Semblable au grondement d'une bête se terrant dans les tréfonds d'une grotte, faiblissant parfois sans jamais s'effacer, le bourdonnement des discussions habitait toujours les Méandres Nocturnes. Le silence ne se faisait pas sentir une seule seconde, qu'il s'agisse du tintamarre bruyant des disputes ou des chuchotements suspicieux des confidences, le désordre régnait. Gemma errait souvent, l'oreille alerte aux mots clandestins qu'elle jugerait intéressants. Ceux-ci se cachaient habituellement dans la salle la plus reculée qui accueillait tous genres de criminels et c'était celle dans laquelle elle préférait régner. C'était à peine si elle se rappelait de l'existence de l'autre ouverte à tous qu'elle ne considérait être qu'une façade malgré la vie qui s'y accumulait.

En cette soirée elle s'y était rendue, se dirigeant directement derrière le bar pour donner quelques consignes à l'un de ses serveurs. Elle n'eut le temps de s'écarter qu'une rouquine dont l'état d'ébriété n'était plus à prouver l'apostropha. Sa voix l'agaça immédiatement et elle s'en serait allée sans se retourner si elle n'avait reconnu l'esquisse de son visage. Celui-ci ne lui était pas familier, mais elle l'avait déjà croisé dans les couloirs du Ministère. Sans pouvoir donner son nom elle put affirmer qu'il s'agissait d'une de leurs tireurs d'élite. Alors quoi, le gouvernement la surveillait ? Cette idée lui était intolérable mais elle préféra s'assurer de ses dires avant de lancer des accusations contre qui les accepterait.

Complaisante, elle s'assit et l'écouta longtemps. Ainsi elle saurait si ses reproches étaient fondés, et même s'ils ne l'étaient pas, peut-être pourrait-elle lui voler des informations censées rester confidentielles. Malheureusement, tout ce qu'elle lui disait restait d'une cruelle inutilité. La sorcière crut d'abord mourir d'ennui, mais à force de persévérance elle se prit à s'intéresser aux maux de la duelliste. Certains plus particulièrement.

" - Dites, madame la barmaid ? Vous avez déjà fuis l'enterrement de vos deux collègues qu'étaient avec vous pendant une mission et qu'y sont morts ? Et qu'vous z'avez réchapper, vous ?

A travers sa question elle dévoilait forcément une part de son histoire, et elle faisait étonnement écho à certains racontages qui étaient parvenus jusqu'à l'Allée des Embrumes. Une jeune femme de son unité était venue travailler en Angleterre suite au prétendu meurtre de deux de ses coéquipiers. Pouvait-il s'agir de la même personne ? Il ne tenait qu'à elle de faire toute la lumière sur cette histoire. Les assassins ne se cachaient peut-être pas tous dans la pièce la plus reculée.

- Non, ce n'est pas vraiment mon genre.

Gemma affrontait toutes les épreuves qui se présentaient à elle sans jamais se plaindre, sans faiblesse, sans lâcheté. L'apparente dureté qui était sienne n'était que le reflet de sa force intérieure. Et si elle avait dû rompre, elle continuait à avancer en se tenant droite.

- Et toi ? Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? "

Elle ne changerait pas de comportement pour devenir rassurante de douceur. Ce brusque virage risquait plus d'effrayer, voir alerter, son interlocutrice que la mettre en confiance. Mieux valait-il encore agir plus subtilement.

L'ivrogne ne retint pas un rire – était-elle donc si drôle – et n'eut finit de s'esclaffer qu'elle termina son verre. Une culbute et l'intégralité de celui-ci finissait au fond de son gosier imbibé. Il devait déjà se noyer d'alcool, un peu plus, un peu moins, n'y ferait aucune différence. Elle fit d'ailleurs rouler le contenant sur la surface boisé en voulant l'avancer, quelques gouttes orphelines s'en échappant pour former une énième flaque poisseuse. Ce n'était pas la première qu'elle dessinait.

