"En fait tu vois Rocky, j'avais jamais prévu de me retrouver là, assis par terre sur le sol de mon immense duplex, à parler de ma vie à mon chien. Non c'est pas ce que tu crois, c'est pas contre toi du tout. En fait c'est plutôt l'immense duplex le truc bizarre dans ma phrase. Le fait que ce soit à toi que je m'adresse quand je suis au plus bas, c'est plutôt normal en fait. Parce que... t'es mon meilleur ami bébé, sache-le. T'es juste... le seul à qui je peux encore me confier sans être jugé. Avec toi, je suis super libre."

Il était surtout super bourré. Il le réalisa quand il comprit qu'il avait appelé son chien bébé.

"Enfin bref, je sais pas ce que mon père penserait de ce que je suis devenu. C'est pour ça que je vais plus le voir d'ailleurs. Parce que j'arrive pas à le regarder dans les yeux et à lui dire "ouaip pa' je vais bien, ouais ma copine et son nom bizarre de déesse va bien aussi et ouais le boulot ça va bien. Ouais ouais je suis toujours dans l'armée magique". Ah l'armée, cette bonne grosse blague. J'ai eu une éducation tout ce qu'il y a de plus rigoureuse Rocky, une éducation militaire. Ça rigolait pas à la maison, mais c'était pour la bonne cause, je le réalise aujourd'hui. J'en ai voulu à mon père à l'époque, parce que j'aurais aimé avoir plus d'amour tout simplement. Mais mon père t'sais... de l'amour il en avait plus tellement à donner après que ma mère soit morte. Je l'ai jamais connu alors j'ai pas souffert de son absence. Enfin si, mais c'était pas douloureux. C'était plus comme un vide. Le genre de vide qu'on comble pas. Elle était super il paraît, vraiment, elle était géniale. Mon père lui il souffrait. Il souffrait beaucoup, vraiment beaucoup et... c'est pour ça qu'il m'a élevé comme ça je pense. Et aussi parce qu'il est juste hyper rigide comme mec. Je te jure, un vrai bâton. Ou alors il l'avait dans le cul j'en sais rien. Mais en tout cas, il m'a élevé à la dure, comme si j'étais à l'armée puisqu'il y avait plus que ça qui le passionnait après la mort de ma mère. Son boulot. Insupportable. Et gnagnagna faut que tu deviennes un homme, et gnagnagna un homme ça se bat et... piou. Insupportable donc. Mais je l'aime mon père t'sais, et ça me tuerait de voir sa déception s'il apprenait que j'étais fiancé à une débile et que je bossais comme employé de bureau au Ministère de la magie. Il deviendrait fou je pense, savoir que son unique fils est devenu une sorte de flic sorcier bas de gamme... ouais ça ferait trop mal. À lui comme à moi. Alors je préfère lui mentir, mais je lui mens mal alors... je lui rends pas visite. C'est débile, je sais."

Rocky aboya une fois, comme pour approuver et se coucha sur le sol pour mieux regarder son maître papoter tout seul.

"Mais bon, j'ai appris je pouvais faire des trucs sympas avec une baguette. Non pas celle là vieux pervers, tu sais le machin avec lequel on jette des sorts. Ouais, ça. Non la touche pas s'il te plait, j'ai pas très envie qu'il y ait de la bave de berger allemand sur le truc qui sert à me défendre. Donc je disais, après j'ai su que j'étais un sorcier. Ça m'a fait bizarre mais comme c'est un truc que tous les gamins de onze ans rêvent d'entendre, j'ai très vite pris cette lettre au sérieux. Mon père un peu moins. En fait, il y croyait même pas du tout. Il a fallu qu'on se déplace et lui mette des preuves sous les yeux pour qu'il accepte de me laisser partir. C'était loin d'être une bonne nouvelle à ses yeux surtout que... en fait on était proches. Très proches. Même si je le détestais parfois pour sa rigueur et parce que je pouvais pas être comme tous les autres gamins qui partaient jouer au foot. Non, moi je devais faire mon lit au carré et faire des pompes. Génial hein ? Ben ouais ça l'était. En fait, ça l'était. Je le réalisais juste pas à l'époque. Quant à mes études à Poudlard... ben... j'ai fait un peu le con Rocky. Franchement, j'ai merdé. J'étais un élève horrible. Je pense qu'il y a pas mal de profs qui auraient bien aimé me transformer en chaise ou en joli récipient coloré pour mettre leurs clés. J'étais insolent et je passais bien plus de temps à faire des conneries qu'à étudier. En fait, je bossais quand ça m'intéressait. Sinon j'en foutais pas une. Ah par contre, quand je rentrais chez moi tu peux me croire, ça filait droit. Ça se marrait beaucoup moins d'un coup. Ouais, ça aussi c'était bien. Tu me dis si je t'ennuie hein surtout ?"

