Jade prit connaissance de sa particularité un beau matin de printemps lorsqu'elle trouva ses parents décontenancés dans la cuisine, les yeux rivés sur une lettre. C'était une lettre d'admission à Poudlard qui stipulait que mademoiselle Jade Collen Allister était, en raison de ses qualifications exceptionnelles, attendue dès septembre prochain en vue d'exercer la magie. Les Allister pensèrent d'abord à une mauvaise blague, jusqu'à ce qu'il soient confrontés à une horde de hiboux perchés à chaque rebord de fenêtre de leur grande maison. A la vue de ce spectacle ahurissant, madame Allister décida de rédiger une lettre à celui qui se revendiquait directeur de cette mystérieuse école, un certain Albus Dumbledore. La main tremblante, celle-ci exprima toutes ses incertitudes et réticences quant à envoyer sa petite fille dans un endroit dont personne n'avait jamais eu vent, pour étudier un précepte auquel elle n'adhérait pas, si tant est qu'elle voulait bien y croire. Lorsqu'elle remit, perplexe, l'enveloppe à l'animal au plumage blanc, elle le vit s'envoler en direction du nord sans savoir s'il arriverait à bon port. Peu de temps après, le même hibou repassa avec une autre enveloppe dans son bec. Celle-ci différait de la précédente. Lorsque madame Allister l'ouvrit, la feuille de papier se désolidarisa de ses mains pour s'animer en un visage usé par le temps. Ce qui lui semblait être un vieil homme barbu se confondit en excuses pour son indélicatesse passée avant de joindre une édition de la Gazette du Sorcier qui était censé prouver l'existence de la Magie sur terre. Il précisa que ce journal s'auto-détruirait dans l'heure, et qu'il serait bien aimable de leur part d'adresser une réponse au sujet de la petite Jade en joignant, de la même façon que la dernière fois, une note à son hibou. Les Allister restèrent sans voix face à la feuille qui se déchiquetait sous leurs yeux. Lorsqu'ils prirent la Gazette en mains, ils découvrirent qu'il existait même un ministre de la magie du nom de Cornelius Fudge dont le rôle visait à régir les droits des sorciers. Aussi, ils ne purent que remarquer les personnages anormalement animés sur les "photos" jointes aux articles. Complètement abasourdis, ils durent s'asseoir un moment pour digérer ce qui venait de se produire sous leurs yeux ébahis. Seulement, la petite Jade avait déjà pris sa décision. Elle n'irait pas.

Il est vrai que certains faits inexplicables se produisaient parfois, comme ce jour dans la cour de récré où Jordan Greyson, profitant d'un moment d'inattention de sa part, lui avait glissé du poil à gratter dans le col de son t-shirt. Au fond ce geste n'était pas bien méchant ; il l'asticotait pour capter son attention. Elle était rentrée dans une colère si noire que des plaques rouges purulentes avaient instantanément parsemé le corps du pauvre garçon. A y repenser ce n'était pas le seul événement douteux de sa petite existence, seulement grâce à cette lettre, tout faisait enfin sens.

Ainsi avait-elle des pouvoirs magiques ? Pourtant, ce monde auquel elle n'appartenait pas la terrifiait au plus au point. A 11 ans, nous ne sommes pas encore suffisamment entraînés pour affronter ce qui nous dépasse. Eduquée par un couple de moldus aimants, elle ne pouvait admettre qu'il existait une autre facette de ce monde, ni se résoudre à abandonner son quotidien si tranquille, ses amis si précieux, et ses banals soucis de petite fille. Jade oublia donc toute cette histoire invraisemblable le restant de la saison des fleurs et, confortés dans le déni, ses parents adressèrent au messager d'Albus Dumbledore une note  : "Jade n'est pas prête."