" - Moi ... Moi j'ai partie en mission. Au Japon. Un con qui tue des moldus. On est rentrés dans la maison à trois. Dans la pièce du fond, avait des corps d'moldus. On a pas fait gaffe, l'con était derrière. Okaro s'est mis d'vant moi et s'est pris l'premier Avada. M'est tombé d'ssus.

Gemma dut faire un effort phénoménal pour comprendre la moindre syllabe qu'elle essayait de prononcer. Déjà, son anglais était mauvais, mais en plus elle était incapable d'articuler correctement. Il fallait occulter son accent et donner sens à ses phrases qui ne paraissaient être qu'un enchaînement de mots désaccordés. D'ailleurs elle ne lui apprenait rien de très intéressant, rien qui vaille cet effort.

Elle devait parler encore et les révélations venaient avec l'oubli de soi. Peut-être était-elle encore assez sobre, même si cette hypothèse paraissait assez improbable. Pour délier les langues la serpentard la resservit, et tandis qu'elle observait le liquide noirci quitter la bouteille, elle s'aperçut que la chevelure de sa cliente se teignait de bleu avant que la couleur ne se résorbe. Une métamorphomage.

- Merci, au fait.

Il était temps pour la sorcière de se terrer en elle-même et éveiller l'actrice qu'elle pouvait être. Un sourire rassurant, toujours léger, étira ses lèvres. Son expression dénuée d'hypocrisie, nul ne savait mieux qu'elle feindre la sincérité, n'inspirait rien d'autre qu'une confiance aveugle.

- C'est bien normal.

A son tour elle entama un cocktail préconçu en s'accoudant au comptoir. Sa nonchalance couplée à une imitation partielle des activités de la duelliste ne pourrait que plus pousser celle-ci à ne pas s'en méfier. Qui surveillait donc ses pairs.

- Il y a des poids qui sont si lourds parfois qu'on ne peut plus les porter.

La vérité de ses propos juraient avec l'idée qu'elle se faisait d'eux. Elle pouvait tant peiner à avancer qu'elle se traînerait au sol sans accepter de repousser les démons qui l'accablaient.

- Le seul moyen de s'en soulager, c'est de s'en défaire. "

Et par Merlin, qu'elle aurait aimé en être capable.

Gemma décida de ne pas juger l’hébétude de sa cliente – l'alcool causait bien des ravages – même si celle-ci, dans l'instant, la faisait paraître stupide. La lenteur de sa réflexion et les silence que cela engendrait l'agacèrent, et elle sut qu'elle ne supporterait pas beaucoup plus longtemps la conversation de l'ivrogne. Ses intérêts n'étaient pas suffisants.

" - Oui mais ... C'est dur.

C'était peut-être la justification la plus ridicule qu'elle ait entendu. Les obstacles ne se dressaient que pour qu'on les anéantisse comme s'ils n'avaient pas existé. La force nécessaire n'était pas innée mais se travaillait, se développait, s'exacerbait avec l'âge. Elle avait dû avoir une vie trop douce qui lui avait permit de se murer dans sa faiblesse et ce constat n'inspirait que dégoût à la fourchelang.

- Mais bon, j'suis un peu responsable d'la mort de deux d'mes coquipiers. Pas moi qu'les ai tués, même si y'en a qui pensent ça. Pas moi, j'le jure.

Et la voilà qu'elle se mettait à pleurer, en plus de ne rien lui apprendre de plus que ce qu'elle ne savait déjà. Un profond soupir se fit entendre et ne dû échapper à la tireuse d'élite puise qu'elle tenta vainement de se justifier.

- Suis désolée. Pas l'habitude de pleurer, suis juste bourrée. Suis pas comme ça normalement. Parle mieux anglais, déjà.. Les études des moldus sur l'alcool et les langues sont fausses. L'alcool ne rend pas meilleurs en langue étrangère …

Son ton geignard, ses arguments approximatifs, et la patience éprouvée de Gemma la poussèrent à s'exprimer avec son franc-parler habituel. Les lamentations des autres n'étaient jamais justifiées et elle ne supportait pas longtemps leur hypocrisie.

