Vous pouvez pas savoir à quel point j'ai été heureux quand j'ai découvert quelle forme prendrait mon Animagus. Je pensais que ça serait un rhinocéros, comme mon Patronus, alors imaginez la surprise. Et une sacrée bonne surprise. Voler, quoi. Sans balai, ni rien. Juste déployer ses ailes. Un rêve. Bon d'accord, comme menace on peut imaginer mieux qu'une petite tourterelle. Mais au moins, la taille de ma forme animale me permet de passer inaperçu la plupart du temps. Oh, et est-ce que je vous ai déjà dit que je peux voler? Ça fait bien cinq ou six ans, et je m'en remets toujours pas.

Depuis plusieurs mois déjà, je rêve de laisser l'Allée des Embrumes, Londres et tout le reste pour aller voler en pleine nature. J'ai fait quelques tentatives cet hiver mais j'ai vite renoncé. Le froid, la pluie, la neige - non mais, la neige... - autant de facteurs que je trouvais pas très propice à l'envolée d'un oiseau. Surtout pour une espèce dont l'habitat naturel recouvre exclusivement le sud de l'Afrique. Mais ces derniers jours, le temps est plus clément, presque agréable, et aujourd'hui, j'ai sauté sur l'occasion.

Même si je l'admettrai jamais à voix haute, je dois bien le reconnaître, la campagne anglaise est belle. Tout ce vert tendre, j'y aurais jamais vraiment cru avant de le voir en vrai. C'est l'aube; tout s'éveille, et je volette de droite à gauche pour ne pas en perdre une miette. Dans un bruissement d'aile, je me pose enfin sur la branche d'un chêne. Je suis un peu rouillé. Ça fait un bail que je n'ai pas volé si longtemps. Pas grave, je me sens bien, je me surprends même à gazouiller de concert avec les autres oiseaux. Mais soudain, voilà que je suis le seul à pépier. La chorale des petits volatiles s'est brusquement interrompue, et un instinct qui n'est pas vraiment le mien m'intime de prendre mes ailes à mon cou. Surpris, je cherche à comprendre quelle est la cause de ce changement subit que je ressens jusqu'au bout de mes plumes. Et là je le vois.

Un loup. Un loup blanc. Qui s'est avancé près de l'arbre où je me tiens avec la discrétion qui caractérise ces prédateurs. Ses yeux mordorés sont fixés sur moi. Je ne me sens pas en danger, jamais il ne pourra sauter jusqu'à cette hauteur, et je pourrai m'envoler sans problème de toutes façons. Alors je reste, et à mon tour, je le regarde. C'est bizarre. Déjà de voir un loup blanc dans cette forêt de Grande-Bretagne. Et puis le fait qu'il n'a pas l'air de se comporter comme un chasseur. Peut-être qu'il s'est échappé d'un zoo? Je suis tellement fasciné par cette "rencontre" que mon sens de la prudence s'évanouit. Je veux m'approcher.

Je m'envole de la branche pour me poser à quelques mètres, dans l'herbe, prêt à prendre la poudre d'escampette au moindre mouvement du loup. Et je reprends ma forme humaine. Je me redresse en douceur, soucieux de ne pas paraître agressif.

- Eh ben, qu'est-ce que tu fais là toi?

- Eh ben, qu'est-ce que tu fais là toi?

Soyons clairs, j'attends pas vraiment de réponse. C'est juste que j'aime parler aux bêtes. N'importe lesquelles. Peut-être que c'est à elles que je raconte le plus de choses finalement. Un vieil ami m'a dit un jour que c'était plus sensé de parler aux animaux qu'aux humains, qu'on ne se comprenait pas, mais qu'au moins, on savait pourquoi.

Je suis à des kilomètres de me douter que je ne me suis pas adressé à un véritable loup. Et je me raidis quand je vois la fourrure du canidé frissonner et se déformer. En quelques secondes, le loup se métamorphose en jeune fille. Une autre Animagus.

- Je pourrrrais te rrretourrner la question.

Quelles sont les probabilités d'une telle rencontre, je me le demande. Deux Animagus en balade dans une forêt anglaise et qui se retrouvent nez-à-nez... Franchement pas banal. Ça ne m'empêche pas d'être furieux contre moi. J'ai aucune envie qu'on sache que je dispose de telles facultés et depuis que je suis parti d'Afrique, j'ai tout fait pour garder cette spécificité secrète. Mais j'aurais du le voir. J'aurais du le sentir. Si Amanirenas, ma Maîtresse en Auto-Métamophose avait été là, elle m'aurait passé un sacré savon. Je suis sensé reconnaître les signes de ce sortilège. Quel crétin je suis d'avoir relâché ma vigilance...

La Sorcière n'a pas l'air troublée elle, plutôt amusée. Je la considère attentivement, elle n'a pas l'air anglaise. À part ceux de Céleste, j'ai rarement vu des cheveux aussi clairs. Vu son accent, elle n'a pas l'air originaire d'Angleterre. Embarrassé, je souris avec crispation. Je sais que ça n'est pas sa faute, mais je suis pas exactement ravi qu'elle m'ait vu sous ma forme animale.

