-C’est lui qui en a la plus grosse. Ah, si tu ne me crois pas, tu n’as qu’à aller vérifier…

-Bien sûr, je vais gentiment sonner à la porte et lui demander de me la montrer.

Trystan secoua la tête, mi-agacé mi-amusé par les provocations de son ami. Quand bien même celui-ci disait vrai, et que les Landre avaient donc la plus importante collection d’objets de magie noire des alentours, il n’avait absolument aucune envie de croiser le propriétaire. D’un autre côté, il ne pouvait nier que l’idée le tentait, de découvrir ces trésors mystérieux…

-Tu sais où il les garde ? A tout hasard, bien sûr.

L’air faussement détaché, il mâchonna la brindille dont il avait plus tôt ôté les feuilles une à une, ignorant le sourire moqueur de son comparse.

-Bien sûr. Non j’sais pas, t’as qu’à visiter et tu me diras. Si tu reviens.

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Il était donc allé « visiter ». Il n’avait absolument pas prévu de voler quoi que ce soit – quoi que… sur ce point, ca pouvait se discuter – mais était bien décidé à aller contempler et découvrir les merveilles de l’art obscur qui se dissimulaient dans l’immense demeure des Landre. Il n’était toutefois pas complètement fou ; non seulement il y allait de nuit, mais avait également essayé de savoir s’il y avait quelques bêtes dangereuses pouvant garder la propriété. A priori, la réponse était négative, ce qui n’était pas forcément pour le rassurer : cela signifiait qu’ils ne s’inquiétaient pas beaucoup des possibles intrusions. Et donc, qu’il y avait quelque chose de potentiellement louche. Sortilèges mortels ? Impossibilité de repartir ? Il n’avait absolument pas l’intention d’être transformé en courgette, citrouille, ou autre cucurbitacée pour une curiosité mal placée. Mais ses sortilèges de détection n’avaient rien repéré de spécial lorsqu’il était entrée en contact avec la limite du domaine et il avait donc pénétré celui-ci avec une certaine autosatisfaction. Ne lui restait plus qu’à… trouver la maison elle-même. Ainsi qu’une entrée.
Laissant derrière lui les clôtures incroyablement inefficaces, Trystan s’en alla mener son enquête, finissant bouche-bé en comprenant que l’ombre immense qui le surplombait était en réalité la bâtisse qu’il cherchait. Le nez en l’air, il tenta vainement de chercher du regard les entrées mais la lune s’était faite discrète ce soir-là : à peine voyait-il où il marchait. Il ne pouvait se le reprocher puisque c’était précisément pour cette raison qu’il avait choisi cette nuit-ci. Peut-être aurait-il dû s’abstenir, songea-t-il quelques minutes plus tard, émergeantes à demi trempé de la piscine dans laquelle il glissé. Une plus mûre réflexion aurait d’ailleurs pu être nécessaire dès le début… mais on ne vivait qu’une fois, alors quitte à devoir mourir un jour, autant qu’ils voient ces damnés objets, et ce ne serait pas une flaque d’eau géante qui le ferait renoncer.
Un sort rapide lui fit sécher ses vêtements et reprit son chemin, remerciant silencieusement les maîtres des lieux pour l’entretien impeccable de la pelouse, éternuant moins silencieusement en sentant le frisson du vent, jusqu’à ce qu’enfin, une fenêtre assez grande pour qu’il puisse s’y glisser apparaisse.
La déverrouiller ne fut pas le plus ardu. Trouver la fameuse cache, en revanche, s’avérait être autrement plus complexe. Errant comme une âme en peine de pièce en pièce, le gallois constata que la décoration laissait à désirer – beaucoup trop chargée, et qui avait eu l’idée d’acheter cet affreux tapis ? – qu’il y avait probablement la place pour loger une famille de trolls et que la famille avait probablement assez d’argent pour racheter l’ensemble des stocks de sang de licorne d’Angleterre. Mais du fameux butin, il n’y avait goutte. Il avait bien murmuré quelques accio ou revelio en espérant découvrir une cache secrète, en vain. Aussi se décida à monter d’un étage, estimant que quitte à être venu jusqu’ici, autant finir. La seule chose qu’il n’avait pas prévu, c’était qu’alors qu’il marchait le long d’un couloir en admirant les quelques tableaux et autres objets qui l’ornaient, une silhouette se dessine à contre-jour dans l’encadrement d’une porte tout juste ouverte.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

Ah, d’accord, c’était comme ça, ils en étaient déjà au tutoiement ? Soit, parfait, très bien. Statique devant la jeune femme qui lui faisait face, il se souvint l’avoir déjà croisé quelques fois pendant ses étés en Italie, mais pas seulement. Il était certain qu’elle était également à Poudlard.