Le chien leva la tête vers Will et frotta doucement son museau contre sa main. Façon comme une autre de lui faire comprendre que non, il n'était pas encore mort d'ennui ou sur le point de s'endormir.

"Bon ok, pas de souci. Donc les années sont passées et j'ai eu tous mes diplômes. Assez étonnant mais pourtant vrai. En fait j'étais un bon élève, c'est juste que je faisais beaucoup trop de conneries. Ah et je me suis calmé aussi, vers la cinquième ou sixième ou peut-être même septième année. Je suis devenu plus studieux. Moins con aussi. J'ai essayé de faire des efforts, même si c'était trop tard. Les profs me prenaient plus au sérieux et au fond ils avaient raison. Alors j'ai passé toutes ces merdes et puis je me suis retrouvé bien paumé. Ben ouais. Parce que c'est bien gentil d'être un super sorcier super diplômé, encore faut savoir s'en servir après. C'était pas mon cas. Enfin si, je voulais devenir Sylvester Stallone mais c'était pas très réaliste comme projet. C'est dans cette période là de ma vie que j'ai décidé de devenir animagus. Je me disais qu'avoir la capacité géniale de me transformer en toi m'aiderait peut-être dans la vie. C'est pas vraiment le cas. D'ailleurs je te dirais pas ce que j'ai du faire pour y arriver parce que j'ai encore honte mais... ça valait le coup. Parce que c'est génial d'être un chien. T'as une vie géniale bébé, sache-le. Alors même si ça me sert à rien dans ma vie quotidienne, je regrette rien. En fait si, ça me sert à espionner Amanda en me faisant passer pour toi. Et à bouffer en cachette aussi. Oui, je regrette rien. Même cette putain de feuille de mandragore à la con que j'ai du garder dans ma bouche un putain de mois complet. Je le regrette pas."

Rocky était absolument ravi de le savoir.

"Et puis après il y a eu la guerre. Cette guerre. Je sais pas trop comment te l'expliquer Rocky, mais ça craignait à mort. Des espèces de nazis magiques ont voulu... piquer nos croquettes. Ouais, pas cool, je suis d'accord. En fait j'y croyais pas tellement jusqu'à ce que ça chauffe pour de vrai, pour moi c'était juste des rumeurs à la con. Il y en a tout le temps des rumeurs à la con. Et puis ça a dérapé. J'avais quitté Poudlard depuis deux ans quand c'est arrivé, pourtant ça m'a pas empêché d'y retourner pour lui péter son absence de nez au Lord j'ai-jamais-vu-le-soleil-de-ma-vie. Enfin c'est plus le binoclard qui s'est occupé de ça mais peu importe, on s'en fout en fait. J'ai pas vraiment souffert de cette guerre, je peux même dire qu'elle m'a rien pris. J'ai pas perdu de parents, j'ai pas perdu d'amis, j'ai juste perdu en peu d'espoir en nous. Les humains. Je suis pas du genre à regretter ce que j'ai pu faire dans le passé, qui j'ai pu tuer. Surtout dans des conditions pareilles. C'est pas le cas de tout le monde. N'empêche, on l'a gagné cette bataille. Parce qu'on est trop fort. Et je serais prêt à recommencer mille fois s'il le fallait. "

Will s'arrêta un instant dans son brillant récit, semblant chercher le sens de sa vie dans le fond de sa bouteille ou espérant peut-être simplement y retrouver ce qu'il racontait et pourquoi il le racontait.

Il n'y parvint pas.

"Et après ça, j'étais encore plus paumé qu'avant. Je me suis rendu compte que j'avais jamais réellement su ce que je voulais être. Quand j'étais gamin, je me voyais militaire. Comme mon père. Parce que c'était évident. En tant qu'adulte, et sorcier en plus de ça, j'avais juste envie de faire ce que j'aimais. Et curieusement, ce que j'aimais, c'était la musique. Ça a pas changé d'ailleurs. J'adore ça, la musique. Alors oui, ça fait un peu gamin dit comme ça. Je le sais Rocky, ne me mens pas. C'est ce que tout le monde pense. À chaque fois que je dis que je suis dans un groupe, ils se mettent tous à me regarder comme si j'étais le dernier des attardés. Tu sais, ce vieux regard plein de pitié qui pue. Celui qui dit "oh regarde, le pauvre garçon, il croit encore à ses rêves". Ben ouais. Excusez moi les gars, faudra me prévenir quand vous prendrez ce fameux train qui rend les gens chiants parce que moi je le loupe à chaque fois. Je te jure, qui aurait cru que les sorciers seraient si peu ouverts d'esprit ? C'est quand même incroyable non ? Les gars ils peuvent faire des trucs de fou avec leur magie et tout ce qu'ils...