- Ah ouais... Un loup blanc... Je me disais aussi que c'était bizarre d'en croiser par ici. Même un loup tout court, en fait.

Je pousse un soupir et enfonce les mains dans mes poches. Bon, autant faire contre mauvaise fortune bon cœur. Surtout qu'elle a pas l'air méchante la fille-louve.

- Pas mal comme forme! Au moins quand tu te balades, tu dois pas trop t'inquiéter des mauvaises rencontres. Une idée soudaine me traverse l'esprit et j'éclate de rire. En fait, t'aurais carrément pu me bouffer!

- Tu as eu de la chance de tomber surr moi, déclara-t-elle en riant à son tour. Un vérrritable loup n'aurrrait pas crraché sur une tourrrterrrelle qui avançait drrroit dans sa gueule...

- T'avais pas vraiment l'air d'être en chasse, pour tout te dire. Et puis je pense que j'aurais eu le temps de m'envoler. Peut-être.

J'ai toujours aimé mon côté tête brûlée, je crois que je saurais pas comment faire autrement. J'adore jouer avec le feu, ça me fait sentir vivant. Mais il y a quand même une petite voix dans ma tête qui me dit depuis quelques temps que ça finira bien par me jouer des tours. Comme par exemple révéler mon Animagie à une parfaite étrangère.

- Au fait, reprit-elle avec un sourire, je m'appelle Astrrrid. Et toi ?

Olalala. La voilà qui veut faire connaissance. En d'autres circonstances, j'aurais pas dit non. Mais là...

- Astrrrid? reprends-je en imitant son accent. C'est joli ça. Tu viens d'où? Du Danemark?

Je m'assied dos à l'arbre sur lequel j'étais perché quelques instants plus tôt, et je sors quelques biscuits de mes poches. Même pas émiettés. Vive les sortilèges d'extension! Je croque dans un des petits sablés à la cannelle et mon estomac gronde de satisfaction. J'en tends un à la jolie blonde.

- T'en veux? Ils sont tops. C'est une de mes amies qui les fait.

Le soleil crée des flaques de lumière sur le sol. Tout est paisible et mes narines se remplissent de l'odeur délicieuse du sous-bois. Je tourne mon visage vers la Sorcière et je lui demande, curieux.

- Et ça fait combien de temps que tu es Animagus? T'as appris ça où?

Le sujet m'intéresse particulièrement. Je me demande quelle est l'approche européenne de cette discipline, et puis ça me permet de détourner la conversation de ma personne, ce qui n'est pas plus mal.

- Pas tout à fait, je viens de Norrrrvèjj.

Ouah ! La Norvège ! J'ai pas encore eu l'occasion de voyager dans ce coin de l'Europe. Peut-être un jour. Il paraît qu'on y voit des paysages magnifiques ! Par contre, je fais mentalement la liste de tout l'équipement contre le froid dont il faudrait que je me munisse si j'ai un jour envie d'aller rouler ma bosse là-bas... Déjà que l'hiver anglais me met à rude épreuve...

S'asseyant en face de moi, Astrid refuse poliment le gâteau que je lui tends. Elle ne sait pas ce qu'elle rate, je pense en croquant dedans avec appétit. Les pâtisseries d' @Adélia Flores sont un pur régal. Et j'ai du batailler pour qu'elle me fasse don de sa dernière fournée. Bon, en vrai, j'ai pas lutté longtemps. Flor adore nourrir ses amis. Elle bougonne quand je mendie quelques gâteaux, mais c'est pour la forme et, de mon côté, j'en fais des caisses aussi. C'est un genre de jeu entre nous.

Quand je l'interroge sur son introduction à l'Animagie, la Norvégienne me répond :

- C'était à Durrrmstrang, il y a moins d'une dizaine d'années.

Ah ben oui, évidemment ! Si elle est originaire du Nord, elle a forcément étudié à Durmstrang. Même si la métamorphose, c'est pas vraiment ça qui fait la réputation de cette école. Une sale image qu'ils ont d'ailleurs. Magie noire et brutalité à ce qu'on m'a dit. Et de ce que je peux lire dans les yeux de la blonde, elle a pas du y passer que des moments sympas.

- Je n'aimais pas tellement les prrratiques qu'ils enseignaient là-bas et j'ai vite prrris l'habitude de sorrtirrr prrrendre l'airrr. Peut-êtrre que tu vois de quoi je parrrle.

- Mmm, j'acquiesce, la bouche pleine du délicieux sablé d'Addie.

En vrai, je vois sans voir. Personnellement, mes années à Uagadou étaient probablement les meilleures de ma vie. Quand on séchait, c'était plus pour faire des conneries entre copains que pour s'échapper des cours. Et puis, techniquement, on était souvent en plein air.

- Le courrrs que je préférrrais c'était bien la métamorrrphôz.