-Je me suis perdu. Et toi ?

Non, c’était parfaitement idiot. Pas qu’il se soit perdu – quoi que – puisque c’était vrai, mais plutôt qu’il lui demande ce qu’elle faisait. C’était la fille Landre, il en était – presque – certain, elle était donc chez elle.

-Pardon, je ne t’ai pas réveillée j’espère.

Il eut une moue désolée et ouvrit de grands yeux innocents. La fille en face de lui ne semblait absolument pas intimidée par lui, mais avec un peu de chance, elle aurait au moins le bon goût de ne pas réveiller toute la maisonnée.

Sale caractère, cette sorcière. Mais d'où lui venait donc son agressivité ? Certes, Trystan s’était légèrement invité chez elle en pleine nuit, à l'improviste, mais de là à se montrer aussi hargneuse... Dommage pour elle que son pyjama bon chic bon genre ne gâche quelque peu la menace de son attitude, lui donnant l’air d’une gamine outrée drapée dans l’arrogance familiale.

- Les gens tirés de leur sommeil sont souvent plus hargn… commença-t-il sur le ton de la confidence, avant de s’arrêter face à ses yeux incendiaires : désolé, désolé, je t’explique ! Soit, je suis venue par simple curiosité.

Il était inutile de mentir, comme l'autre l'avait si bien dit, non seulement parce qu'il n’était pas idiot au point de ne pas savoir que des deux, c’était elle en position de force, ensuite parce qu’elle ne pourrait théoriquement pas lui reprocher de s’intéresser de près à un domaine dans lequel était si profondément plongée sa propre famille.

- Non, vraiment. On dit que votre famille possède l'une des plus grandes demeures des alentours et a de nombreux artefacts exceptionnels. J’espérais donc avoir l'occasion d'en apprendre davantage dessus, on va dire que la magie noire, ce n’est pas toujours le plus accessible quand on ne connait pas trop les bons plans. Malheureusement, j’ai eu quelques doutes sur le fait que sonner pour demander à visiter me permette de parvenir au bon résultat – sans compter que ses propres géniteurs n’apprécieraient pas beaucoup de le savoir intéressé par de telles études, mais cela, il préféra le taire – aussi me suis-je dit que… et bien, je serai mieux servi par moi-même. Pas forcément la meilleure idée qui soit, c’est vrai, surtout que je ne les ai finalement pas vu…

Le gallois haussa les épaules, se doutant qu’elle avait très bien compris qu’il s’était égaré dans les étages, errant d’une pièce à l’autre victime de ce qui pouvait s’avérer plus mortel que n’importe quel maléfice : une curiosité doublée d’une imprudente insouciance. Celles-là même qui, plutôt que se méfier du visage dur qui lui était opposé, le laissait trainer ses yeux vers la porte ouverte derrière la demoiselle au fin minois. La lumière et l’angle de vue étaient tous deux trop mauvais pour qu’il n’y découvre grand-chose, toutefois l’endroit semblait être de toute beauté, comme le reste des pièces de la demeure.

- Sérieusement, tu ne t’ennuies jamais dans cette maison immense ? Et, du coup, si ce n’est pas indiscret, qu’est-ce qui m’attends précisément ?

Il aurait dû avoir peur, peut-être. Ce n’était pourtant pas dans son caractère, aussi passait-il d’une réflexion à une autre sans beaucoup y prêter attention. Il n’était qu’un adolescent dont la courte vie avait été pour la plus grande partie que félicité, aussi ignorait-il quand il devait faire profil bas, aussi pensait-il que les malheurs n’arrivaient qu’aux autres. Et puis, quelle raison aurait cette voisine revêche de le torturer ? Était-elle en vérité une psychopathe adepte de sang et de la douleur d'autrui, qui n'aspirait qu'à attirer dans ses griffes quiconque aurait le malheur de trop s'approcher de son repère ? Une affreuse sorcière, comme Trystan avait pu les voir représentées dans quelques livres d’illuminés de moldus ?