Cela n'empêcha pas les pouvoirs de la jeune fille de se développer dangereusement, contrainte de se rendre à l'évidence. Elle ne contrôlait plus rien, comme une réponse de son corps à la frustration d'appartenir à quelque chose de plus grand qui lui échappe. Ses amis la craignaient malgré eux, et bien malgré elle. Personne n'osait contredire sa sensibilité et, même si elle savait rester impénétrable, des conséquences mystérieuses la trahissaient. Un jour, sa copine Clélia eut le malheur de la taquiner en lui faisant remarquer son bouton de fièvre dû à une allergie, et, malgré sa nonchalance manifeste, Jade se sentit profondément blessée. Le lendemain, son amie arriva à l'école dissimulée sous une cagoule. Accusatrice, elle lui montra dans les toilettes des filles son visage tuméfié de pustules. Jade savait qu'elle y était pour quelque chose et se sentit profondément mal. Sortir lentement mais sûrement de l'enfance n'était déjà pas facile, si en plus ses nerfs lui jouaient des tours la vie devenait un véritable cauchemar.

L'été arriva bien vite et, à mesure que le temps filait, ses pouvoirs se révélaient de plus en plus, l'éloignant du monde qu'elle connaissait si bien et qu'elle trouvait jusqu'alors rassurant. Paradoxalement, ceux-ci lui conféraient une certaine assurance; ils la protégeaient. Après tout cela faisait partie d'elle, et puis c'était presque tout ce qu'il lui restait. Jade devenait solitaire, rejetée, incomprise. Elle était malheureuse. Comprenant que sa place était ailleurs, elle n'eut d'autre choix que d'accepter sa différence et d'y faire face.

Lorsque le hiboux revint début juillet leur porter le même message, les parents de Jade capitulèrent et joignirent à contre-coeur une réponse positive. Comme si cette décision intérieure constituait un accord tacite, un professeur du nom de McGonagall vint miraculeusement la chercher le 31 pour acquérir sa première baguette magique chez Olivander et l'aider à traverser la fameuse voie 9 ¾ de la gare de King's Cross. Elle comprit plus tard que Dumbledore, après réception de l'ultime accord parental, avait eu la présence d'esprit d'envoyer la vieille femme la chercher puisqu'en toute logique, elle n'aurait su se rendre à Poudlard sans elle, ni se procurer une baguette digne de ce nom.

Aussi fou que cela lui semblait, Jade était bel et bien une apprentie sorcière.


A 11 ans, Jade découvre Poudlard et ce qui l'entoure. Elle ignore tout de Harry Potter ou Lord Voldemort, même si une rousse non loin de là parle du premier en faisant preuve d'une excitation inappropriée. C'est donc avec une grande appréhension qu'elle se dirige vers la grande salle parmi les élèves de première année escortés par le professeur McGonagall. La pièce est vaste et inondée d'élèves en robes noires. Tous portent le même uniforme, à cela près que leurs cravates se distinguent par quatre couleurs différentes. Jade est intimidée et complètement perdue, d'autant plus qu'il lui a semblé voir un homme bouger dans une peinture d'époque un peu plus tôt dans le hall.

McGonagall lui a bien expliqué le principe des quatre grandes maisons de l'école, mais elle a oublié de lui mentionner le rôle du Choixpeau. Ca peut être une expérience déroutante pour un non-initié ! De toute façon Jade n'est pas très concentrée, trop occupée à scanner la foule.

Lorsque vient son tour de s'asseoir sur le tabouret pour qu'on la coiffe d'un chapeau de sorcier usé, ce dernier ne se fait pas prier pour annoncer le verdict.

- … POUFSOUFFLE !

La fillette comprend à la mine réjouie des élèves en jaune que c'est vers leur table qu'elle doit se diriger et que c'est parmi eux qu'elle passera les sept prochaines années.