- Hey ! Moi aussi !, je m'exclame, enthousiaste. Enfin... je crois que je préférais les Créatures magiques, mais... l'Auto-métamorphose, c'est bien le truc dans lequel j'étais le plus doué !

- Av Freyja ! s'écria-t-elle. J'ai oublié ma baguette... Moi qui voulais te fairrr une démonstrrration...

Une démonstration ? Arf, dommage qu'elle ait besoin de baguette pour ça. J'aurais bien aimé voir l'approche "nordique " de la métamorphose. On part souvent du principe que les sorts sont communs à toutes les communautés magiques et, la plupart du temps, ça n'est pas faux, mais... Les traditions diffèrent et ça se ressent fortement dans les diverses pratiques je trouve. Si j'avais l'âme d'un intellectuel, peut-être que j'en aurais fait un objet d'étude. Mais rien que de me figurer penché des jours entiers au-dessus de parchemins poussiéreux me donne des frissons. J'aurais jamais la patience.

- Attends, je sais pas si je saurais encore faire, mais moi, je peux peut-être te montrer un truc !

Je frotte mes mains pour me débarrasser des miettes qui s'y sont collées et je me redresse. Ça fait un moment que je n'ai pas essayé de refaire ce "tour". Je me concentre un bref instant, frottant la pulpe de mes doigts contre mes paumes, dans un dessin rapide et précis avant de les placer devant moi.

- Draconifors , dis-je en dirigeant le flux d'énergie contenu dans ma main droite vers une souche à quelques pas de nous.

Et simultanément, alors que le bout de boit se métamorphose prenant la forme d'un Magnar à queue version taille réduite, je relâche l'énergie habitant ma main gauche en murmurant :

- Flambios.

Un jet de flamme se dessine alors dans l'air, traçant des volutes rouges et brûlantes autour du petit dragon qui se dresse sur ses pattes arrière pour rugir de contentement. Enfin, plus un feulement qu'un véritable cri draconique, mais ça suffit à me faire rire.

Je suis pas si rouillé finalement. Pouvoir jeter des sorts de ses deux mains, ça c'est un truc que j'avais toujours voulu apprendre, dès que j'avais vu Maîtresse Amanirenas utiliser cette technique. Mais j'ai pu maîtriser ça qu'en toute dernière année et j'aurais pu me perfectionner si j'étais allé jusqu'au L.I.O.N. ...

- C'est magnifique ! Je ne connaissais pas ce type de magie, sans baguette, c'est imprrressionnant. Tu es vrrraiment doué ! Combien de temps ça t'as prrris pourrr savoirr fairr ça ?

Ravi - un peu fier de moi aussi - je me tourne vers elle et lui adresse un sourire radieux.

- Oh, tu sais, d'où je viens c'est vraiment commun ! À Uagadou, c'est comme ça qu'on apprend à maîtriser la magie. Les baguettes, c'est un truc d'Occidentaux. Après, pouvoir diriger le flux de sa magie dans ses deux mains... C'est plus... complexe. Pensif, je lève le nez vers le ciel avant de poursuivre. Donc, pour répondre à ta question... Il m'a fallu six ans pour apprendre à faire ça.

Tout en m'écoutant, la fille-louve se penche vers le dragon en format miniature et étend sa main vers lui avant de la retirer brusquement, quelques gouttes de sang perlant à son doigt. Ouch ! Une morsure... La demi-portion draconique semble aussi agressive que les versions originelles...

- Eh bien ! Ne compte pas surrr moi pourr le prrendre dans la main celui-là, grommela-t-elle avant d'éclater de rire.

Intrigué, je l'observe quelques instants. C'est fou, du peu que j'ai pu en voir, rien ne semble entacher la bonne humeur qui habite cette fille. Contaminé par son hilarité, je finis par me marrer avec elle.

- T'inquiète, il a pas vocation à rester de toutes façons...

Et d'un souple mouvement du poignet, je mets fin au sortilège de métamorphose, et le petit dragon reprend sa forme initiale, celle d'une souche inoffensive. Qui du dragon ou de la souche était là en premier d'ailleurs ? Si tout peut se métamorphoser à l'envie, qui peut dire de quelle essence véritable est constituée chaque chose ? Autant de questions qui pourraient me donner le tournis si je décidais de perdre mon temps à y répondre. Mais je laisse ça aux philosophes Sorciers. Moi, tout de suite, j'ai d'autres chats à fouetter.

J'avale le dernier gâteau d'Addie et me relève en époussetant les miettes tombées sur mon pantalon. Je me tourne vers la Norvégienne et, bien campé sur mes deux jambes, je plante mon regard dans le sien. Pendant de longues secondes, dans l'atmosphère paisible du sous-bois, je la jauge. Puis je me décide.

- Moi, c'est Sam. Mais faut que je te dise..., ma voix se fait plus grave à mesure que je parle, en Angleterre, y a personne qui sait que je suis Animagus. Personne, à part toi, du coup. Et, j'ai rien contre toi Astrid, mais pour moi, ça fait presque une personne de trop. Donc... Faut que ça reste entre nous.

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