Cette princesse prisonnière de la massive demeure semblait tout autant ennuyeuse qu’arrogante. Ne souriait-elle jamais ? Ne riait-elle jamais ? Elle était jeune encore pourtant, n’avait-elle jamais appris à s’amuser tant qu’elle le pouvait, jamais eu envie de franchir les barrières que son nom avait probablement contribué à construire autour d’elle ? Incompréhensible. A quoi servait-il de vivre si c’était pour ne pas profiter de chaque instant passant ? Quelle différence avait-elle avec un soldat de pierre animé ? Gemma, prénom si bien trouvé pour la belle au cœur froid… Certains, certaines, aimaient cette distance, la trouvant noble et séduisante. Ce n’était guère le cas de Trystan. Ce comportement et cette arrogance l’agaçaient plus qu’ils ne l’impressionnaient, lui donnant tout à la fois la furieuse envie de taquiner pour se frotter aux dangereuses limites et d’envoyer promener la froide demoiselle. Car s’il était bien en tort – encore que, c’était bien la faute de la famille Landre si chacun pouvait entrer à sa guise dans leur demeure – ce n’était pour autant pas une raison pour l’autre de le prendre ainsi de haut. Mais qu’attendre de plus d’une adolescente en pyjama de soie ?

-Ah, il y a donc foule de coincée ici ? On pourra toujours se faire un barbecue alors…

Lui décochant un rictus plaisantin, il n’en jeta pas moins un regard autour de lui, perturbé à l’idée d’être entouré d’êtres qu’il ne pouvait voir. Gemma n’avait en aucune façon précisé sous forme les autres étaient présents, ni comment ils étaient empêchés de repartir… Etrangement, il se sentait à présent surveillé, alors même que tout cela n’était peut-être que d’honteux mensonges destinés à l’effrayer.

-A se demander, marmonna-t-il pour lui-même, qui des intrus ou des geôliers sont les plus malsains…

Quoi que, pas besoin de s’interroger longtemps, instinctivement il estimait qu’il s’agissait des seconds. Sa mère était venue en Italie fuir la folie de la guerre, la soif de sang des soutiens à Lord Voldemort, le pire de l’être qui s’éveillait en nombre de concitoyens en ces temps troubles. Tout cela pour quoi, tomber chez des psychopathes qui s’amusaient à retenir contre leur gré – tout à fait illégalement, il en était certain – tous ceux ayant le malheur de leur déplaire ? Riches ou non, puissants ou pas, ils étaient vraiment tordus.

-Trop nonchalant ? Et comment voulais-tu que je vienne, en tenue de soirée et orchestre pour m’accompagner ? Ton trésor, je voulais le voir parce que je m’intéresse à ce domaine mais que mes études le concernant ont fait face à quelques, euh, restrictions de matériel disons. Un certain nombre d’objets particuliers sont quasiment introuvables et le peu que je sais d’eux provient de bouquins. Alors oui, je me suis dit que tant qu’à être provisoirement dans le voisinage d’une famille comme la vôtre qui possède une belle collection, c’était l’occasion ou jamais d’en apprendre plus. Si t’as peur que je te les vole, t’as qu’à me fouiller, je n’ai rien pour les emporter. Cela dit, si tu crois que ça veut dire que je suis prêt à mourir pour les voir, c’est stupide. Sans offense, hein. Mais je ne vois pas l’intérêt d’y laisser la vie pour la connaissance : après tout en mourant, on se prive de bien plus nombreux autres savoirs qu’on pourrait accumuler pendant notre vie.

Sans compter tous les autres plaisirs, mais il avait de sérieux doutes sur le fait qu’elle ne puisse jamais éprouver une quelconque émotion positive en faisant autre chose qu’étudier. La prochaine fois, il lui ramènerait un gâteau de sa grand-mère, juste pour le test : nul ne pouvait leur résister, la carapace de la donzelle finirait peut-être alors par se fissurer ?

D’accord. Cette fille ne niait pas le moins du monde que sa famille était totalement folle, et pire, elle semblait confirmer que c’était le cas. Rapidement, Trystan tenta de passer en mémoire ce qu’il savait de la famille Landre mais ce fut court : il n’en savait pratiquement rien. Ils étaient riches, assez connus dans les alentours – et peut-être plus loin, il n’en savait rien – et il lui semblait avoir déjà entendu quelques rumeurs sur la donzelle à l’école. Pour ce qu’il en savait, elle était plutôt solitaire et on la disait hargneuse autant que rancunière… Il n’avait guère de peine à croire ces rumeurs de couloir. Certains auraient pu, peut-être, l’admirer, d’autres prendre en pitié son isolement. D’aucuns auraient même cherché à simplement s’intéresser un peu à sa vie et à la comprendre. Mais le gallois n’avait absolument aucune envie de s’interroger sur ce qu’il considérait comme une pimbêche arrogante et un peu trop obsédée par l’idée de tuer les autres qui lui faisait face. Aussi soupira-t-il, sincèrement agacé et abdiquant devant son obsession à vouloir tout sacrifier pour quelque chose d’aussi abstrait que la connaissance. Sincèrement, qui donc serait assez fou pour se sacrifier dans le seul but d’apprendre quelque chose que la Mort passant rendrait bien vite inutile, tandis que vivre permettrait de mettre à profit tout ce savoir ?

