguistiques étaient trop peu étendues à goût. Un jour peut-être, elle pourrait se targuer de parler cinq ou six langues communément ; mais pour l’heure, il leur fallait manger. Félix ayant semblé aussi choqué que son compagnon à quatre pattes, tous deux avaient probablement besoin de se remettre de leurs émotions.
En se trouvant face à un stand de nourriture devant lequel les avait amené son cousin, Mitsuhane sentit un brusque élan de nostalgie la saisir face aux délices qui avaient bercé sa jeunesse. Elle avait plus que jamais le mal du pays. Sa tante était une excellente cuisinière, qui avait découvert avec surprise et fascination quelques-uns des plats sorciers japonais. Reine de l’improvisation, elle avait su inventer ses propres plats, aux goûts parfois… étonnants.

-Si on se sert ici, je te laisse choisir pour moi.

Ne connaissant rien sur Félix de ce qu’il pouvait ou non apprécier, la jeune femme décida de prendre une petite assiette mêlant quelques-uns des plats les plus classiques mais qu’elle affectionnait malgré tout. Echangeant en japonais quelques mots avec le vendeur heureux de croiser une compatriote, elle choisit ce qu’il y avait de plus aisé à manger ; récupérant l’assiette pleine contre une poignée de gallions, elle la tendit à l’anglais, se faisant un devoir de lui détailler ce qu’elle lui présentait :

-Tiens, goûtes donc. Ceci – elle désigna une boule ronde et fumante – est un Takoyaki, c’est fourré au poulpe. Ce morceau pané est du Karaage, du poulet frit avec des aromates. Ce chausson est un gyoza, de la pâte garnie de viande, et le riz avec l’algue est un onigiri. Cette espèce de petite crêpe-pancake est un okonomiyaki miniature  à l’huître . Ce sont des plats assez communs et traditionnels, que mangent aussi les moldus, mais tous délicieux !

Récupérant une deuxième assiette dans lesquels étaient disposés quelques autres morceaux de tailles, couleurs et odeurs variées, elle la présenta à son cousin avec une certaine fierté.

-Et voici des plats sorciers japonais ! Ceci est du concombre frit dans de la graisse de Nuppeppo, dont on dit qu’il apporte la jeunesse éternelle, ce qui est un mensonge éhonté, une rondelle grillée au wasabi de Nure-onna, un démon serpent et des pattes de Ushioni, un monstre des eaux. Et pour accompagner, une bouteille de Kura ! C’est un alcool à base de fleurs de cerisiers cueillis lors des pleines lunes, auquel est ajouté du gingembre frais ; grand-mère dit que celui qui en boit sera chanceux pendant sa journée. Je crois surtout, lui confia-t-elle avec un certain amusement, -que c’est l’alcool qui le rendra heureux.

Ce ne fut qu’une fois sa présentation achevée que la jeune femme se rendit compte de la quantité relativement élevée qu’elle avait prise. Il voulait simplement goûter, il avait à présent de quoi bien manger. Au moins pouvait-elle se consoler en songeant qu’il n’y avait pas de pics assassins dans ces plats.

-J’espère que tu as faim. Désolée, j’ai peut-être vu trop grand…