Ses longues jupes colorées tourbillonnant autour d’elle, accompagnées par les tintements des fausses pièces accrochées à la ceinture ornant sa taille, Ivona observait d’un œil attentif – quoi que faussement nonchalant – les quelques passants du jour. Derrière elle, les pans de sa tente voltigeaient au gré du vent en une muette invitation que personne ne semblait désireux de relever. Mais s’il n’y avait personne pour s’arrêter à son stand, il n’y en avait guère plus pour l’intéresser vraiment. Certes, Ivona ne dédaignait jamais de pouvoir gagner un peu d’argent contre ses prédictions – pas toujours vrai, il fallait l’avouer, mais était-elle vraiment responsable de ce qu’elle voyait, ou plutôt ne voyait pas ? – néanmoins elle appréciait de pouvoir faire face à des volontaires dont le futur l’avait interpellé au travers ses visions…
Dans quelques heures, la représentation commencerait ; alors grands et petits arriveraient en masse pour se délecter des merveilles que le cirque leur offrirait une fois de plus. Quoi de plus propice aux affaires que les alentours du Night Circus un jour de représentation ? L’environnement lui-même était plaisant ; alors qu’Ivona patientait pour gagner sa vie, les oiseaux venaient lui chanter les prouesses de leurs petits, les nuages emportaient avec eux les secrets des nuées et elle pouvait voir, dans la brise agitant les feuilles argentées des arbres, la beauté de la nature oubliée de tous ceux qui pourtant la côtoyait quotidiennement. Mais en attendant l’arrivée de la foule, la voyante s’était très simplement installée non loin du chapiteau d’entrée du cirque, filtrant entre ses paupières à demi closes – elle aimait l’expression mystérieuse que cela lui conférait – les visages qu’elle croisait. Jusqu’à présent, sa journée s’était révélée assez simple, entre un futur incendie d’un balai de vol, une terrible maladie de peau, une invasion de diablotin chez un particulier et la glorieuse découverte d’une potion contre les poils sur les gros orteils. Rien, donc, qui ne lui ai vraiment procuré un véritable sentiment d’utilité et d’accomplissement, d’autant plus qu’elle avait dû extrapoler certaines de ses visions trop obscures. Pas besoin d’être médicomage pour comprendre que les boutons naissant chez sa dernière visiteuse étaient signes d’un problème plus ou moins important, et au moins pour son argent l’autre irait se faire examiner rapidement. Mais en voyant passer une paire d’yeux bleus comme le pelage d’un lutin de Cornouailles, elle se redressa, plus alerte. En voilà un visage qui l’inspirait… S'avançant d'un pas vers la demoiselle, elle tendit le bras comme pour la toucher avant de se figer telle une malheureuse frappée par un éclair de foudre invisible.

- Oh, sladkiy*, où vas-tu donc ainsi, sans prendre garde à l’endroit où te mèneront tes pas ?! Souffla-t-elle doucement. N’as-tu donc pas conscience de ce qui t’attend pourtant ? Viens, viens et écoute…

Dans une envolée de jupons chatoyants, qu’elle avait magiquement enchantés pour qu’ils ondulent même en absence de toute brise, Ivona approcha de sa tente de divination installée depuis quelques jours seulement dans le quartier, presque certaine que sa proie la suivrait. Attendant posément que l’autre ne franchisse le pan de tissu qui leur offrirait un peu d’intimité pour lui révéler son futur, elle ajusta rapidement l’éclairage pour faire de l’endroit un lieu tamisé et enchanteur. Elle sentait un frémissement au creux de sa conscience, un frémissement qu’elle ne connaissait que trop bien…

*Si je ne me suis pas trompée, c’est l’équivalent de « sweety » en russe