- Will, tu peux arrêter de parler avec ton chien et venir te coucher ?"  

Le blondinet jeta un regard de pure détresse à Rocky, se mit à gesticuler un moment en injuriant mentalement Amanda et finit par soupirer.

"Ouais."

Rien de plus. Un mensonge d'ailleurs puisqu'il ne compte pas aller se coucher avant d'avoir tellement gonflé son chien qu'il envisagera de se jeter par la fenêtre.

"T'as une amoureuse toi Rocky ? Non ? Tant mieux. Parce que putain, les femmes, elles sont chiantes. Chiantes et compliquées en plus de ça. Oh ça va, me regarde pas comme ça. Tu sais très bien que c'est vrai. Oui, je sais, t'aimais bien Héra. Moi aussi j'aimais bien Héra, mais Héra elle est partie. Elle nous a laissé tombés. Oh c'est bon, je sais que c'est moi qui suis parti. Tu deviens chiant là. Mais avoue que j'avais pas trop le choix quand même ! Si. Si, j'avais le choix, t'as raison. J'aurais pu continuer de faire comme si ça me dérangeait pas, j'aurais pu faire le gars compréhensif et sympa. J'aurais pu, mais je suis fier. Et je peux pas vivre avec quelqu'un qui se ment à lui-même. Je suis qu'un imbécile Rocky."

Même si Rocky avait très envie d'approuver, il ne le fit pas. Rocky était un gentil chien, un chien bien élevé et fidèle. Même quand son maître se montrait particulièrement lourd.

"Elle était parfaite. On était parfait. C'est en partie pour elle que j'ai trouvé ce job de pingouin au Ministère. Parce que mon groupe marchait pas et que je pouvais pas me permettre de la décevoir. Ça me plaisait pas de bosser là-bas, mais c'était supportable parce que je le faisais pour elle. Et maintenant tu sais avec qui elle est ? Ce débile de Malefoy. Ce pauvre type de Malefoy. Avec ses vieux cheveux de papy et sa tête de cancéreux en phase terminale. Ce putain de serpent à la con. Non mais franchement, passer de moi à ça, ça a du être douloureux non ? Non ? Ouais j'en sais rien. En tout cas passer d'elle à Amanda ça a été douloureux. Mais je sais pas, c'était une question de fierté. Je voulais lui montrer que j'allais bien sans elle, que je me remettais bien de notre rupture, qu'elle m'affectait même pas en fait. Que j'étais pas blessé qu'elle veuille garder ses putains de secrets pour elle et que mon cœur était pas putain d'aussi brisé que si elle l'avait écrasé avec un immense parpaing de dix kilos et qu'elle s'était assis dessus après. Pardon Rocky, bouche tes oreilles et répète jamais ça. Papa dit n'importe quoi et a un peu trop bu ce soir. Papa est désespéré et ne sait pas comment il va faire pour améliorer sa vie de merde. Peut-être qu'il devrait aller s'acheter des couilles, jeter Amanda et son taf pourri et récupérer Héra non ? Ça a l'air pas mal comme programme. Mais le gros souci, c'est qu'on aura toujours les mêmes problèmes. Elle voudra toujours pas me parler, et moi je m'énerverai. Et ça recommencera. Débile. Et puis y a Amanda aussi."

Ah Amanda... toute une histoire que Rocky connaissait et n'avait plus envie d'entendre. Plus envie du tout. Le chien se coucha sur le flanc et souffla, ce que Will ne remarqua même pas puisqu'il était bien trop occupé à lui raconter sa vie.

"Amanda c'est... je sais pas. Je pense qu'on est amis. Des amis qui couchent ensemble de temps en temps parce qu'il faut bien subsister tu vois. Je crois qu'on est le couple le plus bizarre de toutes les planètes réunies. Non franchement, même les couples à trois, à quatre, ou même à cinq ils sont pas aussi inquiétants. Disons que je l'aimais bien avant, que ça fait un moment qu'on se connait et qu'on était là l'un pour l'autre dans un sale moment. Je venais de larguer Héra, ses parents menaçaient de la déshériter si elle se trouvait pas un mec. J'étais triste, elle avait besoin d'un blond qui sourit aux repas de famille. Ça semblait pas mal comme arrangement. Moi ça m'allait. Et puis ses parents en ont voulu plus, et on a du se fiancer. Et ça commence à se resserrer autour de moi, cette merde. Je reprochais à Héra de vivre dans le mensonge, et je commence à faire pareil. Je mens à mon père, je mens à mes potes, je me mens à moi-même et je mens à Amanda. Elle le mérite pas. Elle a beau être un peu dure des fois, elle mérite pas d'être traitée comme je la traite. Je le sais."