-Et bien écoute, vas-y, tue-moi au lieu de nous faire perdre notre temps à tous les deux.

Et là, il faisait quoi ? Il partait en courant ? Tentait de l’assommer ? Hurlait ? Elle avait quand même l’air assez sérieux, cette psychopathe. Bluff ou pas bluff ? D’apparence sereine et gardant une attitude bravache, le jeune homme sentait malgré le stress commencer à monter en lui, lentement. Quelle poisse d’être tombé sur Gemma pendant son escapade ! Mais non, elle ne pourrait rien lui faire. Elle n’avait absolument aucune raison d’être aussi agressive. Une petite intrusion de rien du tout, ça ne valait quand même pas la mort. Et il était pratiquement certain qu’elle exagérait. Cela dit, il dirait deux mots à l’idiot qui lui avait conseillé de finir ici. Un peu plus, même… Il l’attacherait volontiers par les pieds à un sombral au galop dans une forêt.

- Ce qui est d’ailleurs étrange, c’est que tu ne saches pas à quel point ton escapade est dangereuse. Nul italien ne l’ignorerait.

Bon, il n’était toujours pas mort, et son interlocutrice parlait toujours. C’était a priori plutôt bon signe, donc. Voilà, il le savait, la fille Landre n’était que pure provocation.

-Peut-être que je le sais mais que je suis quand même venu. Ou peut-être que je ne suis juste pas italien et que mes informateurs ont mal fait leur travail.

Elle croyait quoi, que tout le monde devait tout savoir sur elle et les siens ? Que la Terre tournait autour d’eux ? Et puis quand bien même ils étaient connus, ce n’était quand même pas au point que toute l’Italie sachent qui ils étaient… si ?

Elle avait une façon d'énoncer des évidences assez déroutantes. Il était là, oui, c'était certain, sans quoi ils n'auraient pas cette conversation stérile. Donc elle faisait des menaces en l'air pour finalement se contenter de balancer des inutilités, bravo, effrayant ça ! Franchement, cette maison, c'était un sketch ! A l'avenir, il y réfléchirait à deux fois avant de se lancer de nouveau dans pareille aventure ; enfin, pour les quelques semaines prochaine, après quoi il recommencerait sans aucun doute allègrement si cela pouvait lui permettre de dénicher quelques trésors. Il en avait marre, maintenant, de rester debout à parler avec une aristocrate en pyjama de soie. Il aurait aimé pouvoir lui faire peur et l'obliger à le conduire rapidement dehors. Mais très sincèrement, il était pratiquement certain qu'il ne l'intimiderait pas du tout. Peut-être qu'elle s'ennuyait juste et avait développé pour passion d'embêter quiconque aurait le malheur de l'approcher ? Ce qui expliquerait pourquoi ses vagues souvenirs d'elle la montrait isolée. Franchement, qui avait envie d’être son jouet passe-temps de cette princesse exigeante ? Personne. En réalité, il n'en savait absolument rien mais bon. Elle l'ennuyait, avec ses questions et ses grands airs. Et c'était parti pour quelques unes de plus... Il se retint de lui répondre n'importe quoi juste pour la voir s'agacer encore mais ne pouvant s’empêcher de faire l'idiot (quoi qu'il n'ait jamais qualifié son propre comportement ainsi) ; aussi lui répondit-il en prenant un air faussement affligé, à la manière des grands dramaturges :

-"Mon esprit est troublé, et j'ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais"*.

Là, elle allait encore prendre ses grands airs agacés, c'était sûr... Mais bon, c'était assez amusant aussi, finalement. Et puis elle était pénible, à être aussi sérieuse ! Un peu de rire, de légèreté ! Savoir se détendre, c’était important, primordial même ! Il soupira finalement avant de reprendre plus sérieusement, estimant préférable de le faire puisque Gemma ne le lâcherait probablement pas si facilement.