- L'alcool n'est une excuse à rien. Tu es seule responsable de ton état et ton comportement. Si tu n'es pas capable de te contrôler, ce n'est que ta faute. La boisson ne te force pas.

La sorcière posa ses coudes sur le comptoir et s'avança, prédatrice, presque menaçante. Le tissu de son chemisier collait à la surface poisseuse mais peu lui importait. Elle était tout à ce qu'elle disait.

- Tu sais ce dont j'ai l'impression ? Tu te cherches des coupables. C'est comme si tu refusais d'être la cause de quoi que ce soit. Est-ce parce que la culpabilité est trop grande que tu ne peux l'accepter ? Peut-être. En tous cas tu es là à répéter « ce n'est pas moi », « ce n'est pas moi » pour tout et rien, remettant la responsabilité sur d'autres, ou sur personne d'ailleurs.

Ses mots accusateurs étaient froids et durs. Elle ne craignait pas de blesser, pas plus qu'elle ne craignait de froisser ou de s'attirer la haine de son interlocutrice. Comme elle aimait à le penser, elle ne craignait rien. Retournant à une attitude plus neutre elle se replia pour à nouveau se tenir droite, regardant l'étrangère de haut.

- Le vrai mal qui ronge l'homme c'est de vouloir toujours se dédouaner pour ne pas avoir à expier ses fautes. "

Elle ne faisait pas exception. Mais nul n'aurait pu deviner qu'elle parlait d'elle autant que des autres.

Comme si la brune avait visé juste et confronté sa cliente à son incompétence, celle-ci se ressaisit. L'alcool ne s'évapora pas et pourtant elle reprit une certaine stature et une élocution correcte. Elle aurait dû la remercier. Au lieu de ça on l'assaillit d'insulte.

" - Je sais qui est responsable. Je l'ai vu. Je ne cherche pas de coupable, je le connais, et il le paiera un jour ou l'autre. Je ne suis pas la cause de leur mort. Et toi, tu ne sais rien de moi, alors ne me juge pas. Parce qu'à ma place, je ne suis même pas sûre que tu serais allée aussi loin que moi. Tu semble savoir de quoi tu parles ... Est-ce que tu tentes de te dédouaner pour quelque chose, toi aussi ? Eh bien laisse moi te donner une clé. Tu n'y parviendra pas en insultant les autres. Tu te sentiras juste plus mal encore. Mais bon, d'après ce que je vois, tu le mérite.

Son comportement fut d'une telle puérilité que Gemma, comme pour compenser l'absurdité dont la tireuse d'élite faisait preuve, prit une seconde avant de lui répondre. Qu'était-ce d'autre qu'un aveu de culpabilité que de ne savoir se défendre qu'en accablant la personne qui nous faisait face. Elle essayait d'enfoncer la Landre pour s'élever, mais son attitude mesquine ne l'effleura même pas. Aucune culpabilité ne la rongeait, pas même l'ombre de regrets. Les siens étaient suffisamment enfouis pour qu'elle ne sache jamais les porter. D'ailleurs elle n'eut même pas le temps d'ouvrir la bouche.

- Garde la monnaie, tu pourra peut-être t'acheter une âme. "

Sur ces mots elle s'éloigna, tant bien que mal dans son état. Un sourire mesquin, amer, étira les lèvres de la gérante. Si l'âme avait eu un prix elle aurait assurément pu en acheter autant qu'elle l'aurait voulu. La sienne, noircie par la dureté de son existence, était pourtant pur comme personne ne pouvait l'imaginer. Ses peines n'étaient parvenus à la souiller, même si son attitude jurait avec celle-ci.

Gemma n'aidait pas les autres à se sentir mieux, pas plus qu'elle ne les soulageait d'une quelconque peine. Si elle avait été plus empathique elle aurait pu vouloir rattraper la rouquine pour l'obliger à faire face mais elle n'était pas sa psychomage. Ses maux lui étaient bien égaux. Aussi elle l'observa partir sans ciller, mais non sans ressentir, elle ne savait pourquoi, le parfum désagréable de l'échec.