Rocky dormait.

"Mais d'un autre côté, qu'est ce que je suis censé faire ? Tout envoyer péter en lui disant de se trouver un autre mec pour faire joli sur les photos de famille ? Elle veut être indépendante, pouvoir faire ce qu'elle veut quand elle veut avec toute sa thune. Elle a été là pour moi quand j'avais besoin d'elle. Je vois pas comment je pourrais l'abandonner. Bon ok, ses livres sont vraiment mauvais. Je veux dire, t'as déjà lu ce qu'elle écrit toi ? Non ? Bah t'as de la chance. C'est vraiment pourri. Et elle trouve que je joue de la guitare aussi bien. En gros on est clairement fait l'un pour l'autre. Et la date du mariage approche, et je peux pas faire ça. Je peux vraiment, pas, faire ça. Je suis trop jeune pour souffrir. Je suis trop jeune pour subir toutes ces horreurs, trop innocent."

Non. Il n'avait simplement pas envie de se marier avec quelqu'un qu'il n'aime pas.

"Ah, et puis il y a ça de nouveau aussi. La célébrité. Ou du moins le début de la célébrité. Fais pas l'étonné, t'as bien remarqué toutes ses groupies qui se jettent sur moi dès que je mets un pied dehors. Non ? C'est normal. Il y en a pas. Mais il y en a bien plus qu'avant en tout cas, je peux te le garantir. Mon groupe commence a avoir du succès et je sais pas trop quoi en penser. Je sais que c'est mérité, qu'on a bossé dur pour y arriver, alors je comprends pas pourquoi on me parle constamment d'Amanda dans mes interviews. Parce que c'est grâce à elle c'est ça ? Parce que moi je suis que le gars qui se tape la grande écrivaine Amanda Pierce et... je l'ai appelé Amanda Pierce là ? Oh putain. Ça y est je commence à clairement dérailler. Rocky, sauve moi."

Il aurait bien aimé, mais il n'y pouvait pas grand chose. Il voyait bien qu'il était perdu, son Will, mais il n'avait aucune solution à lui proposer.

"Enfin... je vais aller me coucher moi. Ça m'évitera de dire n'importe quoi. Bonne nuit mon gros, et oublie tout ce que je t'ai raconté. Papa perd la tête."

Le berger allemand le regarda partir en titubant et souffla une nouvelle fois en se recouchant. Il ne savait pas tellement ce qu'il fallait faire pour l'aider. Peut-être la ramener, Héra. En plus c'est vrai qu'il l'aimait bien. Will avait l'air heureux avec elle. Il ne souvient que son maître avait pleuré sur lui comme un bébé durant des semaines après leur séparation, ça l'avait beaucoup inquiété. William avait toujours été quelqu'un de profondément joyeux, de bon, de drôle. Ça, ce n'était pas lui. L'alcool, les mensonges, les remords. Tout ça ce n'était pas pour lui. Rocky connaissait son maître depuis sa sortie de Poudlard, il se souvenait d'un jeune homme audacieux, intrépide, qui n'avait peur de rien. Un jeune homme courageux, qui dirigeait sa vie d'une manière si sûre que personne ne doutait de la tournure qu'elle prenait. Tout le monde était persuadé que William deviendrait quelqu'un, parce qu'il était charismatique. Il était ambitieux. Il était fort. Un véritable roc sur lequel on pouvait se reposer sans crainte. Fier de ses origines, fier de ses convictions, fier de lui tout simplement. Tout lui souriait. Personne ne doutait une seconde qu'il deviendrait l'homme que Rocky avait patiemment écouté. Un homme rongé par les doutes, par ses actes manqués et par ses mensonges. Des mensonges. Inquiétant pour quelqu'un qui les déteste tant. Rocky souffla une nouvelle fois. Il savait que tout ça le rongeait. Il savait qu'il n'aimait pas son travail. Il savait qu'il avait besoin d'un échappatoire, d'un exutoire. Qu'il avait besoin de changer de vie une bonne fois pour toutes.

Mais lui il n'était qu'un chien. Il pouvait difficilement changer toutes ses choses en tapant de la patte.

Et pourtant... parfois la magie réside là où on ne l'attend pas. Parfois il suffit d'un rien, d'une étincelle, pour que le feu reparte de plus belle. Rocky se fit une promesse, il allait trouver cette étincelle.

Coûte que coûte, il la trouverait.

Il la trouverait et elle ramènerait à son ami ce qui lui manquait.

Sa flamme.

Sa lueur d'espoir.