Rapidement dans le bain, un monde tout nouveau qu'elle embrasse avec joie s'offre à elle. Constamment ébahie, Jade n'efface que rarement son sourire enjôleur et se fait très vite des amis. Dans sa promo, elle apprend que la rousse "hystérique" au sujet du fameux Potter le jour de la rentrée répond en fait au nom de Ginny, et trouve la weirdo de la bande, Luna, très intrigante. Toutefois, la fillette est perdue dans bien des domaines. Là où ses camarades mettent en pratique des acquis, elle ne fait qu'assurer le constant apprentissage du B.A BA sans manquer de faire les 400 coups avec son ami Donovan, un né moldu, tout comme elle, qui la comprend mieux que personne. Jade a des lacunes mais ne s'en formalise pas. Son expérience à Poudlard restera la plus enrichissante de toute sa vie. Dès la troisième année, elle se découvre une passion pour les animaux fantastiques et excelle en soins aux créatures magiques, sa première option. En revanche, ce n'est pas la folie dans les autres matières, mais ça ne l'empêche pas de profiter pleinement de sa nouvelle vie. Pour elle, les études ne sont pas ce qu'il y a de plus important, et ses parents n'y trouvent pas grand chose à redire dans le domaine. Jade n'a aucunement vocation à devenir Auror ou autre métier très courtisé ces temps-ci. Que fait-elle alors ? Elle chante. Dès ses 14 ans, la demoiselle ne quitte plus sa guitare magique avec laquelle elle accompagne chaque instant contemplatif. Il lui arrive fréquemment de la sortir pour fredonner les airs les plus populaires des Bizarr'Sisters. Ainsi, elle disperse la bonne humeur, n'ayant cure des réflexions des plus hautains, souvent issus de la maison des Verts. En parlant de ceux-là, un certain Drago Malefoy entouré d'un gros Crabbe et d'un bedonnant Goyle ne lui font pas de cadeau durant toute sa scolarité. Elle apprend bien vite, et à ses dépends, que son statut de née-moldue est un prétexte en or pour la harceler. Jade ne se laisse pas démonter. Ces sombres absurdités ne l'atteignent que peu puisque ces notions lui semblent futiles et toujours étrangères. Elle préfère se focaliser sur les belles choses et nier le reste. En plus, par chance, le blond délavé en question et ses acolytes sont surtout occupés à martyriser cette pauvre Hermione Granger, sans doute parce qu'elle est dans la même promo, donc plus accessible. Jade compatit de loin.


Parlons de la guerre. Etant donné son statut, Jade s'en est tenue bien à l'écart, préférant retourner vivre bien à l'abri - ou ce qui s'en rapprochait le plus - chez ses parents durant le règne de Voldemort. Elle n'a pas voulu jouer les héroïnes, elle qui n'excellait pas spécialement en défense contre les forces du mal et qui se serait vue comme un fardeau trop lourd à porter pour ses camarades. Après tout, elle n'était qu'une élève moyenne sans trop d'ambition... A son niveau, prouver quoi que ce soit lui semblait dérisoire. Elle préférait se cacher, tout comme son ami Donovan. Quelques temps avant sa fuite, plus précisément durant les prémices de cette guerre, soit jusqu'à ce que Dumbledore perde la vie, il lui arrivait de jouer quelques airs mélancoliques pour accompagner la douleur de ceux qui subissaient déjà des pertes que la Gazette ne relayait déjà plus. Sa sixième année fut hachée, bâclée, zappée, de la même manière que celle de ses copains... Et comme eux, elle rempila pour une seconde lorsque la paix fut retrouvée, jusqu'à l'ultime année d'étude où elle passa les A.S.P.I.C de la seule et unique matière qui la motivait : les soins aux créatures magiques. Qu'allait-elle faire ensuite ? Magizoologiste ? Ca serait son plan de secours. En attendant, elle tenterait autre chose de plus risqué. Elle essaierait de chanter et d'en vivre.


Les années passent et c'est un fiasco. Faute de connaître les bonnes personnes, Jade galère avec sa guitare sous le bras mais ne perd pas le sourire. Elle cumule les petits boulots pour payer son loyer en périphérie du chemin de Traverse, puisqu'elle n'envisage pas de vivre ailleurs que "là où ça bouge". En 2005, elle est serveuse aux Trois Balais et profite de la vie sans trop de chichis. La même histoire sordide semble pourtant se répéter... Que fera-t-elle cette fois-ci ? Pour l'heure, elle déambule dans les ruelles pour chanter la beauté, et se laisse grandir au gré de ses rencontres sans trop penser à l'avenir. Elle est comme ça, Jade. Elle croque la vie à pleines dents.