-On était à Poudlard ensemble. Ça ne sert à rien que je te dise qui je suis tu ne me connais pas, mais bon... je m'appelle Trystan, je viens du pays de Galles, pour ne pas te servir ! Il médita la chose une seconde avant de compléter : enfin, dernièrement j'étais plutôt à Londres par la force des choses. Je suis arrivé avec ma mère il n'y a pas longtemps. Ça t'avance beaucoup ?

*Molière, L'Avare, IV, 3 et IV, 5

Ouha, elle était flippante. Qu'est-ce qu'elle avait, contre le théâtre ? Ou contre Molière ? Trystan le préférait à Shakespeare, un autre grand dramaturge moldu auquel le français était souvent comparé en terme de qualité : il l’estimait plus léger, plus accessible, mais tout aussi profond en s'y intéressant d'un peu plus près. En la voyant s'approcher avec sa bougie, il se retint de reculer : il n'allait quand même pas prendre peur d'une aristocrate armée d'un bougeoir, non ? Il se contenta donc de marmonner un "ben... oui" méfiant, ne sachant si elle approuvait sa citation ou s'il devait considérer l'avoir sérieusement fâchée. En l'entendant, il comprit néanmoins un peu mieux. Citer un artiste non-sorcier, dans une famille de sorciers au sang-pur, c’était un peu comme... bah il ne savait pas avec quoi le comparer, mais cela était très mal vu. Bon, pas pour tous, mais l'histoire de sa mère aurait dû le lui rappeler : les grandes maisonnées italiennes appréciaient peu que leur sang soit souillé en se mêlant à des non sang-purs. Pourtant, Gemma ne semblait plus vraiment agacée et s’était même quelque peu départie de ses grands airs. Elle paraissait cependant n’avoir rien à faire de la réponse à sa propre interrogation, restée bloquée sur la citation théâtrale. Peut-être adorait-elle, finalement ? C’était à n’y rien comprendre, et Trystan n’avait pas envie de se creuser la tête pour cette fille qui semblait avoir de sérieux problèmes et était incapable d'exprimer clairement ses emotions.

- Comment est-ce que tu connais ?

Quoi, c’était tout ce qui l’intéressait ? Quelle question idiote, il avait ouvert un livre intitulé « L’Avare » et voilà. Elle le prenait vraiment pour un idiot incapable de savoir lire ou quoi ? Mais ce n’était pas ce qu’elle voulait savoir et lui avait très bien compris sa question, inutile de prétendre le contraire. Si tous les sorciers n’étaient pas connaisseurs de théâtre, ils étaient encore moins nombreux à s’intéresser à sa dimension non-magique. Elle semblait un peu radoucie et ne voyant aucun intérêt à ne pas lui répondre sincèrement – de toute façon, au point où il en était, qu’importait, même s’il se trompait sur son attitude et qu’en vérité elle était furieuse – il haussa les épaules, légèrement sur la défensive :

- Et pourquoi je ne connaitrais pas ? Mon père est précepteur. Bon, il a un peu craqué depuis, mais il n’avait rien contre les moldus à la base et avait plusieurs de leurs œuvres dans sa bibliothèque. J’aime bien le théâtre et des auteurs que j’ai pu voir, Molière en est sans doute le plus drôle.

L’Avare n’était pas sa pièce préférée mais cela n’avait pas empêché le petit garçon qu’il avait été de s’essayer à quelques représentations avec pour seul public ses jouets animés. Depuis, il avait eu l’occasion de lire plusieurs fois l’ouvrage comme nombreux d’autres, leur préférant aux rébarbatifs exercices scolaires. En regardant la jeune femme devant lui, il se fit la réflexion que sa vie devait vraiment être ennuyeuse si elle ne pouvait pas même lire ce qu’elle avait envie.

-Bon, t’as fini ? Qu’est-ce que tu veux, que je te passe une de ses pièces ? Enfin si tu me laisses sortir d'ici un jour, évidemment. J’ai ramené Les fourberies de Scapin avec moi.

Enfin, avec lui en Italie, pas sur lui, évidemment. Sa mère apprécierait peu si elle l’apprenait, mais tant pis. En songeant à toutes ses affaires restées au Pays de Galles, il soupira intérieurement avant de s’auto-motiver : il comptait bien les récupérer à son retour, parce qu'il n'allait pas passer le restant de ses jours en Italie, et encore moins dans ce foutu couloir aux tableaux bizarres et aux courants d'air froids. Très franchement, il y avait meilleure perspective d'avenir que de faire du trafic de livres de moldus pour Gemma.